Inflation, surendettement, chute vertigineuse des avoirs en devises, dépréciation inquiétante des monnaies locales vis-à-vis du dollar, pénuries de devises… les pays africains souffrent. Et la décrue des cours du pétrole et des prix des produits agricoles (céréales, oléagineux..) sur le marché mondial, par rapports aux pics de 2022, ne semble pas apporter d’améliorations et les perspectives sont loin d’être favorables pour de nombreux pays africains. Bien au contraire. La situation semble même empirer pour certains d’entre eux, comme l’attestent les nombreuses dégradations de notes souveraines de pays du continent ces dernières semaines par les agences de notation.
Le problème est que la guerre Russie-Ukraine, si elle est à l’origine de l’aggravation de la crise économique mondiale, en Afrique, la politique monétaire adoptée par la réserve fédérale américaine pour faire face à l’inflation, a impacté négativement les économies du continent et plongé de nombreux pays dans des crises aux lendemains incertains.
En effet, face à l’inflation qui a touché le monde au début de la guerre Russie-Ukraine, les Etats-Unis ont rapidement réagi à travers la politique monétaire restrictive -augmentation des taux directeurs favorisant la contraction des crédits accordés par les banques de second rang- pour enrayer la hausse des prix.
La Banque centrale américaine a rehaussé à neuf reprises son taux directeur le faisant passer de 0% au début de la guerre à 4,75% actuellement, son plus haut niveau depuis 15 ans. Cette politique a permis de freiner l’inflation à 7,5%. Un niveau jugé encore élevé et qui a poussé l’autorité monétaire américaine à annoncer la poursuite de cette politique monétaire restrictive en 2023.
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Seulement, étant la première économie mondiale dont la monnaie la première utilisée dans les paiements internationaux et les réserves en devises, les Etats-Unis dictent le tempo et les autres suivent pour espérer atténuer la hausse généralisée des prix qui minent leurs économies.
A commencer par la Banque centrale européenne (BCE) qui a depuis multiplié les hausses des taux pour lutter contre une inflation qui a atteint les 10% en un an, en novembre dernier. Et par effet de mimétisme, ce sont tous les pays qui ont commencé à revoir leur taux directeur à la hausse pour le même objectif: freiner l’inflation. Les pays africains ont suivi la même voie.
Seulement, les objectifs assignés à ces politiques monétaires n’ont pas eu les effets escomptés dans tous les pays. Pire, la politique monétaire restrictive américaine combinée à l’incertitude liée à la conjoncture mondiale ont eu pour principale conséquence la hausse du dollar américain qui a retrouvé rapidement son statut de valeur refuge pour les investisseurs en quête d’un placement le moins risqué possible. Et ce d’autant plus que la hausse du taux directeur s’est traduite par une amélioration des rendements des obligations américaines.
En conséquence, le dollar s’est envolé vis-à-vis des autres devises et monnaies. En octobre 2022, le dollar a atteint son plus haut niveau depuis 2000 en s’appréciant de 20% face au yen, 13% face à l’euro et donc aussi face au franc CFA adossé à la monnaie unique européenne et presque face à la quasi-totalité des monnaies des pays africains.
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Seulement, si un dollar fort dans un contexte de crise est relativement bon pour l’Amérique, le billet vert crée une situation difficile pour le reste du monde, particulièrement pour les pays en développement, notamment les pays africains structurellement fragiles, du fait des implication macroéconomiques non négligeables qu’engendre cette hausse du dollar. Et pour cause, si le dollar est la monnaie des Etats-Unis, il n’en demeure pas moins qu’il représente, à l’échelle mondiale, la première monnaie de réserve de change (59% des réserves de change du monde) et d’échanges (40% du commerce mondiale). En Afrique, ces proportions sont beaucoup plus importantes.
Aujourd’hui, en dépit de la baisse significative des cours du baril de pétrole et des céréales, l’appréciation du dollar provoque des tempêtes en Afrique. Et les pays africains, dans leur écrasante majorité, sont durement affectés par l’inflation provoquée davantage par la forte appréciation du dollar et l’effondrement des monnaies des pays africains les plus touchés par la flambée des prix, la chute de leurs réserves en devises et le surendettement qui fait que de nombreux pays du continent sont au bord du défaut de paiement.
