Acculée par le gouvernement malien, la France s'interroge sur les modalités de sa présence

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Le 29/01/2022 à 07h19, mis à jour le 29/01/2022 à 07h28

Entravés dans leur action militaire antijihadiste au Mali par une junte de plus en plus hostile, la France et ses partenaires européens ne peuvent «pas rester en l'état» dans ce pays, a prévenu Paris vendredi, confirmant le climat d'incertitude dans la région.

«Vu la rupture du cadre politique et du cadre militaire (au Mali), nous ne pouvons pas rester en l'état», a averti le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian sur la radio RTL, en déplorant des «entraves» croissantes à la mission des «forces européennes, françaises, internationales».

Les relations sont devenues exécrables entre Bamako et les Européens, alignés sur la Cédéao qui a adopté des sanctions contre la junte malienne.

Celle-ci est accusée d'avoir fait appel aux services du sulfureux groupe de mercenaires russes Wagner - ce qu'elle dément -. Elle a remis en cause les accords de défense liant Bamako à Paris et vient d'exiger des forces danoises, venues grossir les rangs du groupement européen de forces spéciales Takuba, de quitter le pays. Une «humiliation», jugent plusieurs sources françaises proches du dossier.

«Désormais nous lançons une concertation avec nos partenaires pour évaluer la situation et adapter notre dispositif à la nouvelle donne», a déclaré le ministre vendredi après-midi avec son homologue néerlandais Wopke Hoekstra.

Toutefois, une éventuelle reconfiguration du dispositif antijihadiste militaire français et européen sera «une décision collective» après «des discussions et avec nos partenaires africains et avec nos partenaires européens», a prudemment souligné le chef de la diplomatie française, sans prononcer le mot de retrait.

Réponse cinglante du ministre malien des Affaires étrangères Abdoulaye Diop : «Le Mali non plus n'exclut rien par rapport à ces questions si ça ne prend pas en compte nos intérêts», a-t-il dit à Radio France Internationale et France 24.

Trine Bramsen, la ministre danoise de la Défense a expliqué que les pays participant à Takuba prendrait une décision d'ici deux semaines.

«Les pays prendront dans les 14 prochains jours une décision sur ce à quoi devrait ressembler le futur de la lutte contre le terrorisme au Sahel», a-t-elle dit, citée par l'agence danoise Ritzau, après une réunion virtuelle des ministres de Takuba, qui déploie 800 militaires au Mali.

«Nous cherchons une approche conjointe», a déclaré à Paris Hoekstra.

Côté Malien, demander le départ des troupes françaises «n'est pas pour le moment sur la table», a dit Diop. Cependant, «si une présence à un moment donné est jugée contraire aux intérêts du Mali, nous n'hésiterons pas à nous assumer, mais nous n'en sommes pas là».

Depuis six mois, la France a entamé une réarticulation de son dispositif militaire au Mali, en quittant ses trois bases les plus au nord. Ses effectifs, de plus de 5.000 militaires au Sahel l'été dernier, ont décru avec l'objectif affiché de n'en garder que 2.500 à 3.000 d'ici 2023.

Une réduction de voilure compensée par l'arrivée de renforts européens au sein du groupement de forces spéciales Takuba, créé à l'initiative de Paris pour partager le fardeau antijihadiste au Mali et recentrer les efforts sur l'accompagnement au combat des soldats maliens.

Recherche de consensus européen

Symbole d'une Europe de la défense chère à Emmanuel Macron, ce groupement est aujourd'hui dépendant du bon vouloir de la junte malienne pour exister.

En pleine présidence française de l'Union européenne et à trois mois de l'élection présidentielle française, la mort de l'opération constituerait un cuisant revers.

Mais la France reste soucieuse de présenter un front européen uni sur la question. Une manière d'éviter la comparaison avec l'Afghanistan, dont les Etats-Unis se sont retirés l'été dernier sans concertation avec leurs alliés.

En façade, Paris temporise. Mais en coulisses la fébrilité est palpable. Les obstructions de la junte, qui surfe sur un sentiment anti-français croissant dans la sous-région, pourraient finir par poser la question d'un retrait français du Mali, où Paris est engagé militairement depuis 2013, au prix de 48 morts (53 au Sahel) et de milliards d'euros.

Le désengagement des militaires français au Mali «prendra des mois, si tant est que ce soit décidé», mais ce n'est «pas à l'ordre du jour à ce stade», a commenté l'état-major.

Sur le terrain, les groupes jihadistes affiliés, selon les zones, à Al-Qaïda ou au groupe Etat islamique, ont conservé un fort pouvoir de nuisance malgré l'élimination de nombreux chefs. Et les violences se sont propagées au Burkina Faso et au Niger voisins, avant de descendre vers le sud, dans le nord de la Côte d'Ivoire, du Bénin et du Ghana.

La France réaffirme à cet égard sa détermination à combattre le terrorisme qui «s'est diffusé dans toute la région (...), avec tous ceux qui veulent bien le combattre avec nous», a fait valoir Le Drian.

De sources concordantes, des réflexions sont en cours sur la création d'un poste de commandement français pour superviser les activités de coopération militaire en Afrique de l'Ouest.

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 29/01/2022 à 07h19, mis à jour le 29/01/2022 à 07h28