2021 s’annonce une année plus que difficile pour l’économie algérienne appelée à faire face à des défis énormes avec peu de marges de manœuvre. La crise économique que traverse le pays depuis la chute du cours du baril de pétrole en 2014 risque de s’aggraver en 2021 sous l’effet d’un faisceau de facteurs dont les prémisses ont été observés en 2020, qui sont les résultats des décisions politiques sans visions stratégiques.
Des décisions politiques qui ont mis à genou le secteur privé algérien à cause d’une soi-disant lutte contre la corruption, qui affaiblit le secteur public dont la survie dépend nettement de la perfusion des banques publiques, quand l’Etat le souhaite, et qui font que l’économie algérienne est dans une situation critique.
Ainsi, au niveau politique, la décision des autorités politiques de confier la gestion des entreprises appartenant aux oligarques emprisonnés pour des affaires de corruption à des administrateurs, désignés par la justice qui n’ont aucune compétence dans le domaine de la gestion a été une véritable catastrophe.
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Pourtant, dès l’arrestation des oligarques, des juges enquêteurs avaient demandé à ce que la gestion des groupes et entreprises appartenant aux oligarques emprisonnés- Haddad, Tahkout, Kouninef, Mazouz, etc.- soient assurée par des «experts financiers agréés» pour assurer la pérennité des activités des groupes et préserver les emplois.
Hélas, ils n’ont pas été entendus par les politiques de l’époque, ni par leurs successeurs plus animés par des règlements de comptes. Résultat des comptes, ces groupes, qui constituaient des fleurons dans de nombreux secteurs sont aujourd’hui à l’agonie.
Les administrateurs désignés, incompétents, n’ont pas pu redresser les entreprises et ont même aggravé la situation de nombreuses entreprises d’entre elles.
Outre l’interdiction aux banques d’accorder des crédits à ces entreprises, les autorités ont aussi écarté ces entreprises des marchés publics. Il faut dire que les administrateurs désignés avaient presque pour objectif affiché de liquider les entreprises des oligarques au lieu de les gérer.
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Ainsi, la plupart des entreprises appartenant aux oligarques sont à l’arrêt. Du coup, l’opération anti-corruption a été un véritable échec économique. De grands groupes sont actuellement à l’agonie et plusieurs milliers d’emplois ont été supprimés, augmentant le nombre de chômeurs déjà élevé.
Conséquence, l’investissement privé est quasiment à l’arrêt en Algérie. Même Issad Rebrab, l’homme d’affaires le plus riche d’Algérie, libéré après 8 mois passés en prison dans le sillage de la lutte contre la corruption, voit toujours ses investissements bloqués par le régime en place, comme du temps de l’ancien régime de Bouteflika.
Au niveau du secteur public, la situation n’est pas meilleure. Plusieurs entreprises publiques ont du mal à payer les salaires de leurs employés et à s’approvisionner correctement. C’est le cas du Complexe sidérurgique d’El Hadjar dans la wilaya d’Annaba, de l’Entreprise nationale des industries électroménagères (Eniem) de Tizi-Ouzou, fleuron de l’électroménager, de l’Entreprise nationale des industries électroniques (Enie), fabricants de produits électroniques… Même la Sonelgaz, le géant du gaz et de l’électricité, croule sous le poids de dettes et a du mal à faire face à ses besoins d’investissements faute des impayés qui impactent négativement ses ressources.
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Toutes ces entreprises font face à des difficultés financières énormes et ont de graves problèmes de trésorerie. Et sans l’intervention du gouvernement, certaines d’entre elles risquent de faire faillite, sinon se retrouver dans des difficultés insupportables pouvant engendrer des tensions sociales incontrôlables.
Pour sauver ces entreprises, le gouvernement sera obligé de demander aux banques publiques d’ouvrir les vannes et pour celles qui sont dans des situations financières désastreuses, le Trésor sera appelé à la rescousse pour recapitaliser les banques.
Outre la crise que rencontrent de nombreuses entreprises privées, il faut aussi souligner les mauvaises décisions politiques qui ont conduit aux fiascos des unités de montage dans divers secteurs dont particulièrement l’automobile, l’électroménager et l’électronique. L’arrêt et la faillite de nombreuses entreprises de ces secteurs se sont traduits par des licenciements qui ont augmenté le nombre de chômeurs.