L’inflation à deux chiffres, le dollar y est pour beaucoup
Si les Etats-Unis, à travers leur politique monétaire, ont réussi à atténuer l’inflation, ils ont fortement contribué à son envolée dans les pays africains. Quelques 25 pays du continent affichent des taux d’inflation à deux chiffres : Zimbabwe (230%), Soudan (87,3%), Ghana (54,1%), Sierra Leone (37,09%), Ethiopie (33,8%), Rwanda (31,70%), Burundi (26,64%), Egypte (31,24%), Malawi (25,4%), Nigeria (21,34%)… A noter que pour le Ghana et le Nigeria, les taux d’inflation sont les plus élevés enregistrés respectivement depuis 22 ans et 17 ans.
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Même les pays qui ont une tradition inflationniste faible ont enregistré des taux à deux chiffres dont le Sénégal (12,8%), le Botswana (12,4%), Maurice (11,8%)...
Les taux d’inflation les plus élevés
Pays | Taux d’inflation | Date (déc2022/Jan2023 |
---|---|---|
Sao Tome-et-Principe | 25,20 % | Décembre 2022 |
Malawi | 25,40 % | Décembre 2022 |
Egypte | 25,80 % | Janvier 2023 |
Burundi | 28,62 % | Janvier 2023 |
Rwanda | 31,10 % | Janvier 2023 |
Ethiopie | 33,90 % | Janvier 2023 |
Sierra Leone | 37,09 % | Décembre 2022 |
Ghana | 53,60 % | Janvier 2023 |
Soudan | 87,30 % | Décembre 2022 |
Zimbabwe | 230 % | Janvier 2023 |
Source: Trading Economics
Ces chiffres sont globalement biaisés et ne reflètent pas l’ampleur de la hausse des prix du fait des failles statistiques qui existent dans de nombreux pays du continent, de la volonté manifeste de certains Etats à occulter le niveau réel de l’inflation et du fait, enfin, de l’impact des politiques de subventions de nombreux produits (carburants, farine, huile, pain…).
Derrière cette inflation, il y a certes le renchérissement du coût des importations des pays africains, notamment les carburants qui sont largement importés du fait de la faiblesse de structures de raffinage, de la flambée du coût du fret maritime, de la forte hausse des cours des produits agricoles et des engrais…. Autant de facteurs qui sont à l’origine de l’inflation importée par les pays africains. Une inflation qui a été aggravée par la perturbation des chaînes d’approvisionnement mondiales durant les premiers mois de la guerre.
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Toutefois, la forte appréciation du dollar américain, principale monnaie de facturation des échanges mondiaux, notamment pour les produits pétroliers et les céréales importés par les pays africains, a beaucoup impacté sur le niveau de la hausse des prix dans de nombreux pays africains, particulièrement chez ceux dont les monnaies se sont fortement dépréciées face au billet vert : Egypte, Ghana, Zimbabwe… On estime qu’une appréciation de 10% du dollar a une répercussion de 1% sur l’inflation.
Fortes dépréciations des monnaies africaines face au billet vert
En effet, la politique de hausse du taux directeur américain s’est traduite par un affermissement du dollar américain qui s’est apprécié vis-à-vis de presque toutes les monnaies mondiales et particulièrement africaines. Ainsi, entre le 9 février 2022 et le 9 février 2023, le billet vert s’est fortement apprécié par rapport aux principales monnaies du continent. Le dollar s’est apprécié de 93,16% vis-à-vis de la livre égyptienne, 89,68% par rapport au cedi ghanéen, 32,09% vis-à-vis de la livre soudanaise, 11,04% par rapport au dirhams marocains, 10,50% vis-à-vis du naira nigérian…
Ainsi, pour certaines monnaies, comme le cedi ghanéen et la livre égyptienne, il s’agit d’effondrement des monnaies locales vis-à-vis du dollar. Du coup, cela renchérit fortement les importations exprimées en monnaie locale alors que la détente des cours mondiaux prévaut. Et ce n’est pas pour rien que ces pays figurent parmi ceux dont les taux d’inflation figurent parmi les plus levés du continent.
