Algérie. Risque pays: après la mise en garde américaine, la Coface enfonce le clou

La répression prend des proportions inquiétantes.

La répression prend des proportions inquiétantes. . DR

Le 09/02/2021 à 12h41, mis à jour le 09/02/2021 à 12h45

La Coface estime que la pauvreté et le manque de perspectives sont une bombe à retardement pour l'Algérie, dans un contexte où tous les indicateurs sont au rouge. Du coup, le régime pourrait se montrer beaucoup plus répressif qu'il ne l'est actuellement.

"Une instabilité politique accrue", telle est la principale conclusion de la mise à jour effectuée ce mois de février 2021 sur le risque pays de l'Algérie par la Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur (Coface). Après les Etats-Unis qui ont fait passer le pays d'Afrique du Nord au niveau d'insécurité le plus élevé, c'est autour de l'assureur français de lui dresser un sombre tableau.

Selon cet assureur, qui est une référence dans la couverture des crédits sur les échanges internationaux, le pays nord-africain est dans une situation plus que délicate. Le tableau qu'il dresse est plus qu'édifiant. "La prévalence de la pauvreté, le manque d’opportunités d’emplois et le contexte économique difficile, exacerbés par la crise sanitaire, ainsi que le sentiment que rien ne change vraiment dans la gouvernance, alimenteront probablement le mécontentement", estiment les experts de la Coface.

"L’Algérie est entrée en récession en 2020 suite à la crise du Covid-19. Très dépendant du secteur des hydrocarbures (21% du PIB et 93% des exportations), le pays a été confronté à l’effondrement des cours d’hydrocarbures lié à la faible demande mondiale et aux contraintes de l’accord OPEP+ en matière de production pétrolière. Par ailleurs, afin de juguler l’épidémie du Covid-19, le gouvernement a imposé des mesures de confinement dès février 2020, comme par exemple l’annulation des vols commerciaux. Puis, s’est ajoutée la fermeture des écoles, commerces, restaurants et frontières", souligne la Coface.

Et il faut dire que les statistiques sur la précarité, le chômage, le commerce extérieur, le budget ou encore l'inflation montrent une situation alarmante. En effet, d'après la direction générale algérienne des impôts, 45% des travailleurs algériens perçoivent moins de 30.000 dinars, soit quelque 212 dollars selon le cours de change officiel et seulement 176 dollars si l'on s'en tient au cours de change en vigueur à Square Port Saïd. Or, à ce niveau de salaire, il suffit d'avoir 2 à 3 personnes à charge pour entrer dans les critères de pauvreté de la Banque mondiale.

Concernant le chômage, il atteint 16,5% en 2020 contre 12,1% en 2019, selon la Coface, alors que celui des jeunes dépassent allègrement le taux de 30%. Ce chômage est exacerbé par les faillites multiples des petites et moyennes entreprises, d'autant que l'économie qui reste peu diversifiée connaît beaucoup de difficultés.

Les autres indicateurs sont au rouge, pour la plupart d'entre eux. D'après la dernière loi de finances, le déficit budgétaire devrait être en 2021 de l'ordre de 17,6% du PIB à 3614 milliards de dinars, soit quelque 27,6 milliards de dollars, au cours de change officiel. Selon l'agence Bloomberg, le déficit de l'année dernière est de l'ordre de 20% du PIB, un niveau qui montre clairement que l'Etat algérien vit au-dessus de ses moyens.

De plus, malgré la ferme décision de limiter l'effondrement des réserves de change, le gouvernement n'a pas réussi à inverser la tendance, en 2020. Le déficit de la balance des paiements a été de 13,8% du PIB accentuant la sortie de devises.

Pour la Coface, le régime algérien pourrait devenir plus répressif qu'il ne l'est déjà. "La tolérance de l’armée et du gouvernement à l’égard des troubles pourrait diminuer et les mesures de sécurité être renforcées", affirme l'assureur français dans des propos plutôt édulcorés.

Sans oublier que la grande muette algérienne, qui y est à présent autorisée par la nouvelle Constitution, pourrait être amenée à intervenir également dans les pays voisin. "Le rôle majeur tenu (par l'armée) sur la scène intérieure, pourrait s’accroître à l’extérieur dans un contexte marqué par les infiltrations de djihadistes provenant de Libye et du Mali, ainsi que le désaccord avec le Maroc sur le Sahara occidental.

Pour que le tableau devienne moins sombre qu'il ne l'est actuellement, il faut que les cours de l'unique ressource du pays s'améliorent. Mais ce n'est pas gagné d'avance. Car en 2021, "bien qu’en hausse par rapport à 2020, les prix et la demande d’hydrocarbures devraient rester sous leur niveau d’avant la crise, ce qui continuera d’impacter les recettes d’exportations (21,6% du PIB)", avance prudemment l'organisme de couverture contre les risques liés aux échanges extérieurs. "De plus, malgré une modeste augmentation des quotas de production de l’OPEP+, les contraintes imposées par cet accord continueront de brider la production pétrolière en 2021", prévient toujours l'organisme d'assurance crédit.

De plus, la consommation des ménages qui pèse pour 44% du PIB continuera à rester faible en raison de la précarité, du chômage et de la baisse des envois de fonds des Algériens résidents à l'étranger. L'aide gouvernementale qui n'est que de 0,4% du PIB est-elle suffisante pour contribuer à doper cette consommation? Rien n'est moins sûre, d'autant que "l’incertitude politique et économique" demeure "persistante".

Pire encore, "les investissements (37% du PIB), notamment publics, qui concernent principalement les hydrocarbures, les infrastructures et le logement, ont été gelés. En 2021, ils ne devraient que légèrement reprendre en raison des conditions budgétaires toujours difficiles et des incertitudes économiques, malgré l’abrogation, en juin 2020, de la loi plafonnant à 49% la participation étrangère dans une firme algérienne, hors secteurs stratégiques", note toujours la Coface.

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 09/02/2021 à 12h41, mis à jour le 09/02/2021 à 12h45