L’Afrique subsaharienne (ASS) a un potentiel de recettes fiscales inexploité, notamment auprès des contribuables aisés, des secteurs des ressources naturelles et de l’économie informelle. Selon un récent Policy Brief du Programme des Nations-Unies pour le développement (PNUD), pour atteindre les Objectifs de développement durable (ODD) et l’Agenda 2063, les pays de la région doivent urgemment mobiliser des ressources supplémentaires en élargissant leur assiette fiscale.
«L’Afrique subsaharienne doit urgemment élargir son assiette fiscale afin de mobiliser davantage de ressources intérieures pour financer son développement durable », souligne le document. Avec un ratio impôts/PIB moyen de 15,6% en 2021, bien en deçà du niveau. mondial (33,1%) et des autres régions en développement, la marge de manœuvre est considérable. Plusieurs segments de contribuables restent largement sous-taxés.
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Premièrement, le secteur informel échappe en grande partie à l’impôt malgré son poids économique substantiel. Représentant jusqu’à 60% du PIB et 90% de l’emploi dans certains pays, ce vaste réservoir de recettes potentielles nécessite des stratégies d’intégration fiscale adaptées. Près des trois quarts de l’emploi non agricole en Afrique subsaharienne proviennent du secteur informel, généralement peu ou pas taxé.
Etendre progressivement le filet fiscal à cette économie parallèle constitue donc un levier de recettes potentielles. Cela passe par la simplification de l’enregistrement des entreprises, l’éducation fiscale, l’utilisation des nouvelles technologies pour tracer les transactions, et la mise en place d’un régime fiscal allégé pour les petits contribuables.
Selon le Policy Brief publié par le PNUD, le système e@syFile de l'administration fiscale sud-africaine (SARS) est un modèle pour le continent. Il permet des soumissions en temps réel du logiciel de planification des ressources de l'entreprise vers le système SARS, avec des rapprochements mensuels permettant des remboursements dans les 48 heures suivant la clôture du mois. Bien que volontaire, ce système est très populaire, avec environ 90 % des entreprises éligibles qui y participent. La rapidité du système est une incitation importante, en particulier pour les petites entreprises, ce qui fait que l'écart de TVA en Afrique du Sud est le plus faible d'Afrique, à 13,3%.. DR
Les hauts revenus et l’immobilier de luxe
Deuxièmement, l’un des principaux gisements de recettes fiscales inexploités en ASS réside dans la taxation insuffisante des hauts revenus et des contribuables fortunés. En effet, selon le PNUD, l’impôt sur le revenu des personnes physiques ne représente en moyenne que 3% du PIB dans plusieurs pays à faible revenu de la région, contre près de 10% dans les pays plus riches. Cette disparité s’explique notamment par des lacunes en matière de respect des obligations fiscales chez les plus aisés.
Troisièmement, et en parallèle de la taxation des hauts revenus, la taxation de la propriété immobilière de haute valeur reste embryonnaire malgré l’essor de l’immobilier de luxe dans les grandes villes. La fiscalité immobilière offre, en effet, un potentiel considérable. Alors que les pays performants collectent 2 à 3% de leur PIB via l’impôt foncier, de nombreux pays à faible revenu n’en tirent que 0,1 à 0,2%. Pour le PNUD, «cet écart résulte de systèmes mal conçus, de la corruption et d’interférences politiques qui permettent une sous-évaluation des propriétés de haute valeur».
Pourtant, des réformes ciblées peuvent rapidement porter leurs fruits, comme l’a démontré un projet soutenu par le PNUD à Freetown, en Sierra Leone, où les recettes de l’impôt foncier ont quintuplé en un an grâce à une meilleure évaluation des biens immobiliers de luxe. Des réformes visant à renforcer ces deux leviers fiscaux, combinées à une meilleure identification et imposition des contribuables aisés, offrent un potentiel de recettes substantiel.
Pour mieux taxer les contribuables aisés, le PNUD recommande de « créer des services fiscaux spécialisés, exploiter les analyses de données, consolider les informations provenant de diverses sources, revoir régulièrement la législation fiscale, appliquer des règles anti-évitement, participer aux échanges automatiques d’informations financières, établir des registres publics des bénéficiaires effectifs, renforcer la fiscalité du patrimoine et des plus-values, durcir les sanctions en cas d’évasion et améliorer les moyens de contrôle et de répression».
