La crise financière de ces dernières années a réduit à néant le Fonds de régulation des recettes (FRR) et amenuisé considérablement les réserves en devises, deux sources qui permettaient aux autorités d’acheter la paix sociale à coût de subventions de toutes sortes. Surtout durant la période des vaches grasses de 2013-2014 lorsque le cours du baril a franchi le seuil des 140 dollars. Mais ce temps est révolu.
Acculée, l’Algérie a décidé de mettre fin aux subventions. Il faut dire qu’à cause des transferts sociaux tous azimuts, cette facture n’a cessé de flamber pour atteindre 1.960 milliards de dinars, soit 17 milliards de dollars, en 2021. En 2019, elles avaient même atteint un pic 2.400 milliards de dinars, soit environ 18 milliards de dollars. Une bonne part de ces subventions entrent dans le cadre d’aides à la protection du pouvoir d’achat en rendant certains produits et services accessibles (farine, sucre, huile, lait, gaz, électricité…).
Mais, avec la chute du cours de l’or noir à partir de fin 2014, l’Algérie s’est retrouvée rapidement dans des difficultés financières aiguës et des déficits budgétaires abyssaux, raclant totalement son fonds souverain (FRR) et rognant ses réserves en devises, pour les financer.
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Si depuis plusieurs mesures ont été prises pour freiner la crise financière et notamment la chute des réserves en devises, avec entre autres la multiplication des interdictions d’importations tous azimuts pour préserver les avoirs en devises, se traduisant par des pénuries de toutes sortes, avec la fin des subventions, le gouvernement du Premier ministre et ministre des Finances, Aymen Benabderrahmane, trouve un autre levier à même de lui permettre de réduire considérablement le niveau du déficit budgétaire. Toutefois, cette mesure, déjà annoncée par des gouvernements précédents, n’a jamais été appliquée du fait de sa grande impopularité.
Désormais, après le vote favorable de l’Assemblée populaire nationale (APN) de la Loi de finances 2022, le mercredi 17 novembre 2021, il sera bientôt mis fin aux subventions généralisées dont bénéficient tous les Algériens depuis des décennies.
Pour commencer, l’arrêt des subventions va concerner 12 produits de large consommation: farine, pain, semoule, lait en sachet, huile de soja, eau potable, essence, diesel, GPL, gaz butane, électricité et gaz de ville.
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En contrepartie de l’arrêt des subventions sur ces produits, les autorités ont prévu la mise en place d'aides pécuniaires ciblées afin d’atteindre les plus nécessiteux. Pour ceux qui disposent de revenus, il est prévu une compensation pécuniaire proportionnelle pour les revenus inférieurs à 120.000 dinars mensuels, soit 882 dollars. Il faudra aussi recenser toutes les familles démunies et sans revenus fixes afin de leur octroyer ces aides.
C’est dire que le sujet est complexe et ne peut être conduit dans la précipitation. Pour un ciblage correct, il faut disposer d’une administration performante et efficace, de statistiques fiables, de fonctionnaires non corrompus, etc. Autant de conditions nécessaires pour déterminer les personnes ciblées par les aides directes (personnes à faibles revenus, personnes travaillant dans l’informel, handicapés…). Des conditions très loin d’être remplies actuellement. En plus, comment déterminer le niveau des revenus autres que ceux des salariés?
C’est une fois que ce mécanisme sera mis en place que le gouvernement pourra arrêter les subventions, selon l’accord offert par les députés algériens au gouvernement.
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Une chose est sûre, le contexte actuel marqué par l’appauvrissement de la population algérienne à cause de la hausse généralisée des prix n’est pas du tout favorable à l’arrêt des subventions sur les produits de première nécessité.
Dans tous les cas, les aides ciblées ne pourront pas remplacer les bénéfices des subventions. Et c’est la classe moyenne qui va le plus trinquer sachant que rien n'est prévu pour les revenus supérieurs à 120.000 dinars mensuels. Or, la fin des subventions sur le gaz, l’électricité, l’essence, le diesel et le gaz de ville va impacter très négativement cette classe.
En outre, la fin des subventions se traduira par une nouvelle flambée des cours de plusieurs produits et services dont la production nécessite l’usage du gaz et d’électricité fortement subventionnés. Les producteurs seront obligés de répercuter les hausses de leurs factures induites par la fin des subventions sur le consommateur final, donc sur le citoyen.
C’est le cas également des transports. La répercussion de la hausse des prix à la pompe entraînera obligatoirement la hausse des tarifs de transport. De plus, il faut prendre en considération le fait que l’Algérie importe de nombreux produits alimentaires dont les prix dépendent des évolutions des cours sur le marché international. C'est le cas du blé dont elle est l’un des grands importateurs du monde. Ces hausses qui ne seront plus amorties par les subventions vont impacter négativement le pouvoir d’achat des citoyens, y compris de ceux qui vont bénéficier des aides pécuniaires.
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En dépit des mécanismes qui seront mis en place, les citoyens qui font face aux pénuries et aux flambées des prix vont gravement trinquer. C’est que la pilule sera très amère à faire avaler aux Algériens sevrés depuis des années à coup de subventions.
Les subventions coûtent très cher au budget de l’Etat. Avec 17 milliards de dollars, elles pèsent lourdement sur le niveau du déficit budgétaire dont le financement cause problème, dans le sillage de la baisse des recettes fiscales. En 2020, le déficit budgétaire avait avoisiné les 20% du PIB.
En plus, il n’est pas normal que les riches bénéficient des subventions de certains produits (pain, farine, huile, huile de soja, eau potable, gaz butane,..) au même titre que les pauvres, sans compter que les fortes subventions sur les carburants profitent beaucoup plus aux riches. A titre d’exemple, le litre du diesel subventionné est fixé à 29,01 dinars algérien, soit 0,209 dollars (0,18 euro), contre un prix moyen dans le monde équivalent à plus de 210 dinars algériens (249 dinars le litre en France).
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Toutefois, les autorités doivent prendre les précautions nécessaires afin d’éviter une explosion sociale consécutive à la hausse généralisée des prix qui résulterait de l’arrêt des subventions. Elles doivent aussi diversifier la production locale afin de réduire les importations de certains produits sans toutefois entrainer des pénuries, comme c’est le cas actuellement.
Rappelons qu’avec la fin des subventions des produits de base et la «dévaluation déguisée» du dinar algérien face aux devises fortes (dollar et euro), l’Algérie répond indirectement aux principales recommandations du Fonds monétaire international (FMI) qu’elle n’a cessé d’ignorer depuis plusieurs années…