Soudan: les islamistes font bloc derrière les militaires pour "sauver la charia"

Des manifestants soudanais participent à la prière hebdomadaire du vendredi 17 mai 2019.

Des manifestants soudanais participent à la prière hebdomadaire du vendredi 17 mai 2019. . AFP | Mohamed El-Shahed

Le 28/05/2019 à 09h47

Dans l'espoir d'un maintien de la charia en vigueur au Soudan depuis trois décennies, les mouvements islamistes font bloc derrière les militaires, dont les négociations avec les chefs de la contestation sur le transfert du pouvoir aux civils sont au point mort.

Ces formations islamistes sont restées à l'écart du soulèvement populaire inédit déclenché en décembre dernier et qui a conduit le 11 avril au renversement par l'armée du président Omar el-Béchir, arrivé au pouvoir en 1989 par un coup d'Etat soutenu par les islamistes.

Ils n'ont pas rejoint l'Alliance pour la liberté et le changement (ALC), fer de lance de la contestation qui est en désaccord avec le Conseil militaire ayant succédé à M. Béchir au sujet de la direction et de la composition du futur Conseil souverain, censé assuré la transition pour trois ans.

Chaque camp souhaite prendre la tête de cette instance clé et en ravir la majorité des sièges. "Nous sommes d'accord sur un gouvernement civil formé de technocrates mais le Conseil souverain doit être dirigé par les forces armées car il y a un problème de sécurité" dans le pays, affirme Hassan Rizk, chef adjoint du Mouvement pour la réforme islamique, groupe dissident du Parti du Congrès national (NCP) précédemment dirigé par M. Béchir.

Sous le régime de M. Béchir, la charia ou loi islamique était la source de la législation. Selon des défenseurs des droits humains, cela a donné lieu à des abus comme la flagellation de femmes pour "comportement indécent". Ces derniers jours, les islamistes ont manifesté à Khartoum pour exprimer leur rejet de tout accord excluant la charia, au sujet de laquelle les chefs de la contestation ont gardé le silence en affirmant que leur seule préoccupation pour le moment était le transfert du pouvoir à des civils.

"Révolution volée"

Vendredi, le prédicateur ultra-conservateur, Abdelhay Youssef, l'un des chefs du mouvement Nosret al-Charia, a attiré de grandes foules dans une mosquée de Khartoum. Défendre la loi islamique et s'opposer à la perspective d'un régime laïque ont été les maîtres-mots de son prêche.

Les fidèles ont été ensuite transportés en bus à l'extérieur du palais présidentiel, où ils ont manifesté aux cris de "Révolutionnaires libres! Nous ne seront pas gouvernés par les forces de gauche!" "Je suis certain que les prochaines élections seront remportées par les islamistes. La révolution n'était pas dirigée contre une idéologie, mais contre la corruption et la tyrannie", dit à l'AFP le secrétaire général de Nosret al-Charia, Mohamed Ali Jazouli.

Pour lui, "l'ALC est un partenaire du changement mais il est erroné de la considérer comme l'unique leader de la révolution". Tayeb Moustafa, qui dirige une coalition de partis défendant la charia, a expliqué que l'opposition des islamistes à l'accord en discussion entre militaires et ALC était principalement due au fait qu'il "ignorait l'application de la loi islamique".

"L'ALC a volé la révolution en plein jour", dénonce M. Moustafa, dont la coalition comprend le Parti du Congrès populaire, un allié de longue date de M. Béchir.

"La religion c'est pour Dieu"

Les liens des islamistes avec l'ancien président ont rendu difficile un rapprochement avec la contestation. "Il est impossible pour un camp qui a toujours été opposé au régime et un autre qui était à ses côtés jusqu'à sa chute" de s'allier, relève le journaliste Khaled Tijani.

Le leader islamiste Ghazi Salah el-Din s'est toutefois dit opposé à "la confrontation" et a appelé "au dialogue". A quelques mètres de la manifestation des islamistes, un homme en robe traditionnelle allume une cigarette avant de confier à voix basse: "on en a assez de mêler la religion à la politique".

"Nous voulons la liberté, nous ne voulons pas être gouvernés par quelqu'un au nom de la religion. Que nous ont apporté 30 ans d'un tel régime?" s'est-il interrogé. "La religion c'est pour Dieu, la politique c'est dans la rue".

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 28/05/2019 à 09h47