"Mille milliards de dollars sont partis dans les toilettes", a déclaré dans une interview sur la chaîne Al-Magharibiya Ali Benouari, ancien ministre algérien du Trésor (1991-1992), usant ici d'une métaphore qui en dit long sur ce qu'il pense de l'usage que le régime a fait de la manne pétrolière.
S'il déplore ce que l'Algérie est devenue malgré ses immenses richesses, c'est bien à Abdelaziz Bouteflika qu'il a fait porter le bonnet d'âne, le considérant comme le pire de tous ceux qui ont eu à diriger le pays. Pour Ali Benouari, Bouteflika s'est lancé dans des investissements farfelus et l'achat de la paix sociale, exercice dans lequel il excellait, afin de faire oublier son illégitimité.
"Entre 1962 et 1999, l’Algérie a eu à son actif beaucoup de réalisations concrètes avec une manne de seulement 40 milliards de dollars", rappelle Ali Benouar. "Ben Bella, Boumediene, Chadli et tous les autres chefs d’Etat qui l’ont précédé avaient moins de moyens et ils ont pourtant été à l’origine de réalisations qu’il [Bouteflika] n’a pas pu accomplir en vingt ans de règne malgré un baril de pétrole à 140 dollars", souligne-t-il.
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Et d'ajouter: "les anciens gouvernements ont fait beaucoup avec très peu, alors que les actuels ont eu beaucoup d’argent et zéro réalisation. Avec 1.000 milliards de dollars entre 1999 et 2019, et dont il ne reste aujourd’hui que quelque 70 milliards, le régime précédent a tout dilapidé en ne laissant qu’une autoroute. Et dans quel état. Tout le reste est parti dans la consommation ou les toilettes. Rien dans les investissements ou sans concrètes réalisations".
Pour Ali Benouari, "le gouvernement précédent et actuel n’a aucune excuse. Il avait le temps et l’argent pour tout faire, investir, créer de la richesse… Finalement en 2021, il se retrouvera sans le sou, alors qu’il a créé lui-même des besoins sociaux incompressibles en achetant chèrement la paix sociale."
Pour bien comprendre l'amertume et le dégoût de l'ancien ministre, il faut revenir aux recettes pétrolières engrangées par le régime de Bouteflika. Puisque les années 2000 à 2014 sont celles qui auraient pu permettre à l'Algérie de réellement décoller. En effet, à partir de janvier 2002, on assiste à une croissance régulière des cours du brut. De 16 dollars, le prix du baril de Brent passera à 48,8 dollars dès novembre 2004, une première dans l'histoire des hydrocarbures.
Puis, il atteindra 75 dollars en juillet 2006, avant de culminer à 140 dollars en juillet 2008. Même s'il y eu une correction à partir de ce plus haut historique de tous les temps, les prix remonteront et se stabiliseront autour de 100 dollars entre 2010 et 2014.
Pendant ce temps, l'Algérie n'aura rien fait de plus qu'acheter des armes, augmenter les salaires sans réelle contrepartie et importer jusqu'à 30.000 ouvriers chinois pour assurer la construction de routes, de la Grande mosquée d'Alger, de logements ou d'hôtels.
Concernant l'achat de la paix sociale, il s'est fait de manière débridée, sans réellement penser au lendemain.
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Avec un baril au-delà de 100 dollars, l'Algérie, devenue le nouveau riche de l’Afrique du Nord, dépensera sans compter, pas uniquement pour les salaires, mais dans tous les domaines, exception faite de l’investissement productif bien sûr. Ainsi, les dépenses courantes du budget algérien exploseront littéralement entre 2007 et 2015. Elles passeront de 22 milliards à 62 milliards de dollars, soit presque du simple au triple.
Et sur ces 62 milliards de dollars, plus de 40 milliards étaient consacrés au paiement des salaires en 2015, après des augmentations successives à partir de 2010, dans un contexte tendu de printemps arabes dans plusieurs pays d'Afrique du Nord. C’est dire que la totalité des recettes supplémentaires du pétrole est passée dans le paiement des salaires.
L’Algérie n’a donc pas songé à diversifier son économie. Pire, estimant que plus jamais les cours du pétrole ne redescendraient à moins de 80 dollars, elle n’a pratiquement fait aucun effort pour attirer les investissements directs étrangers. Ainsi, la loi 51/49% qui fixe la limite du capital que peuvent détenir des étrangers dans une entreprise a été votée et étendue à pratiquement tous les secteurs.
Une manière de dire aux investisseurs étrangers, "nous n’avons pas besoin de vous". En tous cas, beaucoup le pensent. Quoi qu’il en soit, ces dispositions sur lesquelles le régime cherche aujourd'hui à revenir ont sensiblement amoindri l’attractivité du pays.
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Puis, vint la fin de l’euphorie pétrolière: les cours du baril qui sont passés de 140 à 45 dollars entre 2012 et 2016. Aujourd'hui, avec la crise induite par le Covid-19, les cours sont redescendus à environ 30 dollars et beaucoup d'experts pensent qu'ils ne remonteront pas avant plusieurs mois. Ce qui risque d'être fatal à un pays qui n'a d'autres ressources en devises que le pétrole et dont les hydrocarbures ne couvrent pas moins de 60% des recettes fiscales.
Car le vrai problème, c'est justement que l’économie algérienne n'ait jamais su se réinventer, notamment avec des relais de croissance capables d’assurer des recettes régulières différentes du pétrole. Au contraire, elle n'a pas cessé de connaître des fiascos tous aussi retentissants les uns que les autres.
La dernière en date est liée à la tentative d'installer une industrie automobile en calquant la stratégie marocaine. Malheureusement, cela n'a servir qu'à enrichir des oligarques, des ministres de l'Industrie, voire d'anciens Premiers ministres, avec justement les "1.000 milliards de dollars partis dans les toilettes".
Face à cet échec, le peuple algérien s'est soulevé pour chasser Abdelaziz Bouteflika, le régime de généraux et de prébendiers qui ont accaparé les richesses du pays et faisant de la corruption une norme de gouvernance. Certes, celui qui a cherché un cinquième mandat est bien parti, mais les apparatchiks sont plus présents aux affaires que jamais auparavant. Pire, ils sont allés jusqu'à tirer la chasse d'eau après avoir jeté les 1.000 milliards de dollars dans les toilettes.