Dans un rapport cinglant, l’organisme américain Graphika, spécialisé dans la détection de la désinformation via internet, met en lumière, les pratiques du régime algérien, qui a savamment coordonné une campagne dans les réseaux sociaux grâce à des dizaines de comptes fictifs, et non des moindres, en termes d’audience.
Graphika est un organisme parrainé et financé par «Defense Advanced Research Projects Agency» (Agence pour les projets de recherche avancée de défense) qui est une agence du ministère de la Défense des États-Unis.
Parmi les faux-comptes épinglés et supprimés, la page DzairTV qui avait cumulé quelque 1,7 million de followers, H’na Djazair qui en comptait 332.237, détaille le cabinet. Et au total, quelque 3,97 millions d’internautes suivaient un ou plusieurs de ces faux comptes et fausses pages utilisés pour la propagande du régime et le dénigrement des voix dissidentes, selon la même source.
Le rapport intitulé «Mettre au jour un effort pluriannuel de l’Algérie pour manipuler les discours politiques en ligne et étouffer les voix dissidentes» a été réalisé à la suite de la découverte et de la suppression de profils mobilisés dans les réseaux sociaux pour mener une campagne de désinformation.
D’abord, «le 8 juillet, Facebook a déclaré avoir supprimé en juin une série de comptes, de groupes et de pages administrés depuis l'Algérie ayant un “comportement inauthentique coordonné“ pour cibler les citoyens et les personnalités politiques», écrit Graphika. Ensuite, pour une meilleure analyse, afin de confirmer ses soupçons, la société de Mark Zuckerberg, prudente depuis l'implication russe dans les élections américaines de 2016, envoie les données au cabinet Graphika. Et c’est parti pour une série d’étonnantes découvertes.
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La première c’est que, selon la même source, ces efforts pour fabriquer des fakenews et lancer des campagnes de désinformation sont menés depuis plusieurs années. Sont impliqués dans cette perfidie des comptes qui se présentent comme des “nationalistes“ et qui affichent clairement leur soutien à “l’Establishment politique et militaire algérien“, poursuit Graphika.
La deuxième chose révélée par l’analyse est que, si certains de ces comptes ont été créés à partir de 2014, c’est pendant la campagne de la présidentielle de décembre 2019 que sera menée, au profit de la candidature d’Abdelmadjid Tebboune, la première véritable opération de propagande, puis, en novembre 2020, lors du référendum constitutionnel largement boycotté.
Selon le rapport, il y a eu une «escalade dramatique début 2021, quand le Hirak était sur le point de reprendre les manifestations après près d’une année de trêve pour cause de pandémie». Ce fut également le cas en juin dernier lors des élections parlementaires.
S’ajoute à ces campagnes de propagande ponctuelle, une stratégie continue d’intimidation et de harcèlement des activités du Hirak, et des opposants politiques. En effet, les comptes n’hésitaient pas à traiter de “chiens“, d’“écervelés“ ou de “traitres“ tout auteur de publication ou de commentaires favorables au Hirak ou soutenant les opposants présentés «comme étant en connivence avec des pays étrangers». Par exemple, il y a une «exagération systématique des manœuvres militaires marocaines, françaises ou américaines, tout en chantant la coopération militaire entre l’Algérie, la Chine et la Russie», précise le rapport.
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L’originalité de ce rapport est d’avoir mis en exergue comment des personnes ou organisations «ayant des motivations purement politiques utilisent les réseaux sociaux, non pas seulement pour promouvoir leurs intérêts, mais pour casser les voix critiques», souligne Graphika. Tout porte à croire qu’il s’agit «d’une campagne financée par le gouvernement algérien, une pratique connue sous le terme "trolling patriotique", technique qui a déjà été utilisée ailleurs dans le monde». Ce fut le cas en Syrie contre les ONG humanitaires, les Casques Blancs ou encore en Philippines où les opposants au président Duerte sont systématiquement dénigrés.
«L’autre comportement alarmant a été la promotion d’un groupe qui s’est baptisé les «Hacktivistes» qui diffusait des vidéos et des photos via Facebook et Youtube prétendant révéler le contenu de portables ou de comptes de personnalités de l’opposition», écrit le rapport. Or, ces soi-disant «Hacktivites» vont jusqu’à publier des «informations financières», des «captures d’écran» et des «informations personnelles» de pauvres citoyens.
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Pis, Graphika note l’utilisation de faux-comptes appartenant à la presse ou aux médias ou qui, par le biais de l’imitation, en donnent fortement l’impression. Par exemple, «une agence de relations publiques» ayant pignon sur rue, a participé à la propagande. La télévision nationale algérienne aussi est souvent mise à contribution. Ce fut le cas lors de la diffusion d’une vidéo intitulée «Qui s’en prend à l’Algérie: toute la vérité». Immédiatement après les pages «Télévision algérienne» et «TV3» l’ont publiée, 27 comptes parmi ceux supprimés par Facebook, la relayeront de façon synchronisée.
Jamais auparavant un rapport n’avait épinglé avec autant de détails le régime algérien dans la guerre qu’il mène contre ses propres citoyens sur les réseaux sociaux. C’est sans doute pourquoi, depuis sa diffusion, l’appareil d’Etat est mobilisé pour le mettre en doute. Dans une longue dépêche, l’agence officielle Algérie presse service (APS) reprend la contribution publiée dans Afrique Asie par un chercheur qui affirme d’emblée que le «rapport de la société américaine Graphika sur l'Algérie, qui est une évidente ingérence, cherche à créer une nouvelle agitation malsaine dans la vie politique du pays».
Le plus drôle c’est que la junte au pouvoir s’en prend régulièrement aux réseaux sociaux, et particulièrement à Facebook, par les voix autorisées du chef d’état-major, Said Chengriha, et le président Abdelmadjid Tebboune. La junte stigmatise Facebook tout en l’utilisant de façon massive à des fins de propagande, d’intimidation des citoyens algériens et de diffusion de fake-news.