Par la magie des statistiques, le PIB de l’Algérie, qui s’était établi à 187 milliards de dollars en 2022 (donnée du FMI), est passé à 225 milliards de dollars (annonce du 5 août du président algérien Abdelmadjid Tebboune), puis à 233 milliards de dollars (annonce de Aïmene Benderrahmane, ancien Premier ministre), le 17 septembre 2023. Par cette même magie, la richesse créée par l’Algérie devrait atteindre 273 milliards de dollars en 2024, et ce sans que l’économie algérienne ne connaisse le moindre changement structurel. En clair, entre 2022 et 2024, le PIB algérien devrait passer de 187 à 273 milliards de dollars, ce qui revient à dire que la richesse créée par l’Algérie devrait croître de 46% en l’espace… de trois ans.
La hausse a été telle qu’elle a chamboulé le classement des pays les plus puissants d’Afrique, permettant à l’Algérie de se hisser dans le top 3 des pays les plus riches, en termes de PIB, devant le Nigeria! Se sentant pousser des ailes par cette envolée magique des chiffres, Abdelmadjid Tebboune a souligné, lors de sa dernière sortie le 19 mai au pôle universitaire de Sidi Abdallah, en marge des célébrations de la Journée nationale de l’étudiant, que 2027 sera une «année décisive» de numérisation et d’industrialisation véritable, pendant laquelle l’Algérie verra son Produit intérieur brut (PIB) dépasser les 400 milliards de dollars! Et à ce rythme, l’Algérie sera bientôt la première puissance économique du continent.
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Seulement, les annonces répétées des PIB de l’Algérie battant des records de croissance ne reposent sur aucune donnée rationnelle. Rappelons que le Produit intérieur brut est la richesse créée par un pays donné sur une période d’un an. Elle est la somme des valeurs ajoutées de tous les agents économiques d’un pays, à laquelle sont additionnés la TVA (Taxe sur la valeur ajoutée) et les droits de douane, avant de soustraire les subventions à l’importation. Exprimé en prix courants (valeur nominale) et libellé ensuite en dollar américain, le PIB évolue d’une année à l’autre selon la richesse créée ou détruite. Cette évolution peut toutefois être trompeuse quand elle est gonflée par l’inflation (ou à l’inverse à cause de la déflation) et/ou par l’évolution du taux de change de la monnaie d’un pays vis-à-vis du dollar américain.
Faibles taux de croissance
D’où la question de savoir si cette forte évolution du PIB algérien est un simple artefact statistique ou bien une véritable hausse nominale. En réalité, cette forte hausse du PIB ne résulte pas d’une dynamique de création de richesses, comme en attestent les taux de croissance enregistrés par l’Algérie au cours de ces dernières années: 3,2% en 2016, 1,3% en 2017, 1,2% en 2018, 1,0% en 2019, -5,1% en 2020, 3,4% en 2021, 3,2% en 2022 et 4,2% en 2023. Ce ne sont donc pas ces taux de croissance qui sont à l’origine de cette miraculeuse progression du PIB du pays. Sans croissance à deux chiffres, comment un PIB peut progresser de 46% en l’espace de trois ans?!
D’autres facteurs, artefacts statistiques et manipulation du taux de change du dinar algérien par rapport au dollar américain expliquent les bonds annoncés du PIB algérien.
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Tout a débuté le 5 août, quand le président Abdelmadjid Tebboune, lors d’un entretien avec des médias algériens, a expliqué que «sans prendre en considération le marché et la production parallèle en Algérie, le Produit intérieur brut a atteint 225 milliards de dollars en 2022», avant d’ajouter que «ce chiffre officiel pourrait passer à 240 ou 245 milliards de dollars si l’économie parallèle y était incluse». Quelques jours après cette sortie, c’est au tour du Premier ministre de l’époque, Aïmene Benderrahmane, de confirmer la sortie du président Tebboune, en le corrigeant au passage, pour indiquer que le «vrai chiffre» du PIB algérien est de 233 milliards de dollars. D’un coup, le PIB algérien est passé de 187 milliards de dollars à 225 puis à 233 milliards de dollars.
Effet du «rebasage»
Face aux insistantes questions sur cette soudaine et étrange hausse du PIB, les autorités algériennes ont fini par expliquer qu’elle résultait du changement de l’année de base, ou «rebasage», sans toutefois dévoiler le mode de calcul adopté. Le «rebasage» des comptes nationaux est une opportunité idoine pour introduire de nombreuses améliorations dans la mesure de l’activité économique (naissance d’activité économique), ou de corriger des erreurs d’estimation et de mesure repérées au cours de la base précédente (expansion continue du secteur informel…). Il permet de mieux prendre en compte l’évolution de la structure de l’économie d’un pays, notamment les mutations des secteurs productifs en incluant de nouvelles activités qui sont nées et/ou qui se sont développées depuis le «rebasage» précédent. En considérant ces facteurs, on recalcule le PIB avec cette nouvelle année de base, et cela se traduit naturellement par une hausse du PIB du pays.
