La sortie médiatique du ministre des Finances, Aymen Abderrahmane, soulignant que "l’inflation est très maîtrisée en Algérie et la monnaie nationale n’est pas en cours d’effondrement et s’appréciera fin 2021", continue à susciter des remous en Algérie. A l’occasion de sa dernière sortie le 13 mars, dans une déclaration faite à la presse, le ministre a donc assuré que "le dinar deviendra plus fort" à la fin de l’année 2021. Il a également avancé le lancement de nombreux projets qui vont permettre au dinar algérien de reconquérir sa valeur.
Seulement la sortie du ministre n’a convaincu personne, surtout pas les économistes algériens, et encore moins les ménages qui font face à la flambée des prix. Des hausses de prix dues essentiellement à la politique volontariste de laisser le dinar se déprécier face aux devises (euro, dollar,…) décidée par le gouvernement dans le but d’atténuer le niveau du déficit budgétaire dans le sillage de la baisse des recettes d’exportations des hydrocarbures.
Le dinar continue de se déprécier
Concernant d’abord le dinar, rappelons qu'en 2020, la monnaie s’est dépréciée de 20% par rapport à l’euro et de 11% vis-à-vis du dollar. Ainsi, depuis début 2019, le dinar algérien a perdu plus de 33% de sa valeur vis-à-vis de l’euro, au niveau officiel. Résultat: mercredi 17 mars, il fallait 159,20 dinars pour 1 euro et 133,80 pour 1 dollar.
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Mais en absence d’un véritable marché officiel de change, c’est le marché parallèle qui fait œuvre de baromètre du taux de change. Sur Square Port-Said, le principal marché parallèle de devises d’Alger, à la même date, il fallait débourser 211 dinars pour 1 euro et 178 pour 1 dollar. La dépréciation du dinar sur ce marché devrait connaître une envolée notable dès que les frontières fermées à cause du Covid-19 seront ouvertes.
Et comment le ministre peut-il avancer une appréciation du dinar alors que sa dépréciation est inscrite dans la loi de finances 2021 avec des cibles de 142 dinars pour 1 dollar et 172 pour 1 euro, au terme de l’exercice en cours?
Une pseudo hausse du cours du baril de pétrole
Contrairement à l’affirmation de l’argentier du pays, le dinar va continuer à se déprécier afin de ne pas exploser le déficit budgétaire déjà abyssal. Il faut souligner que la chute du dinar a un effet mécanique sur les ressources budgétaires qui dépendent à plus de 50% des devises générés par les exportations des hydrocarbures.
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La chute du dinar s’explique donc par la situation économique catastrophique que traverse l’Algérie, la baisse du cours du baril de pétrole qui impacte négativement les réserves en devises du pays, la politique monétaire dictée par la crise et la volonté du gouvernement de juguler le déficit budgétaire, sachant que le président Abdelmadjid Tebboune refuse l’option d’endettement extérieur pour financer le déficit.
Le ministre des Finances qui a reconnu que "la monnaie est le miroir de l’économie nationale", n’ignore pas la situation que traverse l’Algérie, à moins que la hausse du cours du baril au cours de ces derniers jours ne soit derrière l’élément fondamental de son analyse. Certes le cours du baril a frôlé la barre des 70 dollars la semaine dernière en s’établissant 69,55 dollars le 5 mars, mais a reculé depuis pour se situer à 63,67 dollars à la clôture de la séance du 19 mars.
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Cette hausse, comparativement au cours de l’année dernière, ne permet pas à l’Algérie de retrouver l’équilibre budgétaire. En effet, le pays a besoin d’un cours moyen du baril de pétrole à 110 dollars pour retrouver l’équilibre budgétaire en 2021, selon le FMI. Or, il est très peu probable que le prix du baril s’approche des 100 dollars.
Où sont les projets d’envergure?
De quels projets d’envergure parle précisément le ministre pour relancer la croissance économique algérienne sachant que tous les grands projets ont été gelés à cause de la chute inquiétante des réserves en devises du pays. Le gouvernement continue d’ailleurs à serrer la vis sur les importations de produits créant des pénuries pour de nombreux produits (véhicules, médicaments, produits alimentaires, ….).
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Les deux projets sur lesquels s’appuie le ministre des Fiances pour annoncer la reprise du dinar, ressemblent à de simples effets d’annonces. En effet, parmi les projets structurant évoqués dernièrement figurent le méga-projet intégré des phosphates et le port en eau profonde d’El Hamdania, en projet depuis 2015, et qui nécessitera 7 ans de travaux. L'investissement nécessaire cumulé pour les deux est de plus de 13 milliards de dollars, financés en très grande partie par la Chine. Ces deux projets réactivés récemment par Tebboune nécessiteront donc plusieurs années de réalisation et ne risquent donc pas d'impacter le cours du dinar en 2021. Et aucun autre projet d’envergure n’est prévu. Au contraire, le pays, qui ne dispose plus d’un matelas de devises conséquent, a gelé de nombreux projets et durcit toute sortie de devises.
