Ethiopie: les drones turcs, arme clé dans l'évolution récente de la guerre

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Le 14/01/2022 à 12h44, mis à jour le 14/01/2022 à 12h44

Il y a une semaine, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed appelait à l'occasion du Noël orthodoxe à «la réconciliation nationale», suscitant l'espoir d'une avancée vers la paix après 14 mois de guerre.

Mais le même jour, une frappe de drone sur un camp de déplacés dans la région du Tigré (nord) a tué plus de 50 personnes selon des sources humanitaires. D'autres ont ensuite touché une meunerie et une église, faisant au moins 21 morts, selon des docteurs et des responsables.

Selon l'ONU, au moins 108 civils ont été tués depuis janvier dans des frappes aériennes qui auraient été menées par les forces aériennes éthiopiennes au Tigré.

Ces frappes mettent en lumière le rôle central que les drones de guerre ont pris dans ce conflit, qui selon l'ONU a tué plusieurs milliers de personnes et poussé des centaines de milliers vers la famine.

Elles font également craindre pour les civils, tandis qu'Addis Abeba - qui n'a pas commenté son programme de drones - semble préférer le combat aérien à l'envoi de troupes au Tigré, désormais aux mains des rebelles.

Le black-out sur les communications et les restrictions d'accès à la région ne permettent pas d'établir avec clarté quelles armes sont utilisées, où, et à quelle fréquence.

De plus, les informations venant de témoins peuvent manquer de fiabilité et les drones peuvent être confondus avec des avions.

Mais pour les analystes et les diplomates interrogés par l'AFP il existe des preuves évidentes que l'Ethiopie a acquis des drones auprès de multiples sources et n'hésite pas à les utiliser.

Des images post-attaques indiquent que des drones iraniens, turcs et chinois ont été déployés ces derniers mois, affirme Wim Zwijnenburg, un expert de ces équipements pour l'organisation néerlandaise de promotion de la paix PAX, qui a suivi le conflit en Ethiopie.

«Je pense que l'Ethiopie est en effet actuellement le plus gros utilisateur de drones sur le continent», dit-il.

Le Premier ministre Abiy Ahmed a envoyé en novembre 2020 l'armée fédérale au Tigré pour en destituer les autorités régionales, issues du Front de libération du Peuple du Tigré (TPLF), qui contestait son autorité et qu'il accusait d'avoir attaqué des bases militaires.

Le TPLF, qui a dès lors pris les armes, a mené ensuite une contre-offensive lui ayant permis de reconquérir fin juin 2021 l'essentiel de la région et de progresser dans celles voisines de l'Amhara et de l'Afar.

Les rebelles ont affirmé en novembre être arrivés à 200 km d'Addis Abeba.

En décembre dernier, ils se sont repliés dans leur fief du Tigré face à une offensive militaire des forces gouvernementales. Ces dernières ont promis de ne pas «avancer» dans la région.

Retournements

Pour l'International Crisis Group (ICG), les frappes de drones ont été, avec les campagnes de mobilisation de masse, un «facteur clé» des gains du gouvernement.

Au-delà des frappes, ces équipements offrent aussi un immense avantage en terme de surveillance militaire.

L'ICG estime que la situation actuelle offre «une chance de paix» mais pour le TPLF les frappes de drones répétées participent à rendre celle-ci improbable.

«Les drones continuent d'attaquer les civils et les infrastructures», défend ainsi Kindeya Gebrehiwot un porte-parole du TPLF joint par l'AFP. Il accuse Abiy de «miner toute initiative de paix».

Le gouvernement éthiopien a évoqué la tenue d'un «dialogue national» pour apaiser le deuxième pays le plus peuplé d'Afrique.

Cependant, il n'est pas acquis que le TPLF - considéré par Addis Abeba comme une organisation terroriste - puisse y participer.

Dans le même temps, les soutiens d'Abiy, et certains de ses opposants, considèrent les drones comme un outil légitime, la guerre n'étant pas terminée.

Épargner les civils

«Le TPLF se prépare à une grande offensive. Ils l'ont dit», affirme Eskinder Nega, un opposant libéré la semaine dernière avec d'autres figures publiques dont des responsables du TPLF.

«Le gouvernement ne pourrait donc pas justifier de rester sans rien faire. Il doit prendre des mesures préventives».

Cependant, Eskinder souligne que les frappes de drones doivent être menées «de manière à ce que les civils ne soient pas victimisés».

Les dernières sont loin d'avoir rempli ce critère, notamment celle contre le camp de réfugiés, déplorent les travailleurs humanitaires.

Pour Zwijnenburg, du groupe PAX, les victimes civiles mettent à mal l'argument selon lequel de telles armes permettent des tirs de précision dans les zones de combats.

«Cela montre que les drones n'épargnent pas forcément des vies civiles. Cela dépend totalement de qui appuie sur le bouton», dit-il.

Le président américain Joe Biden s'est inquiété des frappes aériennes lors d'une conversation téléphonique avec Abiy lundi, selon la Maison Blanche.

Dans un communiqué la semaine dernière, Amnesty International a réitéré un appel au gouvernement à permettre l'accès au Tigré, afin que des enquêtes puissent être menées sur ces attaques.

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 14/01/2022 à 12h44, mis à jour le 14/01/2022 à 12h44