Nigeria: des communautés pauvres de l'Etat de Rivers occupent un site pétrolier de Shell

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Le 30/08/2017 à 11h15

Les habitants du village de Belema occupent une plateforme locale du pétrolier Shell. 550 femmes et 350 hommes, se relaient 24 heures sur 24 pour maintenir une présence constante sur le site. Cette communauté de l'Etat de Rivers souhaite tirer profit des richesses pétrolières de leur région.

Pour rencontrer les habitants du village de Belema, il faut naviguer trois heures à bord d'une embarcation de fortune depuis Abonnema, la grande ville la plus proche, dans le sud-est du Nigeria.

Depuis près de 40 ans, leur communauté de l'Etat de Rivers vit dans l'ombre d'une station pétrolière gérée par la filiale locale de Shell, qui alimente son principal terminal d'exportation, Bonny.

Malgré les abondantes richesses naturelles qui traversent la région, les habitants disent n'avoir jamais pu profiter des immenses revenus générés par l'or noir.

Rien qu'en 2016, l'exportation de produits pétroliers a rapporté quelque 27,8 milliards de dollars au pays, 70% des recettes publiques.

Le Nigeria est le plus grand producteur et exportateur de pétrole du continent, produisant environ deux millions de barils par jour.

Pour s'abreuver, les villageois ne peuvent compter que sur un puits insalubre à l'air libre, tandis que les malades doivent être transportés à Abonnema en raison de l'absence totale d'infrastructures médicales.

Le 11 août, la situation a atteint un point de rupture.

Protestant contre leurs conditions de vie désastreuses, des centaines d'habitants de la région ont pris d'assaut la station de Shell, exigeant le départ du géant anglo-néerlandais.

Depuis lors, les occupants, 550 femmes et 350 hommes, se relaient 24 heures sur 24 pour maintenir une présence constante, explique un chef local, Evans Dabiri.

'A la merci des pirates'

"Ils (Shell) devraient venir à la communauté, qui se trouve à quelques kilomètres d'ici, et nous dire ce qu'ils ont fait ces 37 dernières années", affirme-t-il à l'AFP. "Nous n'avons bénéficié de rien".

Les protestataires demandent que la gestion de l'infrastructure pétrolière soit confiée à une entreprise locale, Belema Oil.

Sur le site, les femmes équipées de petits auvents, de nattes et de matelas se sont organisées pour garder l'enceinte, cuisiner pour les manifestants et se divertir. L'occupation a déjà duré 19 jours.

Deux bateaux servant d'hébergement aux travailleurs flottent comme des coquilles vides depuis que Shell a évacué le site en réaction aux manifestations.

L'armée a déployé 30 soldats pour surveiller la situation, selon une source sécuritaire nigériane.

Shell assure avoir créé des emplois dans la région et tenté de travailler avec les communautés - des efforts qui, selon elle, ont été freinés par des luttes de pouvoir locales.

"Les conflits juridiques et les litiges entre les communautés productrices de pétrole (ont) empêché Shell de mettre en oeuvre les projets de développement prévus", affirme à l'AFP le responsable des relations extérieures de Shell Petroleum Development Company (SPDC) au Nigeria, Igo Weli.

Shell a tout de même investi 600 millions de naira (1,7 million de dollars) pour améliorer les écoles, les infrastructures et les soins de santé à Belema et dans le village voisin de Kula ces 10 dernières années, ajoute-t-il.

Mais la communauté a souffert d'une négligence chronique et vit dans la peur d'attaques de pirates qui naviguent dans les eaux de la région, s'emparant des biens et des bateaux de ses habitants.

Malgré la présence d'au moins six postes de contrôle militaires entre Abonnema et la station de Belema, les pirates continuent d'agir en toute impunité.

"Nous sommes à la merci des pirates de la mer qui assiègent les cours d'eau en volant notre peuple", assure Evans Dabiri.

Paix fragile

Shell avertit des risques de fuite de pétrole ou d'incendie susceptibles de mettre en danger occupants et riverains, alors que ses techniciens n'ont pas pu préparer les installations à un arrêt prolongé à cause de l'occupation.

"La SPDC est profondément préoccupé par le fait que des personnes non autorisées - y compris des femmes et des enfants - ont été vues à proximité d'équipements (...) sans la protection de vêtements de sécurité", a déclaré son porte-parole, Joseph Obari, dans un communiqué.

La compagnie pétrolière nationale NNPC, les dirigeants locaux et Shell sont toutefois parvenus à un accord pour permettre la réouverture du site, selon un chef traditionnel local, Godson Egbelekro.

"Nous avons réussi à conclure une trêve avec la NNPC", a déclaré . "Au cours de cette semaine, il y aura une inspection conjointe (...) après quoi nous retirerons tous nos sujets de l'installation. Puis la SPDC pourra reprendre ses opérations".

Mais la condition visant à confier la gestion du site à une entreprise locale ne sera pas remplie - du moins pour le moment -, même si des discussions sont toujours en cours à ce sujet, selon Egbelekro.

Dans l'Etat voisin du Delta, les employés d'une installation gazière ont à leur tour déclenché une grève pour des motifs similaires ces derniers jours.

Les mouvements sociaux qui agitent régulièrement le coeur pétrolier du Nigeria font planer le spectre de nouvelles attaques rebelles contre les infrastructures, qui avaient fait chuter la production nationale d'or noir l'an dernier.

Suite à des accords d'amnistie, le gouvernement actuel a obtenu une paix fragile ces derniers mois, mais les militants menacent de reprendre les armes pour un meilleur partage des richesses.

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 30/08/2017 à 11h15