Liberté syndicale: épinglée, l’Algérie s'attaque à l'OIT et boude lors de la conférence de Genève

Mourad Zemlali, ministre du travail algérien

Mourad Zemlali, ministre du travail algérien. DR

Le 07/06/2018 à 14h19, mis à jour le 07/06/2018 à 14h25

Rien ne va plus entre Alger et l'Organisation internationale du travail (OIT). Le ministre algérien du Travail a boudé les travaux de l'OIT à Genève et le pays refuse d'accueillir la délégation de haut niveau que compte envoyer cette agence de l'ONU.

A Genève, où se tient la plus importante rencontre annuelle de l’Organisation internationale du travail, l’Algérie s’est distinguée d’une fort honteuse manière. En effet, le ministre du Travail Mourad Zemlali et la délégation qu’il dirigeait se sont purement et simplement retiré des travaux de la Commission de l’application des normes de l’OIT qui avait adressé de nombreux reproches à l’Algérie concernant la non-application du droit des salariés. 

Avant de choisir la fuite, la délégation algérienne, présente à la conférence internationale du travail à Genève ouverte le 28 mai 2018 et qui prend fin demain 8 juin, a bien tenté de réfuter les remontrances de l’OIT concernant le non-respect du droit de grève et l’absence de liberté syndicale. Mais ses explications ont été balayées d’un revers de main par les experts de l’agence.

Preuve qu'Alger n’a pas convaincu, la Commission de l’application des normes de l’OIT a insisté pour envoyer une délégation sur place afin d'entendre les parties concernées et de mener une enquête impartiale. Mais, les autorités algériennes, comme chaque fois qu’elles sont coincées pour des faits graves, persistent dans leurs explications creuses. Elles ont ainsi rejeté la demande de l’OIT arguant avoir fourni "toutes les informations à même de contribuer à l'éclairer concernant les observations adressées à l'Algérie par la commission d'experts, étayées de tous les documents probants et de toutes les pièces justificatives". Le ministre algérien du Travail, Mourad Zemlali, s’est même permis de feindre la "surprise". Pourtant, nul n’ignore que la Commission de l’application des normes de l’OIT ne prend jamais pareille décision s’il n’y a pas de manquement grave à l’application du droit du travail.

Les autorités algériennes, visiblement à court d’arguments, ont convoqué leur sempiternelle justification chaque fois qu’une instance internationale les épingle. Elles qualifient la décision de l’OIT de "pratiques qui constituent une atteinte à la souveraineté nationale et à l'indépendance de la magistrature algérienne et contraires à la réalité du paysage syndical pluraliste en Algérie et à l'expérience algérienne en matière de dialogue social".

Pire, Mourad Zemlali affirme que cette décision de l’OIT "est une grave dérive qui porte atteinte à l'impartialité de la Commission et à sa crédibilité". Il estime également que cette décision est la preuve d’un "dysfonctionnement du mécanisme de la Commission d’application des lois", avant d’insinuer que les normes ne sont pas fixées dans des conditions claires.

Il faut dire que le contexte social est extrêmement tendu en Algérie. Jamais un jour ne passe sans que des syndicats ne décrètent des mouvements de grève. Et la réponse des autorités se limite souvent à la répression. C’est le cas notamment des médecins internes qui mènent un bras de fer avec le régime algérien depuis plusieurs mois. A maintes reprises, leurs manifestations ont été réprimées. A Oran, mi-mai, les forces de l’ordre ont usé de violence pour empêcher un sit-in des médecins résidents. Les photos postées sur la page Facebook du Collectif autonome des médecins résidents algériens (CAMRA), montrent plusieurs blessés graves ayant pour certains perdu connaissance.

Quant aux enseignants grévistes, le ministère de l’Education a fait radier 3.000 d’entre eux de la fonction publique, en février dernier, afin de les intimider. Même la justice est instrumentalisée pour casser des mouvements sociaux. Il existe une infinité de décisions de justice qualifiant les mouvements de grève d’illégaux. Ce fut le cas en janvier dernier. Un tribunal d’Alger avait osé déclarer "illégale" la grève des médecins. Tout comme celle des employés d’Air Algérie.

C’est donc cette série de faits gravissimes constituant des entraves aux droits des syndicats qui ont alerté la Commission de l’application des normes de l’OIT au point de l'inciter à envoyer une délégation de haut niveau en Algérie. Cependant, comme toujours, Alger opte pour la politique de l’autruche.

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 07/06/2018 à 14h19, mis à jour le 07/06/2018 à 14h25