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La situation des entreprises publiques et privés a des conséquences sur l’économie algérienne dans sa globalité. Selon les autorités algériennes, le PIB aurait reculé de plus de 5% en 2020. Toutefois, certains observateurs estiment que la récession est beaucoup plus forte et la contraction du PIB dépasserait -10% en 2020.
Du coup, pour ce qui est des perspectives économiques, la reprise économique sera faible en 2021 et ne devrait pas dépasser 3% en raison des conséquences de la crise sanitaire du Covid-19 et de la persistance des incertitudes, notamment celles concernant le cours du baril de pétrole.
Et les déficits resteront abyssaux. La décision du président Abdelmadjid Tebboune de titulariser plusieurs dizaines de milliers de vacataires va augmenter les effectifs de la fonction publique et donc de la masse monétaire et creuser davantage le déficit budgétaire au moment où les ressources se font rares. Outre la faible contribution des entreprises publiques et privées en crise, la chute des recettes pétrolières qui représentent entre 50 et 60% des recettes budgétaires constituent un manque à gagner qui va aggraver le niveau du déficit budgétaire. La loi de finances 2021 prévoit un déficit budgétaire compris entre 14 et 18% du PIB.
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Quant au Fonds monétaire international (FMI), il prévoit un déficit de la balance des paiements de l’ordre de 16% du PIB pour 2021. Un niveau de déficit qu’il faudra financer alors que la cagnotte des avoirs extérieurs en devises s’épuise et devrait encore faire face au déficit du compte courant de 2021.
C’est dire que le gouvernement a des marges de manœuvre faibles. En effet, le pays a consommé l’essentiel de ses réserves de changes. Celles-ci sont passées de 194 milliards de dollars en 2014 à moins de 30 milliards de dollars actuellement, et ce, en dépit des politiques de limitation des importations visant à réduire des sorties de devises qui sont en partie derrière les nombreuses pénuries de produits enregistrées dans le pays. D’ailleurs, le niveau des réserves du pays semble devenir un secret d’Etat.
Dans cet environnement, tout indique que la crise financière déjà aiguë sera insupportable en 2021, sauf en cas d’une improbable flambée du cours du baril de pétrole. Et même en cas de hausse, il faut un cours moyen du baril de l’or noir de 107 dollars pour que le pays retrouve l’équilibre budgétaire. Or, selon le FMI et d’autres institutions, le cours moyen du baril devrait se situer entre 45 et 50 dollars en 2021.
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Du coup, les déficits jumeaux -budgétaire et opérations courantes- risquent de se creuser, posant un véritable problème de financement.
Et selon les analystes, à défaut de recourir à la planche à billets, le gouvernement algérien sera obligé de faire appel au FMI et devoir entreprendre des réformes douloureuses qui inquiètent un régime impopulaire. A ce titre, en laissant le dinar se déprécier fortement vis-à-vis des principales devises (euro, dollar, livre sterling,…), le gouvernement algérien répond à une des recommandations du FMI qui demandait une «dévaluation» du dinar qui est surévalué.
Cette situation montre une fois de plus que l’économie est le parent pauvre du gouvernement de Tebboune et ce, en dépit de l’annonce en fanfare de l’adoption du nouveau modèle économique. Son nouveau modèle annoncé en grande pompe le 18 août dernier par le président Tebboune et devant contribuer à diversifier l’économie algérienne et la faire sortir de la rente pétrolière n’a pas connu de début d’application.
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Conséquence de cette situation économique désastreuse, la tension sociale est explosive en Algérie. Le taux de chômage augmente pour se situer à plus de 15% de la population active en 2020. En outre, la hausse des prix et les pénuries de nombreux produits (lait, sardine, etc.) entrainent des mécontentements des citoyens dont le pouvoir d'achat ne cesse de s'éffriter sous l'effet des hausses des prix.
C’est dans ce contexte qu’une démission du gouvernement du Premier ministre Abdelmadjid Djerad est attendue après le retour du président Abdelmadjid Tebboune parti subir une opération au pied en Allemagne. Avant son départ, il avait marqué son insatisfaction des performances du gouvernement en soulignant qu’«il y a du bon et du moins bon». Ceux qui pilotent l’économie et les finances du pays risquent de payer les pots cassés d’une politique sans vision des dirigeants.