Conséquence de ces dépréciations des monnaies africaines, en dépit de la baisse des cours du pétrole brut entre le déclenchement de la guerre Russie-Ukraine en février 2022 et actuellement, les prix des carburants n’ont jamais été aussi élevés au niveau du continent à cause particulièrement des dépréciations des monnaies qui ont entrainé une forte hausse des importations des carburants en monnaies locales.
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A noter que les banques centrales africaines ont aussi usé de la variable taux directeur pour suivre le tempo imposé au reste du monde par la Fed, mais sans succès. L’inflation étant importée, ces politiques ont plus contribué à freiner la relance économique qu’à véritablement lutter contre l’inflation. D’ailleurs, les pays qui ont le plus recouru à cet instrument monétaire -Egypte, Ghana, Nigeria…- sont ceux où l’inflation figure parmi les plus élevés du continent.
Et les effets de cette inflation combinée à la dépréciation des monnaies face au dollar impactent négativement sur les réserves en devises des pays africains.
Effondrement des réserves de changes
Selon Bloomberg, les réserves de changes des banques centrales dans le monde ont diminué de plus de 1.000 milliards de dollars entre février et octobre 2022. Les pays africains qui ont des réserves faibles ont été très touchés sous l’effet de nombreux facteurs. D’abord, il y a les sorties de capitaux liés à la hausse des risques et aux incertitudes dans les pays africains. Une situation qui a poussé les investisseurs à retirer une partie non négligeable de leurs placements financiers pour les orienter vers des places beaucoup plus sures, notamment aux Etats-Unis, et ce d’autant plus que les rendements qui étaient proche de 0% sont devenus, grâce à la politique resserrement monétaire américaine, relativement attractifs.
Cette réallocation des capitaux en faveurs des pays occidentaux, notamment des Etats-Unis, a particulièrement touché certains grands pays. C’est le cas notamment de l’Egypte où les sorties de capitaux ont été manifestes au début de la guerre Russie-Ukraine.
Ensuite, il y a l’impact de la flambée des cours des hydrocarbures, des produits agricoles (blé, oléagineux…) et autres (engrais…) sur le marché international et qui ont fait explosé les factures d’importation et creusé les déficits commerciaux de nombreux pays non exportateurs de pétrole.
Enfin, une partie des réserves des pays africains étant détenue en d’autres devises (yen, yuan, euro, livre sterling…), l’appréciation du dollar a fait perdre de la valeur à ces devises et contribué à la fonte des réserves de change de certains pays africains.
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Conséquence, selon le Fonds monétaire international (FMI), un quart des pays d’Afrique subsaharienne ne disposent plus de réserves en devises leur permettant de couvrir trois mois d’importation de biens et services. Un seuil jugé critique par l’institution.
Conséquence, ne pouvant pas activer la planche à billets, comme les Etats-Unis et l’Union européenne, pour financer la relance, de nombreux pays africains font face à des problèmes de liquidités inquiétants. C’est le cas du Nigeria et de l’Egypte, les deux premières économies africaines en termes de PIB, et du Ghana…
En Egypte, les réserves de change sont tombées à 34 milliards de dollars à fin janvier 2023, contre 44 milliards de dollars à la veille de la guerre Russie-Ukraine. Cette guerre et la politique monétaire suivie depuis par les Etats-Unis se sont traduites par des sorties de devises évaluées à 9 milliards de dollars. A noter que sur les 34 milliards de dollars de réserves de change restants, 28 milliards sont des dépôts effectués par les pays Golfe au niveau de la Banque centrale égyptienne. C’est dire que les réserves du pays ont été totalement laminées.
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Toutefois, le cas le plus emblématique est certainement celui du Ghana. Les réserves de change du pays ne couvrant, en juin dernier, que 2 mois d’importations de biens et services. La crise de devises est telle que le Ghana, premier producteur d’or africain, a décidé, à partir du 1er janvier 2023, de ne plus régler ses achats de carburants en dollars, mais en or, et ce afin de préserver le peu de devises qui lui reste pour faire face aux importations d’autres biens et services et surtout lutter contre la perte de valeur de sa monnaie, le Cedi, qui a perdu 89,68% de sa valeur vis-à-vis du dollar entre le 9 février 2022 et le 9 février 2023! En Tunisie aussi, les avoirs extérieurs couvrent actuellement moins 96 jours d’importations de biens et services.
