Peu après sa disparition en Sierra Leone, le corps de DJ Clef était retrouvé atrocement mutilé. La condamnation récente de deux hommes pour ce meurtre, en pleine hausse de la violence des gangs, a électrisé le débat sur la peine de mort dans ce pays, après un moratoire d'une vingtaine d'années.
DJ Clef -de son vrai nom Sydney David Buckle- une étoile montante de la scène musicale de Freetown, a passé sa dernière nuit, en mai 2015, à jouer dans la maison d'un guérisseur et sorcier connu pour les démons tatoués sur son corps... et pour ses relations haut placées dans la société. Quelques jours plus tard, son cadavre était découvert, amputé de plusieurs organes et de ses parties génitales, sur le bord d'une route dans la banlieue de la capitale, Freetown.
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La condamnation à mort en septembre 2016 du guérisseur Baimba Moi Foray et d'un autre homme pour ce meurtre a rouvert le débat sur la peine capitale: celle-ci est officiellement toujours en vigueur en Sierra Leone, mais dans les faits, elle n'est plus appliquée depuis l'atroce guerre civile qui a ravagé le pays de 1991 à 2002. Mais la situation pourrait bientôt changer, les autorités souhaitant durcir leur politique pénale sous la pression de l'opinion, face à la violence des gangs -souvent des jeunes sans emploi- qui se développe à Freetown depuis le début des années 2010.
"J'ai donné instruction au directeur général de la prison des hommes de s'assurer que les potences étaient bien huilées, nettoyées et prêtes à l'emploi", a affirmé à l'AFP, Palo Conteh, ministre de l'Intérieur, peu après ce verdict, dont les deux hommes ont fait appel. "Nous n'exécutons plus de prisonniers en raison d'un moratoire présidentiel, mais à cause de l'augmentation de la délinquance et de la violence dans la société, nous devons tuer comme le prescrit la loi", a ajouté Palo Conteh.
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Joseph Fitzgerald Kamara, ministre de la Justice, estime pour sa part qu'il est "grand temps" d'adopter un arsenal répressif plus dissuasif. "Ce qui me fait mal au cœur, c'est la hausse de la criminalité. Pratiquement chaque jour, un nouveau dossier de meurtre atterrit sur mon bureau", dit-il.
Pression de l'opinion et des médias
En 2004, la Commission vérité et réconciliation mise en place après la guerre civile, avait conclu que cette dernière avait "abouti à l'avilissement de la vie et de la dignité humaine" et que les gouvernements successifs avaient "abusé de la peine de mort pour éliminer des opposants politiques". Aussi avait-elle appelé l'Etat à renoncer à la peine capitale, pour "montrer l'exemple".
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De fait, la dernière exécution remonte à 1998 -celle de 24 militaires fusillés pour tentative de coup d'Etat- et il ne reste actuellement que quelques personnes dans le couloir de la mort en Sierra Leone, la peine de la plupart des condamnés ayant été commuée en prison à vie. Mais ce moratoire ne tient qu'à un fil, alors que la pression publique croît pour réclamer des sanctions plus dures contre la violence des gangs, s'inquiètent les organisations de défense des droits de l'Homme.
"Ceux qui tuent doivent être tués", a déclaré à l'AFP Milton Coker, président des All Stars, le collectif d'artistes auquel appartenait DJ Clef, qui a milité pour la condamnation à mort des meurtriers présumés. "Cela aura un effet dissuasif", estime-t-il, résumant un sentiment répandu en Sierra Leone.
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Pour Simitie Lavaly, une avocate spécialisée dans les dossiers de peine de mort, cette affaire est un cas d'école d'enquête et de procès bâclés sous la pression de l'opinion et des médias. "La police n'a pas fait correctement son travail et la seule raison pour laquelle ils ont été condamnés, a été la médiatisation de l'affaire", dit-elle.
Les rumeurs les plus sulfureuses ont couru sur les méthodes employées par le guérisseur et le sort des organes manquants de la victime, qui aurait subi un crime rituel. "Le jury et son président avaient des préjugés" et ont statué à partir de preuves matérielles à peu près inexistantes, indique l'avocate.
Effet dissuasif ?
Les militants des droits de l'Homme accusent le gouvernement de céder aux sirènes du populisme plutôt que de s'attaquer aux causes profondes de la violence: pauvreté, chômage et corruption. L'épidémie d'Ebola qui a ravagé le pays, officiellement terminée en mars dernier, a ruiné l'économie de la Sierra Leone et contraint notamment de nombreux jeunes à la précarité. Il y a quelques mois, la décision d'interdire les motos-taxis dans le centre de Freetown a aussi privé les jeunes d'une de leurs rares sources de revenus informels.
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Les gouvernements brandissent souvent la peine de mort au lieu de s'attaquer "à bras-le-corps" aux causes de la criminalité, relève Sabrina Mahtani, spécialiste de la Sierra Leone pour Amnesty International.
"Beaucoup de gens pensent que la peine de mort a un effet dissuasif. Or ce n'est pas le cas", ajoute-t-elle. Plutôt que d'imaginer devenir populaire en affichant sa fermeté, certains dirigeants font le pari inverse: de l'autre côté du continent, le président kényan Uhuru Kenyatta a commué le 24 octobre les peines de 2.747 condamnés à mort, une décision motivée, selon des commentateurs, par sa volonté de manifester sa compassion, en vue de sa réélection.