Les multinationales et l’érosion de la base fiscale
En quatrième position, le PNUD pointe du doigt l’optimisation fiscale agressive des multinationales, qui érode considérablement la base taxable des pays africains.
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Selon le FMI, les pays en développement perdraient annuellement 200 milliards de dollars de recettes d’impôts sur les sociétés en raison de ces pratiques. Une meilleure taxation des bénéfices des multinationales, notamment celles opérant dans les secteurs extractifs très rentables, constitue donc un enjeu majeur pour accroître les recettes publiques.
Les pays de l’ASS comptent fortement sur la fiscalité des entreprises multinationales, qui représente parfois jusqu’à 88% de leurs recettes fiscales selon le PNUD. Protéger ces recettes contre les pratiques d’érosion de la base fiscale et de transfert des bénéfices est donc primordial, notamment via une coopération fiscale internationale renforcée.
En outre, lutter contre l’évasion et l’optimisation fiscales transnationales requiert une coopération fiscale internationale renforcée. Pour le PNUD, «l’échange automatique d’informations, la lutte contre les paradis fiscaux et juridictions opaques, et la mise en œuvre des standards minimums de l’OCDE contre l’érosion de la base fiscale (BEPS) » sont des leviers essentiels pour changer la donne.
L’exploitation des ressources naturelles
Cinquième segment largement sous-taxé: les recettes issues des ressources naturelles. Malgré l’abondance des matières premières, les redevances et impôts prélevés sur leur exploitation représentent seulement 1 à 2% des recettes totales, contre 10% en Amérique latine. Nombre de pays de l’ASS disposent d’importantes ressources naturelles comme le pétrole, le gaz ou les minerais.
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Cependant, ces richesses ne se traduisent pas toujours en recettes fiscales adéquates en raison de contrats mal négociés, d’exonérations excessives ou d’une taxation insuffisante des profits des entreprises extractives. Renforcer la fiscalité minière et pétrolière, par des réformes des régimes fiscaux et une gestion transparente des contrats d’exploitation, offre d’importants gisements de revenus supplémentaires.
Pour valoriser ce potentiel, le PNUD suggère plusieurs options : l’extraction directe par des entreprises publiques, la vente des droits d’exploitation ou la taxation des bénéfices via des régimes fiscaux adaptés. La création de fonds de stabilisation, alimentés par des taxes sur les super-profits, permet en outre de lisser les recettes et d’investir durablement ces revenus extraordinaires dans le développement, à l’image du Fonds pétrolier norvégien.
Les addictions et autres
Le PNUD insiste également sur le potentiel de recettes à tirer d’une meilleure mobilisation des taxes indirectes comme la TVA ou les taxes comportementales (« sin taxes ») sur l’alcool, le tabac ou les jeux d’argent représentent une source inexploitée de revenus tout en permettant d’infléchir les comportements à risque. Ce segment de contribuables constitue la sixième catégorie largement sous-taxée aux yeux du PNUD.
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Bien conçues, ces segments permettraient de dégager des ressources tout en décourageant les comportements à risque. Aux Philippines par exemple, une hausse des taxes sur l’alcool et le tabac a rapporté plus de 90 milliards de pesos en moins d’un an pour financer le système de santé.
Réformes, coopération et nouvelles technologies
Pour concrétiser ce gisement de recettes fiscales, les pays africains devront relever plusieurs défis de taille, notamment en termes de réformes administratives, juridiques et technologiques. Le PNUD recommande ainsi de moderniser les procédures fiscales grâce au numérique, d’instaurer une budgétisation axée sur la performance, de conduire des revues régulières des dépenses publiques ou encore de développer des partenariats public-privé.
A l’échelle des pays, restaurer la confiance des citoyens dans l’utilisation équitable et transparente de l’impôt constituera un prérequis pour améliorer le civisme fiscal. Au-delà des réformes nationales, une coopération fiscale régionale et internationale approfondie sera indispensable pour lutter efficacement contre l’évasion et l’optimisation fiscales des multinationales et des particuliers fortunés.
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Le renforcement des échanges automatiques d’informations et l’adoption de règles communes, à l’image du projet de convention fiscale africaine en cours de négociation, devront compléter les efforts déployés au niveau national.