Seulement, avec des avoirs en devises qui fondent, ce sont les capacités d’importations mais aussi de remboursement de service de la dette qui sont concernées.
Dette: des ardoises de service de la dette difficilement supportables
En plus de l’inflation et la baisse des réserves en devises des pays africains, à quelques exceptions près de certains pays ayant profité de l’embellie des cours du baril de pétrole, la politique monétaire américaine a aussi eu des impacts négatives sur les dettes des pays africains. Outre le fait qu’une partie non négligeable de celle-ci soit libellée en dollar qui s’est fortement apprécié par rapport aux monnaies africaines, et que les réserves en devises des pays africains ont été durement affectées par la flambée des prix des produits importés (carburants, céréales, oléagineux, engrais…), la politique monétaire américaine s’est aussi traduite par la hausse des taux d’intérêt dans le sillage de celui du taux directeur américain qui est passé de 0% avant le déclenchement de la guerre Russie-Ukraine à 4,75% actuellement. Cette politique combinée à celle menée par les banques centrales des autres pays pour soutenir leurs devises en baisse face au dollar en rachetant le billet vert ont impacté le marché obligataire et pousser les taux américains vers le haut.
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Et sachant que la moitié des prêts transfrontaliers et des titres de créances internationaux sont libellés en dollars, cette hausse des taux se traduit par un renchérissement automatique du service de la dette des pays africains. Ainsi, la hausse du dollar et l’augmentation des taux d’intérêt ont impacté négativement sur les services de dette des pays africains. Une situation qui va lourdement peser sur les finances publiques de nombreux pays au moment où les bailleurs de fonds étrangers sont devenus plus regardants à cause des risques importants d’insolvabilité de nombreux pays.
Et les recettes budgétaires affectées au remboursement de la dette laissent peu de marge aux pays africains qui doivent sacrifier certaines dépenses, notamment les investissements publics, notamment ceux liés aux infrastructures, pour faire face au remboursement des prêts contractés auprès des bailleurs de fonds.
Conséquence, les agences de notation ont multiplié les dégradations des notes souveraines de nombreux pays africains à la limite de défaut de paiement. C’est le cas du Ghana, de la Tunisie, de l’Egypte, du Nigeria, de l’Ethiopie… L’Egypte affiche une dette se situant à plus de 155 milliards de dollars. Du coup, le service de la dette du pays est colossal et avait atteint les 20 milliards de dollars entre juillet 2021 et mars 2022 (16,6 milliards de dollars en principal et 3,4 milliards en intérêts), laissant peu de marge de manœuvre au gouvernement.
En clair, les hausses du dollar et des taux d’intérêt font que les services de dette sont devenus de véritables goulots d’étranglement pour de nombreux pays africains qui ont vu le montant de leur service de dette accroitre mécaniquement.
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Bref, les conséquences du resserrement de la politique monétaire menée par les Etats-Unis a été globalement en Afrique où inflation, dépréciation forte des monnaies, hausse du service de la dette et effondrement des réserves en devises sont presque partout constatés.
Du coup, de nombreux pays africains sont empêtrés dans des crises économiques et financières, même si certains ont mieux résisté que d’autres. Et même les pays africains qui échappent à la crise aigue ont du mal à enclencher des processus de relances économiques.
Et le pire est que cette politique monétaire américaine sera poursuivie par la Fed tant que l’inflation n’est pas maitrisée. Un scénario que ne semble guère écarter Kristalina Georgieva, directrice générale du FMI qui souligne qu’il faudrait «penser au scénario dans lequel l’inflation aux Etats-Unis ne serait pas maîtrisée pendant une longue période», expliquant que cela serait «mauvais pour les Etats-Unis, mais cela aurait aussi des répercussions pour le reste du monde».
En août 2022, Jerome Powel, le président de la Fed, avait prévenu les américains que la lutte contre l’inflation va faire mal, soulignant que «ce sont les coûts malheureux d’une réduction de l’inflation», ajoutant qu’«échouer à rétablir la stabilité des prix causerait encore plus de mal».
Quant aux autres, ils devront encore méditer longtemps la célèbre phrase prononcée en 1971 par John Bowden Connally, secrétaire au Trésor américain d’alors: «le dollar est notre monnaie, mais c’est votre problème».