Trente mois après le soulèvement populaire antisystème du Hirak, et malgré "l'Algérie nouvelle" vantée par le régime, l'Assemblée nationale issue du scrutin du 12 juin va ressembler à s'y méprendre aux parlements de l'ère Bouteflika, soulignent les analystes.
Selon des résultats encore provisoires, le Front de libération nationale (FLN), première formation du Parlement sortant, est sorti vainqueur d'une élection sanctionnée par une abstention historique (77%).
En fort recul, l'ex-parti unique a néanmoins bénéficié de son implantation ancienne --il a incarné la lutte pour l'indépendance (1962)-- et de son réseau de militants, surtout en province.
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En conséquence, le politologue Mansour Kedidir prédit le "statu quo". "Je ne pense pas qu'il y ait un renouveau", dit-il.
Le FLN, malgré son association avec le président déchu Abdelaziz Bouteflika, arrive en tête devant un groupe disparate d'indépendants, des islamistes légalistes et un vieil allié proche du pouvoir, le Rassemblement national démocratique (RND).
Les résultats "semblent montrer que le président (Tebboune) n'a pas réussi à mobiliser une base sociale différente de celle du président précédent", analyse l'universitaire Louisa Dris-Aït Hamadouche.
- "Doublement illégitime" -
Devenu quasiment invisible après un AVC en 2013, Abdelaziz Bouteflika a été chassé du pouvoir sous la pression de la rue et de l'armée en avril 2019, après 20 ans de règne. Le Hirak, le mouvement populaire qui a forcé l'ex-homme fort à la démission, réclame, en vain, un changement radical du "système" de gouvernance depuis l'indépendance.
Aussi, M. Tebboune se retrouve aujourd'hui devant "une assemblée doublement illégitime: participation très basse et partis politiques discrédités", avance Mme Dris-Aït Hamadouche.
Le FLN, le RND et les islamistes du Mouvement de la société pour la paix (MSP), ainsi que quelques indépendants, ont de fait soutenu M. Bouteflika pendant plusieurs mandats.
Et l'assemblée qui s'annonce pourrait revoir la même coalition aux commandes.
Principal parti islamiste, le MSP s'est dit mercredi prêt à étudier toute proposition d'entrée au gouvernement.
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"La victoire des partis traditionnels s'explique par le fait que les candidats préfèrent s'adosser à eux pour gagner", souligne Smaïl Debeche, analyste politique.
Mais ce succès est entaché par le taux de participation le plus bas (23,03%) de l'histoire de l'Algérie, toutes élections confondues, selon l'Autorité nationale indépendante des élections (ANIE). L'abstention est le "plus grand parti en Algérie", rappellent les analystes.
Le Hirak et une partie de l'opposition laïque et de gauche qui avaient appelé à boycotter le scrutin, avaient disqualifié à l'avance une "mascarade électorale" et une "fuite en avant" du régime.
Le résultat du scrutin "donne raison" à ce que dénonce le Hirak, durement réprimé par le pouvoir, assure Mme Dris-Aït Hamadouche.
- "Enorme gâchis" -
"Les 18 millions d'Algériens qui n'ont pas voté prouvent que la défiance (à l'égard du pouvoir) est encore plus forte que le Hirak lui-même", estime-t-elle.
Pour le politologue Mansour Kedidir, les législatives "ont donné un argument de taille au Hirak", dont les manifestations hebdomadaires sont désormais interdites.
"Cela signifie que tout ce qui a été scandé dans les marches s'avérait juste. Le système politique refuse le changement".
Il s'agissait des premières législatives depuis le déclenchement de ce mouvement inédit, pacifique et sans véritable figure de proue.
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Si des analystes pointent le troisième échec du président Tebboune après sa propre élection avec un faible score fin 2019 et le référendum constitutionnel en novembre, déserté par les Algériens, d'autres considèrent qu'il a désormais les mains libres pour appliquer sa "feuille de route".
Le pouvoir est déterminé à "normaliser" le fonctionnement des institutions et reprendre la main après le séisme du Hirak, mais en ignorant les revendications de la rue: Etat de droit, transition démocratique, souveraineté populaire, justice indépendante.
"Résultat: un énorme gâchis, avec un pouvoir qui tourne en rond, un pays qui stagne, une société non structurée, des institutions désespérément vides, et un Hirak en lambeaux", assène le journaliste et écrivain Abed Charef.
Prochaine étape: la désignation d'un Premier ministre --l'actuel, Abdelaziz Djerad, pourrait être reconduit-- et la formation d'un nouveau gouvernement, avant des élections locales en automne.
"La première difficulté sera de former un gouvernement cohérent" alors que le pays est confronté à une grave crise politique, économique et sociale, avance Mme Dris-Aït Hamadouche.