Comment le dinar pourrait-il reprendre de la valeur?
Pour que le dinar remonte la pente, il faudrait la conjugaison de plusieurs facteurs qui ne sont pas réunis. D’abord, l’Algérie doit renouer avec une croissance économique forte, au moins supérieur à 4% pour créer de la valeur et des emplois, et ce sur plusieurs années. Or, la crise économique est telle que des pans entiers de l’économie algérienne sont à terre. Plusieurs secteurs d’activité (automobile, électroménager, électronique, BTP, etc.) traversent une crise aiguë et de nombreuses entreprises publiques et privées sont quasiment en faillite.
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Ensuite, le niveau d’inflation est inquiétant et contribue à la perte de valeur de la monnaie locale. A ce titre, il faut souligner que les chiffres avancés par les autorités pour nier l’inflation sont loin de correspondre à la réalité du panier de la ménagère. Et l’inflation est aggravée par la dépréciation du dinar qui rend les produits importés et ceux nécessitant des intrants importés beaucoup plus chers.
Par ailleurs, ce cours est lié à une meilleure maîtrise du déficit budgétaire et à son mode de financement. Selon les estimations du FMI, ce déficit devrait atteindre un niveau record de 21,75 milliards de dollars en 2021, contre 18,60 milliards de dollars en 2020. Pour financer ce déficit, à défaut de s’endetter à l’extérieur, une option exclue par les autorités, la "dévaluation déguisée" du dinar, comme en 2020, sera reconduite.
Enfin, le cours du dinar est lié à celui du matelas en devises du pays qui dépend des recettes d’exportations constituées à hauteur de 95% des hydrocarbures. En clair, la vigueur du dinar dépend beaucoup du cours du baril de pétrole. Or, les réserves en devises ne cessent de chuter depuis 2014. Après avoir atteint 194 milliards de dollars fin 2013, 97,33 milliards en 2017, 62 milliards en 2019, elle se situe à 42 milliards de dollars, selon les données annoncées par Tebboune récemment, et moins de 30 milliards de dollars selon l’ancien ministre de l’Industrie Ferhat Aït Ali. Au rythme des baisses annuelles enregistrées au cours de ces dernières années, les réserves en devises devraient tomber sous la barre des 20 milliards de dollars à fin 2021, à moins que le cours du baril se redresse très fortement d’ici là, ce qui est très peu probable. Du coup, on pourrait assister à une accélération de la chute du dinar et non à son appréciation.
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Quant à l’inflation, il faut noter que l’effondrement continue du dinar a un impact négatif sur le pouvoir d’achat des Algériens. Durement échaudés par la crise sanitaire, les citoyens ont vu leur pouvoir d’achat réduit considérablement par la chute orientée du dinar.
Les ménages paient le prix fort
La chute du dinar face aux devises qui se fait sentir sur les ménages avec la hausse généralisée des prix, et surtout des produits alimentaires de première nécessité comme le lait. Et contrairement à l’annonce du ministre selon laquelle l’inflation est "très maîtrisée", l’Algérie fait face à une inflation sans précédente.
Ainsi, de janvier à mars, certaines marques de pâtes flambent de 20 à 30 dinars supplémentaires, pour arriver jusqu’à 120 dinars pour une marque connue en Algérie. Ceci équivaut à quasiment le double comparé aux prix d’il y a à peine une année.
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Des médias algériens avancent que les prix des légumes secs et produits laitiers ont connu, durant la même période, des hausses de plus de 20%. Les viandes aussi sont concernées par cette flambée. Le poulet qui coûtait 200 à 300 dinars le kg en janvier dernier coûte actuellement autour de 400 dinars le kg, soit quasiment le double là encore.
Quant à l’huile de table, un produit de première nécessité, il est tout simplement devenu introuvable. Avec la hausse des matières premières, les producteurs locaux ont baissé la marge bénéficiaire des grossistes pour conserver le plafond des prix des huiles. Ces derniers l’ont à leur tour répercuté sur les détaillants. Or, les commerçants détaillants étant obligés de respecter les prix plafonnés pour ce produit, leur marge est devenue insignifiante, si bien qu’ils ne souhaitent plus la commercialiser et qu’elle disparaît donc des étals.
Quant aux poissons, ils sont seulement inaccessibles pour les Algériens de la classe moyenne, sachant que le prix du kilogramme de la sardines avait franchit la barre des 1.000 dinars (6,30 euros), bien avant cette nouvelle flambée des prix.
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Les Algériens ayant un salaire et une retraite modestes paient donc un lourd tribut et craignent de nouvelles flambées à la veille du mois de ramadan. Le Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique (Snapap) et la Confédération générale autonome des travailleurs (CGATA), dans une étude conjointe, considèrent que le salaire minimum est insuffisant. Selon leur étude, une famille constituée de 5 membres a besoin d’un budget mensuel viable de 81.751 dinars pour couvrir complètement ses besoins.
Autant dire qu’à l’approche du ramadan, les Algériens retiennent leur souffle.