Algérie. Migration: "Marche ou crève", l'enquête d'Associated Press qui accable Alger

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Le 25/06/2018 à 21h23, mis à jour le 25/06/2018 à 21h24

Après l'Organisation internationale de la migration et les ONG des droits de l'Homme, c'est au tour de l'agence Associated Press de mener une enquête accablante sur les pratiques inhumaines d'expulsion de Subsahariens par Alger. Les témoignages donnent froid dans le dos.

Avec le traitement que réserve l'Algérie aux migrants subsahariens, et à chaque fois que l'on croit avoir atteint le sommet de l'horreur, un nouveau récit apporte la preuve du contraire. Cette fois, c'est l'agence américaine Associated Press qui dresse un tableau qui ne manquera pas de faire sursauter les responsables algériens, prompts à nier les évidences et à crier au complot.

Les journalistes d'AP qui étaient sur place à Assamakka au Niger, au niveau de la frontière avec l'Algérie, racontent. "Depuis le poste-frontière isolé dans le sable du désert du Sahara, on peut apercevoir des migrants affluer par centaines. Au loin, on dirait des spectres en progression pénible dans l'un des endroits les plus inhospitaliers de la planète".

Et les auteurs du reportage de rappeler que l'Algérie a jeté dans ce désert pas moins de 13.000 migrants durant les 14 derniers mois, "y compris des femmes enceintes, des enfants, les jetant dans le désert sans nourriture, sans eau, quelquefois sous la menace d'une arme à feu, sous des température qui descendent rarement en deçà de 48 degrés".

Au Niger où aboutissent la plupart, "les plus chanceux auront traversé un no man's lands de 15 km menant à Assamakka, une bourgade qui est moins une ville qu'un ensemble de bâtiments en torchis plongeant dans les dépôts de sable", écrivent les deux journalistes d'AP. Et de poursuivre: "les autres, les moins chanceux, ceux qui désorientés, déshydratés errent des jours durant avant qu'une équipe de secours des Nations-Unies les prenne en charge". Rapportant les récits d'au moins deux douzaines de migrants, ils affirment qu'un "nombre incalculable de migrants meurent en cours de route, faute d'avoir la force de poursuivre leur chemin".

"Des hommes et des femmes s'étendaient raides morts. D'autres personnes se sont égarées, parce qu'elles ne connaissaient pas le chemin", affirme Janet Kamara, enceinte au moment de son expulsion. Elle-même garde les traces du douloureux périple: son bébé est mort-né et elle l'a enterré dans le sable mou du désert. Le sang a coulé des jours durant le long de sa jambe et quelques semaines plus tard, ses chevilles sont encore enflées. Aujourd'hui à Arlit, elle est ébranlée par cette expérience, dormant sur le sable, dans ce qu'elle appelle "le Désert",

Kamara, un Libérien qui tenait un restaurant-bar dans son domicile à Alger et qui a été expulsé en mai dernier, affirme avoir perdu son enfant. Une autre femme, la vingtaine, expulsée au même moment, rapporte son calvaire et explique que son bébé, qui venait juste de naître, n'a pas survécu non plus.

Toujours selon les confrères de la très sérieuse agence de presse, les expulsions ont fortement augmenté à partir d'octobre 2017.

L'Algérie ne fournit aucune donnée statistique concernant les expulsions, cependant, le nombre a considérablement augmenté depuis que l'Organisation internationale de la migration (OIM) des Nations-Unies a commencé son décompte en mai 2017. De 135 personnes durant ce premier mois, les expulsés ont atteint le pic de 2.888 en avril 2018, soit un total de 11.267 hommes, femmes et enfants, ayant survécu à la marche. Combien ont péri? Nul ne le saura jamais, mais pratiquement chaque vague d'expulsés laisse des morts derrière elle. A ces 11.267 personnes expulsées vers le Niger, s'ajoutent environ 2.500 autres qui ont été jetées à la frontière avec le Mali, avec le même sort: famine, soif, égarement et bien sûr la mort au bout pour plusieurs d'entre eux.

Les migrants auxquels Associated Press a parlé racontent qu'ils sont regroupés par centaines avant d'être acheminés vers des camps. Ils sont ensuite conduits dans des camions pour rallier un endroit dénommé Point Zéro, à la frontière avec le Niger. Cependant, début juin, 217 hommes, femmes et enfants ont été jetés bien avant le Point Zéro, à 30 km de la plus proche source d'eau, selon l'OIM.

Et il faut dire qu'ici, tout est dans des conditions extrêmes. Quelques secondes après avoir touché le sol, la chaleur traverse les chaussures les plus épaisses. La sueur sèche instantanément au contact de l'air, procurant un certain soulagement par rapport aux durs rayons du soleil. A chaque inspiration, c'est comme si l'on inhalait les émanations d'un four, mais il n'y a pas de moyen de faire demi-tour.

"Il y avait des personnes qui ne pouvaient continuer. Elles se sont assises en chemin. Nous les avons laissées là-bas. Elles souffraient trop", raconte Aliou Kandé, un Sénégalais de 18 ans. Kandé explique que plusieurs expulsés ont abandonné leur marche en cours de route, s'affalant sur le sable. Son groupe d'un millier de personnes s'est perdu, errant dans le désert de 8h du matin à 19h au soir, les personnes qui étaient perdues de vue n'ont jamais été retrouvées à nouveau. Le seul mot qu'il répète sans cesse : "calvaire".

Ce jeune sénégalais accuse la police algérienne de lui avoir tout volé, les 40.000 dinars qu'il avait gagnés, environ 340 dollars, mais également un téléphone portable de marque Samsung. "Il nous ont jeté au milieu du désert, sans téléphone, sans argent. Je ne peux même pas vous le décrire", explique toujours Kandé.

AP affirme que tous ces récits sont corroborés par des centaines de vidéos amateurs qu'elle a collectées pour étayer son enquête. Ces images montrent des centaines de personnes en file indienne, embarquant de force dans des camions. Ces mêmes camions formant un très long convoi à perte de vue à travers le désert.

"Ils vous conduisent à l'autre bout de l'Algérie, en plein milieu du désert et, du bout du doigt, ils vous désignent le Niger", explique Tamba Dennis, un autre Libérien qui était en Algérie après l'expiration de son visa de travail. "Si vous ne pouvez pas amener avec vous de l'eau, certains meurent en cours de route", poursuit-il sans préciser combien n'avaient pas survécu.

L'Agence AP affirme avoir contacté les autorités algériennes qui se sont refusées à tout commentaire concernant les preuves qui accablent tant le gouvernement de Bouteflika et Ouyahia. Rien d'étonnant, puisque quand l'OIM a sorti un rapport sur le sujet, Alger s'était offusqué d'avoir été pointé du doigt.

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 25/06/2018 à 21h23, mis à jour le 25/06/2018 à 21h24