Concrètement, le «rebasage» en Algérie a fait passer l’année de référence de 1989 à celle de 2001 pour le PIB de 2022. Et le calcul qui en a résulté a fait bondir ce dernier de manière mécanique. «En septembre 2023, le Premier ministre algérien a décidé de réviser le calcul du PIB sans divulguer le mode de modélisation et les paramètres utilisés. Cette révision a entraîné une augmentation du PIB de 187 milliards de dollars en 2022 à 233 milliards de dollars, soit un accroissement de 46 milliards de dollars», explique l’économiste Abdelghani Youmni.
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Après le changement de l’année de base opéré en 2023, Meriem Benmouloud, Haut Commissaire à la numérisation avec rang de ministre, a annoncé le 13 décembre 2023 qu’un nouveau changement de l’année de référence de calcul du PIB est opéré en 2024, pour passer de la référence 2001 à 2011 «en vue de l’amélioration continue des comptes nationaux économiques». En clair, Alger procède à deux «rebasages» des comptes nationaux sur deux années successives, alors que la Commission statistique des Nations unies recommande de «rebaser» les comptes nationaux environ tous les 5 ans. Cet artefact est derrière la forte hausse du PIB prévu en 2024, de 165 milliards de dollars.
Après quelques hésitations, le Fonds monétaire international (FMI) a fini par accepter les nouvelles données rebasées du PIB , avancées par l’Algérie. Après avoir révisé ces données, le FMI prévoit 267 milliards de dollars de PIB en 2024, 277 milliards de dollars en 2025, 287 milliards de dollars en 2026 et 294 milliards de dollars en 2027. On est certes très loin des 400 milliards de dollars «décrétés» par Tebboune en 2027, même si les estimations du FMI reposent sur les «rebasages» fournis par les autorités algériennes et ne correspondent pas à une croissance de l’économie ou à une révolution dans de nouveaux secteurs créateurs de richesse.
Prise en compte de l’informel
Au-delà du changement d’année de base, c’est la prise en compte de l’informel qui aurait aussi dopé le PIB algérien. Selon le média algérien TSA, «le gouvernement a intégré dans son chiffrage une partie de l’économie informelle, évaluée à 90 milliards de dollars».
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«En 2023, le PIB est passé de 244 milliards à 294 milliards de dollars, en se basant sur la contribution de l’économie informelle. Bien que cette contribution soit réelle, aucun pays au monde ne l’intègre dans ses projections pour les projets de loi de Finances ni pour le calcul du PIB», explique l’économiste Abdelghani Youmni.
Effet taux de change
En plus du «rebasage» et de l’informel, le PIB algérien est aussi gonflé artificiellement par le taux de change dinar-dollar. En effet, le PIB aux prix courants étant exprimé ensuite en dollar, le maintien d’un taux de change artificiel du dinar algérien face au dollar américain fausse le calcul du PIB local. Ainsi, pour le calcul du taux de change du PIB en dollar, les autorités algériennes ont utilisé le taux du marché officiel de 1 dollar pour 137 dinars algériens, passé aujourd’hui à 134 dinars pour 1 dollar. La réalité est autre et apporte la preuve des divagations chiffrées du régime d’Alger. Le véritable baromètre du taux de change dinar-dollar est celui du marché parallèle, dit Square Port-Saïd d’Alger. Or, alors que le taux de change officiel est actuellement de 134,32 dinars pour 1 dollar, il faudra débloquer 222 dinars sur le marché parallèle pour le même dollar, soit un différentiel de 87,68 dinars.
Autant dire que la valeur «officielle» du dinar est totalement artificielle. Et l’impact de son adoption est notable. Ainsi, avec les PIB de 33.225 milliards de dinars en 2023 et 36.764 milliards de dinars en 2024, en se basant sur le taux de change du marché parallèle -qui correspond à la réelle valeur du dinar algérien- (222 dinars pour 1 dollar), on se retrouve avec des PIB de 149,66 milliards de dollars en 2023 (au lieu 243 milliards de dollars) et de 165,60 milliards de dollars en 2024 (contre environ 267 milliards de dollars projetés). Même boosté par des calculs artificiels, le PIB algérien rétrécit comme peau de chagrin quand la monnaie locale est estimée à sa valeur réelle face au dollar.
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C’est à juste titre que l’économiste Abdelghani Youmni explique que «le véritable problème réside probablement dans la manipulation du taux de change du dinar, pour défendre le projet de loi des finances 2024 et l’insoutenable hypothèse d’une augmentation du PIB de 25%, en invoquant le taux de change et l’informel, ce qui est absurde».
