Au fond d'un énorme cratère, creusé à la dynamite, des pelleteuses brisent des blocs de granit. "Ici, c'est un important bras du fleuve qui a été asséché et c'est ici que sera érigé la digue du barrage de 28 mètres de haut. On avance bien !", lance un ingénieur chinois, casque vissé sur le crâne.
Dans cet immense pays aux deux-tiers désertiques, le rêve de ce barrage de Kandadji, sur le fleuve Niger, dans l'extrême ouest du pays, ne date pas d'aujourd'hui.
Dans les années 1970, après une terrible famine, le général-président Seyni Koutché (1974-1987) avait nourri le projet de doter le pays d'un barrage hydro-électrique de grande envergure.
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Et tous les chefs d'Etat qui lui ont succédé ont fait de cette infrastructure "une priorité", mais le barrage n'a jamais vu le jour.
Une première pierre a bien été posée en 2008 sous la présidence de Mamadou Tandja, mais l'instabilité politique des années qui ont suivi ont mis un coup d'arrêt au projet.
D'abord confiés à la société russe Zaroubegevodstroï (ZVS), les travaux sont désormais opérés par l'entreprise chinoise Gezhouba Group Company Limited.
Déjà maintes fois repoussée, d'abord à 2016 puis à 2023, la date de mise en eau est désormais fixée à 2025 selon les autorités, après de nouveaux retards dûs à la pandémie de Covid-19.
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Ce projet pharaonique de 740 milliards de francs CFA (1,1 milliard d'euros) avec une digue de 28 m de haut et 8,5 km de long aura une capacité de retenue de 1,5 milliard de mètres cube. 50.000 personnes devront en outre être déplacées mais 7.000 ont déjà été relogées, assure l’Agence du barrage de Kandadji (ABK).
"Jour et nuit"
A présent, "tous les obstacles sont levés (...) tous les problèmes de financements sont réglés. Dans quelques mois vous trouverez un ouvrage qui est en train de prendre forme", a assuré Mohamed Bazoum, le président nigérien qui a visité le site mi-septembre.
"Il y a sept ans de cela, j’étais sur ce site et j’étais reparti déçu, mais aujourd’hui je repars très satisfait des progrès accomplis", constatait en mai Ousmane Diagana, le vice-président de la Banque mondiale pour l'Afrique de l’ouest qui assure un quart du financement.
Situé à quelque 180 km en amont de Niamey, en pleine zone des "trois frontières" (aux confins du Niger, Mali et Burkina), le projet a pour l'instant été épargné par les attaques jihadistes qui endeuillent régulièrement la région.
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"Nous allons accroître le nombre de soldats pour permettre" au chantier de tourner jour et nuit, a promis Mohamed Bazoum, estimant que le dispositif sécuritaire est "impressionnant".
400.000 tonnes de nourriture
Une étude d'impact environnemental a été finalisée en 2018 par la Banque africaine de Développement (BAD). Si d'autres options comme le solaire ou l'éolien ont été évaluées, le rapport a conclu que seul le barrage pouvait remplir les objectifs fixés, les énergies alternatives ne pouvant "pas répondre à des besoins énergétiques à grande échelle".
"La seule solution qui peut régler le problème récurrent de l'insécurité alimentaire au Niger, c'est le barrage de Kandadji car il y aura 45.000 hectares de terres qui seront mises en valeur pour améliorer la production", explique Ousmane Danbadji, responsable du Rejea (Réseau des journalistes pour l'eau et l'Assainissement) et fin connaisseur du dossier.
Les projections estiment que 400.000 tonnes de riz, maïs et produits maraîchers seront produites en plus chaque année, selon l'Agence du barrage.
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Une aubaine dans un pays où 80% de la population vit d'une agriculture archaïque, dépendante des pluies.
Une centrale de 130 mégawatts verra par ailleurs le jour à Kandadji et générera annuellement 629 GWh afin de permettre au Niger de s'affranchir de sa dépendance énergétique du Nigeria voisin.
A peine 15% des plus de 20 millions des Nigériens ont le courant, selon la Société nigérienne d'électricité (Nigelec).
Le barrage régulera également le Niger (3e fleuve d'Afrique) qui traverse le pays sur 550 km et qui alterne entre baisse de son débit en raison de la pression démographique notamment et crues mortelles chaque année.
Outre la Banque mondiale, la BAD, la Banque islamique de développement (BID) et l'Agence française de développement (AFD) financent également Kandadji.