Les Algériens, privés de véhicules neufs et d’occasion: récit du fiasco d’une désastreuse politique automobile

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Le 27/12/2020 à 10h07, mis à jour le 28/12/2020 à 12h58

A cause de la politique de l’Etat dans le secteur de l’automobile, au nom de la préservation des réserves en devises, les Algériens sont privés de véhicules neufs ou d’occasion. Un fiasco total, les réserves s'amenuisent, et les rares voitures d'occasion se vendent au prix du neuf. Explications.

Acquérir un véhicule est devenu un véritable casse-tête en Algérie. Les interdictions d’importation de véhicules neufs et d’occasion, ainsi que le fiasco de la politique de production automobile menée dans le pays font que l’offre de véhicules à la vente est quasiment inexistante, aussi bien pour les véhicules neufs que ceux d’occasion.

La situation est devenue telle que certains propriétaires de véhicules se débarrassent de leurs vieilles voitures à des prix exceptionnels, pouvant même atteindre ceux d’un véhicule neuf.

Comment en est-on arrivé à cette situation? Cette pénurie en véhicules n’est, en fait, que le résultat des politiques entreprises par les gouvernements successifs sous Abdelaziz Bouteflika, puis Abdelkader Bensalah (lors du gouvernement de transition) et Abdelmadjid Tebboune, qui se sont succédés au cours de ces toutes dernières années à la tête du pays. 

D’abord, en ce qui concerne les importations de véhicules neufs, les dirigeants algériens avaient décidé, en 2016, de freiner les importations, en mettant en place des quotas partagés entre les concessionnaires automobiles du pays. A l’époque, le pays était le second importateur de véhicules neufs du continent derrière l’Afrique du Sud, et avait même supplanté celle-ci en important 418.000 unités en 2014, année faste, caractérisée par une flambée du prix du baril de pétrole, avec un pic qui a même atteint 140 dollars. 

En 2015, la facture des importations de véhicules neufs avait atteint 3,02 milliards de dollars pour un total de 265.500 véhicules importés. 

L’année suivante, en 2016, le gouvernement a décidé de freiner les importations, en autorisant à 40 concessionnaires d’importer seulement 83.000 unités, suivant des quotas affectés à chacun d’entre eux.

Avec cette décision, le gouvernement visait à arrêter les importations, afin de stimuler la production locale. Les concessionnaires avaient donc été contraints de chercher des partenaires étrangers et de se lancer dans le montage de véhicules en Algérie. Mais n’ayant pas les moyens de ces ambitions, ils ont dû céder cette mission à des oligarques proches du pouvoir, qui se sont lancés dans le montage automobile.

Mais voilà: cette politique a été mise en place dans une totale improvisation, sans stratégie instaurée bien en amont, alors même qu’il n’y avait pas encore de fournisseurs et d’équipementiers automobiles en Algérie. Les unités de montage se sont alors transformées en ateliers de montage de kits automobiles, sans aucune valeur ajoutée locale.

En conséquence, les importations de voitures neuves se sont simplement transformées en importations de kits automobiles. 

Ainsi, en 2017, pour 90.000 unités montées en Algérie, les opérateurs avaient importé pour 1,8 milliards de dollars de kits automobiles, alors qu’en 2016, pour 93.000 véhicules neufs importés, la facture n’avait pas dépassé un milliard de dollars.

En 2018, la facture des importations de kits automobiles avait dépassé les 3 milliards de dollars, pour une production locale d’à peine 100.000 unités, alors qu’en 2015, pour des importations d’un montant de 3,02 milliards de dollars, le pays avait importé 255.236 véhicules neufs. 

C’est dire que la production locale de véhicules est plus qu’un fiasco, et ce d’autant que les industriels bénéficient également d’avantages fiscaux conséquents, avec des droits préférentiels sur les importations de kits automobiles. C’est donc là un manque à gagner flagrant, en ce qui concerne les recettes de l’Etat. 