D’ailleurs, si le Nigeria et l’Égypte ont vu leur PIB chuter, c’est à cause de leur volonté d’uniformiser leurs taux de change officiel et parallèle. Dans ces deux pays, à l’instar de l’Algérie, le marché parallèle était devenu le véritable marché des changes. Si dans ces deux grandes puissances économiques, on a jugé que cette situation était intenable et injustifiable, en Algérie, elle est au contraire entretenue, du fait qu’elle profite aux généraux et aux oligarques du régime. C’est ainsi que le projet d’ouverture des bureaux de change en Algérie tarde à voir le jour. Et ne le verra jamais tant que le taux de change officiel est renvoyé à son insignifiance par le marché parallèle.
L’économie algérienne repose sur la rente pétrolière qui représente 95% des recettes d’exportation, 60% des recettes fiscales…. DR
Pour preuve de l’impact du taux de change artificiel, le Nigeria, que l’Algérie devance désormais dans le classement des pays les plus riches d’Afrique, était dans un même cas de figure avec un gap abyssal entre le taux de change officiel et celui du marché parallèle. Et à coups de dévaluations pour égaliser les deux, le cours de change est passé de 460 nairas pour 1 dollar en juin 2023, à 840 nairas pour 1 dollar en novembre 2023. Une nouvelle dévaluation a eu lieu en février 2024, portant le taux de change à un pic de 1.611 nairas pour 1 dollar. Avec ces dévaluations consécutives à la réforme du régime de change, les autorités monétaires nigérianes ont réussi à égaliser les taux de change officiel et parallèle.
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Cela a eu un impact sur le PIB du pays exprimé en dollar, conduisant au déclassement du Nigéria de la première à la quatrième puissance économique africaine. En effet, le PIB du Nigeria n’a cessé de croître, passant de 202.400 milliards de nairas en 2022, à 234.400 milliards de nairas en 2023 et devrait atteindre les 296.400 milliards de nairas en 2024. En gardant le taux de change avant dévaluation, le PIB du Nigeria allait s’établir à 644 milliards de dollars en 2024, ce qui aurait permis au pays de conserver son rang de première économie africaine. Cela atteste du rôle majeur que joue la manipulation du taux de change pour doper artificiellement la richesse créée en Algérie et exprimée en dollar.
Ces artefacts montrent clairement que la forte hausse du PIB algérien est loin de refléter une véritable transformation au cours de ces dernières années. La photographie de l’économie algérienne montre clairement que celle-ci demeure rentière et exclusivement dépendante des hydrocarbures. Ainsi, plus de 95% des recettes d’exportation du pays proviennent des hydrocarbures et dérivées (pétrole, gaz, ammoniac…). Quant aux politiques industrielles et de diversification, elles ont été des échecs lamentables. Le fiasco de l’industrie automobile en est la parfaite illustration.
Rente pétrolière
Le problème de l’économie algérienne est l’utilisation de la manne pétrolière et gazière pour acheter la paix sociale et faire perdurer le modèle de la rente, car la classe dirigeante n’a pas de vision stratégique pour diversifier l’économie du pays. Ainsi, «l’envolée des cours profite toujours aux exportations d’hydrocarbures, créant une hausse artificielle du PIB qui ne reflète ni une véritable croissance économique, ni une réelle création d’emplois de qualité, ni de valeur ajoutée productive», explique l’économiste Abdelghani Youmni.
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Ayant vu sa candidature pour adhérer aux BRICS rejetée en 2023, du fait, entre autres, de son faible poids économique, de son influence géopolitique négligeable et de l’opacité des chiffres officiels, Alger souhaite désormais se hisser, par tous les moyens possible, au sommet des économies africaines en termes de PIB.
C’est dans cette optique que s’inscrit ce gonflement artificiel du PIB et le «décret» de Tebboune de porter le PIB algérien à 400 milliards de dollars en 2027, soit le doublement de la richesse en moins de 5 ans. «La richesse de l’Algérie ne peut jamais doubler en cinq ans, c’est absurde. La croissance économique résulte directement de l’agrégation des valeurs ajoutées des productions. Indirectement, elle est positivement corrélée à la diminution du taux de chômage qui stagne en Algérie depuis dix ans entre 11,3% et 12,9%. Seul l’emploi crée la croissance économique et donc celle du PIB. De plus, une inflation maîtrisée est essentielle, alors que celle de l’Algérie est la plus élevée de la région MENA, passant de 7,2% en 2021 à 9,3% en 2023», explique Abdelghani Youmni. Et de conclure : «Doubler la richesse d’un pays en cinq ans pour une économie rentière comme celle de l’Algérie semble utopique sans des changements structurels profonds et une amélioration significative de la gouvernance politique et de la diversification économique. Il est crucial de substituer l’ancre de la prospérité à l’inutile glaive idéologique».