Niger: la réalisatrice Aïcha Macky brise les tabous sociaux

La réalisatrice nigérienne Aïcha Macky fait un geste lors d'un entretien à Niamey le 21 mai 2025.. AFP or licensors

Le 04/06/2025 à 12h18

Dans la société nigérienne très conservatrice, la réalisatrice Aïcha Macky brise des tabous: primée internationalement et membre permanent de l’Académie des Oscars, elle explore dans ses films sa quête de maternité ou les aspirations des jeunes Nigériens.

Assise au pied de l’affiche d’un de ses films, elle reçoit l’AFP dans ses bureaux flambant neufs en banlieue de Niamey, où ses trophées et distinctions sont soigneusement rangés dans une grande valise.

La réalisatrice de 43 ans incarne une nouvelle génération qui fait renaître le cinéma nigérien, très prolifique dans les années 70 et 80. Un parcours qui n’est pas sans embûches.

«Nous sommes dans une société assez conservatrice et il faut énormément d’abnégation pour une femme qui décide de faire du cinéma», explique la cinéaste, réajustant le voile orange qui cache ses cheveux.

«Quand on parle de la femme cinéaste, on a l’impression qu’on parle de quelqu’un qui fait du dévergondage. Avec des mentalités comme ça, ce n’est pas évident», peste t-elle.

Selon elle, trop de Nigériennes renoncent à une carrière cinématographique en grande partie à cause «du regard pesant de la société».

Mais Aïcha Macky n’a jamais cédé à la «pression sociale».

Titulaire d’une maîtrise en sociologie de l’université de Niamey et d’un master en cinéma à Saint-Louis au Sénégal, elle affirme être «prédestinée» au 7e art.

Enfant, déjà, elle se distingue sur les planches et dans des compétitions culturelles scolaires de sa ville natale de Zinder (centre).

En 2004, lorsqu’elle débarque à 22 ans dans la capitale pour ses études supérieures, elle est moquée par certains de ses camarades pour sa «frêle silhouette», se souvient-elle.

«A Niamey une femme doit avoir des rondeurs» pour être courtisée, explique t-elle.

Cette expérience va l’inspirer dans ses projets artistiques, avec d’abord un premier court-métrage «Moi et ma maigreur» en 2011 puis «Savoir faire le lit» en 2013 qui aborde le dialogue souvent tabou entre mères et filles sur l’éducation sexuelle.

«Femme hors normes»

Trois ans plus tard, elle sort son premier long-métrage, «L’arbre sans fruits», une autobiographie sur ses problèmes d’infertilité, doublé d’un portrait croisé de sa mère, décédée pendant un accouchement, quand Aïcha Macky n’avait que cinq ans.

Dans ce film, concentré de souffrances d’une femme en perpétuelle quête de maternité, Aïcha Macky incarne son propre rôle, racontant un Niger où la femme stérile est souvent mise à l’écart.

«J’étais perçue comme une femme hors normes, qui n’arrive pas à donner la vie dans un Niger où les femmes ont en moyenne 7,5 enfants», confirme la réalisatrice.

Le long-métrage recevra une myriade de prix, tout comme le suivant «Zinder», paru en 2021.

Cette fois, ce film-documentaire aborde la question des gangs urbains violents et épingle les épineux problèmes du chômage, de migration clandestine.

Il a même fait l’objet d’une caravane nationale de sensibilisation, sur financement américain, autour des «aspirations des jeunes» ou de «la nécessité de reconstruction de la paix» au Niger, visé depuis des années par des attaques jihadistes.

«Zinder» obtient le grand prix du public du festival international du film de Cologne et sa réalisatrice le prix de la femme cinéaste au Fespaco, le prestigieux festival de cinéma africain de Ouagadougou.

Pour son inspiration, Aïcha Macky «ne cherche pas loin»: «ma vie, mon entourage, tout est objet de films», juge-t-elle, espérant «dénoncer les non-dits» pour «briser les tabous et éveiller les consciences».

«J’ai fait le Festival de Cannes. J’ai atteint le sommet en devenant (en 2024) membre permanent du petit cercle de l’Académie des Oscars, ce n’est pas rien!», sourit-elle, se disant «comblée».

Mais elle ne compte pas s’arrêter là et nourrit «de grands projets»: formation des filles au métier du cinéma, web TV, studio mobile pour sillonner le pays…

La réouverture des salles de cinéma qui ont totalement disparu au Niger est un autre de ses défis.

«Aujourd’hui, la guerre contre le terrorisme au Sahel, on peut la gagner par le moyen du cinéma, c’est une (guerre) de communication aussi» soutient-elle.

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 04/06/2025 à 12h18