Devant cet échec patent en ce qui concerne le montage automobile dans le pays, les autorités algériennes avaient ensuite envisagé de lever les interdictions d’importation de véhicules d’occasion, et de réduire les importations de kits automobiles. Une décision intervenue en mai 2019, afin de favoriser l’intégration du contenu local, par le gouvernement du Premier ministre à cette période, Noureddine Bédoui. 

Toutefois, cette décision de réduire les importations des kits CKD (Complete knock-down – soit des kits non assemblés) ou SKD (Semi-knocked down – soit des produits complètement démontés), destinés au montage de véhicules pour particuliers, était intervenue dans une totale précipitation, dans la lignée de de règlements de comptes entre feu Ahmed Gaïd Salah, alors chef d’état-major de l’armée algérienne et homme fort du pays, et les oligarques algériens ainsi que les hommes politiques qui les soutenaient.

En toute logique, la décision prise par l’ex-Premier ministre Noureddine Bédoui n’avait donc pas produit les effets escomptés. En absence d’un écosystème automobile cohérent, composé de fournisseurs et équipementiers locaux, cette réduction des importations de kits automobiles s’est ensuite traduite par une baisse de l’activité des unités de montage, et ce, sans que la facture des importations des kits automobile ne baisse, à cause notamment de surfacturations. 

Conséquence de ce désastre pourtant prévisible: à l’arrivée du président Abdelmadjid Tebboune au pouvoir, une nouvelle décision est intervenue: celle de carrément interdire les importations de kits automobiles. Une décision irréfléchie, uniquement dictée par un souci: préserver les réserves de change, alors en chute continue. 

Et de fait, l’ensemble des unités de montage automobile algériennes se trouvent à l’arrêt. L’adoption d’un nouveau cahier des charges, encadrant le secteur de montage automobile, est ensuite venu porter un nouveau coup dur au secteur automobile.

Les exigences en matière de taux d’intégration locale, décidées par les nouvelles autorités, fixées à 30% dès la première année de production, sont évidemment impossibles à atteindre par les acteurs du secteur, en l’absence d’un écosystème déjà instauré avec des fournisseurs et des équipementiers qui seraient à même de fournir les industriels algériens.

Et le fiasco s’est poursuivi, avec une irréfragable logique: certaines usine ont ainsi décidé de mettre la clé sous la porte. C’est le cas du constructeur automobile sud-coréen Kia et de l’allemand Volkswagen, alors que d’autres unités se trouvent aujourd’hui encore à l’arrêt, à cause de l’emprisonnement de leurs dirigeants.

Pire encore, même l’unité de montage de Renault Production Algérie est à l’arrêt depuis dix mois, et a dû licencier une grande partie de ses salariés et été contrainte de placer le reste de ses effectifs au chômage technique. 

En conséquence, quasiment aucune voiture n’a été assemblée depuis 10 mois en Algérie. L’offre locale de véhicules «Made in Algeria» se retrouve réduite à néant. 

Les décisions précitées, prises par les précédentes autorités algériennes, visant à réduire la facture des importations de kits automobile ont donc entraîné l’arrêt complet du montages de véhicules en Algérie.

A cause de la politique menée par les autorités algériennes, les unités de montage se sont retrouvées accaparées par des oligarques proches de l’ex- régime de Abdelaziz Bouteflika. Des hommes riches, puissants, qui n’ont rien à voir avec le secteur automobile.

D’ailleurs, la quasi-totalité de ceux qui se trouvaient à l’origine de la création de ces entreprises de montage automobile se sont ensuite retrouvés derrière les barreaux, et s’y trouvent encore après des décisions de justice, suite à des scandales de corruption dûs aux circonstances troubles dans lesquels ils ont pu acquérir les autorisations nécessaires… Des autorisations qui leur avaient permis de se lancer dans le montage automobile et dans des crimes de surfacturation, lors de leurs importations de kits automobile.

C’est, par exemple, le cas de Mourad Eulmi (pour Volkswagen), mais aussi de Mahieddine Tahkout (pour Hyundaï), ou encore de Hacène Arbaoui (pour Kia), mais aussi des anciens Premiers ministres Abdelmalek Sellal et Ahmed Ouyahia et d’ex-ministres de l’Industrie, comme Abdeslam Bouchareb, Mahjoub Bedda, tous aujourd’hui en prison.

Il faut dire que ces unités de montage automobile importaient, à l’exception de celle de Renault, des kits complets, et parfois des voitures quasiment montées.

C’est le cas de l’unité de montage des véhicules de la marque sud-coréenne Hyundai, dirigée par Mahieddine Tahkout, qui importait des véhicules totalement montés, auxquels il ne manquait plus que les roues à placer en Algérie même… Pour la valeur ajoutée de cette «prouesse» industrielle, il faudra sans doute repasser.

De plus, la production locale, malgré les incitations offertes par les autorités, était non seulement marginale, mais, de plus, le «Made in Algeria» coûtait bien trop cher aux consommateurs finaux, lesquels se retrouvaient devant des véhicules vendus largement plus cher que des véhicules importés de la même catégorie, malgré des droits de douane élevés appliqués à ces véhicules. 

A cause de cet énorme fiasco, le gouvernement Tebboune a changé de politique en levant l’interdiction d’importation de voitures neuves. Seulement, les concessionnaires algériens, aujourd’hui appelés à reprendre du service, après plusieurs années d’interdiction d’exercer leur activité pour bon nombre d’entre eux, attendent toujours les nouvelles directives qui devront encadrer ces importations, et ce, depuis à présent plusieurs mois.

Le gouvernement algérien ne semble pas être particulièrement pressé, sur ce point précis, et préfère aujourd’hui ralentir au maximum cette décision, pourtant très attendue, afin de préserver les sorties en devises nécessaires à l’importation de véhicules neufs. 

Privés de véhicules montés «Made in Algeria» et de voitures importées, les Algériens avaient très bien accueillis la décision du gouvernement d’autoriser à nouveau les importations de véhicules d’occasion, même si l’âge de ces derniers est limité à trois années. Mais cette décision accueillie avec enthousiasme n’a pas duré.

Et tout comme pour les importations de véhicules neufs, le gouvernement est rapidement revenu sur cette décision, et a de nouveau interdit les importations des véhicules d’occasion.

Le ministre de l’Industrie, Farhat Aït Ali, est monté au créneau, et a justifié cette décision de «geler momentanément» ces importations, par la cherté des voitures d’occasion dans les marchés étrangers, à cause notamment de l’actuel contexte de la pandémie du Covid-19.

Voilà donc le désastre dans laquelle se retrouve aujourd’hui le marché automobile algérien: la pénurie de véhicules, aussi bien neufs que d’occasion, est devenue si importante, que les prix des véhicules d’occasion ont flambé, atteignant ceux des véhicules neufs importés (!).

In fine, à cause de décisions politiques désastreuses, touchant le montage automobile et les importations des véhicules neufs et d’occasion, les Algériens se retrouvent tout simplement privés de rouler dans le véhicule de leur choix. Et ce, au nom de la volonté des dirigeants de conserver les réserves en devises du pays, dont seules quelques personnalités algériennes en connaissent réellement le montant actuel.

Officiellement, celles-ci sont passées de 194 milliards de dollars à fin 2013, à 62 milliards à fin 2019. Elles se situent certainement à moins de 40 milliards de dollars à la fin de cette année 2020. 

Et pour conclure sur ce récit d'un désastre pourtant prévisible, les dirigeants algériens ne sont pas du tout arrivés à freiner l’hémorragie de la baisse des réserves en devise du pays, en ayant pourtant désormais privé les Algériens de véhicules. 

Par Moussa Diop
Le 27/12/2020 à 10h07, mis à jour le 28/12/2020 à 12h58