Maroc-Mauritanie: pourquoi l’intox algérienne ne fermera pas la frontière

Les camions chargées de marchandises circulent de nouveau entre le Maroc et la Mauritanie.

Les camions chargées de marchandises circulent de nouveau entre le Maroc et la Mauritanie.. DR

Le 18/09/2017 à 13h46, mis à jour le 18/09/2017 à 13h49

La presse algérienne invente une détérioration des relations entre Rabat et Nouakchott, allant jusqu’à annoncer la fermeture de la frontière la plus rentable du Trésor public mauritanien, devant le port de Nouakchott. Il y a bien d'autres raisons qui démontrent tout le ridicule de l'intox colportée.

Depuis quelques semaines, la presse algérienne et ses rares canaux mauritaniens multiplient des sorties burlesques sur une prétendue détérioration des relations diplomatiques entre le royaume du Maroc et la Mauritanie. Pire, via son canal d’information contrôlé par les services de renseignements algériens, algériepatriotique.com, Alger parle même d'une «décision récente prise par les autorités mauritaniennes de fermer le poste frontalier de Guergarat et de le remplacer par un nouveau poste entre les frontières mauritano-algériennes, près de Tindouf, privant ainsi le Maroc d’un accès direct à la région subsaharienne et au continent noir via la Mauritanie». 

Apparemment, et voyant l'Algérie de plus en plus isolée et fortement marquée par la décision brusque des autorités mauritaniennes de fermer leur frontière avec le voisin du nord-est, les sécuritaires algériens n’arrivent pas à avaler la pilule.

Or, il n’a aucunement été question du côté mauritanien de fermer une quelconque frontière avec le Maroc. Si cela était le cas, les autorités mauritaniennes l’auraient fait de manière tout aussi officielle qu’elles l’avaient fait il y a quelques semaines en annonçant, par le biais d’un communiqué officiel du ministre de la Défense, la fermeture totale de la frontière avec l’Algérie et en déclarant cette région frontalière zone militaire.

Du côté du Maroc, aucun communiqué n’a été diffusé non plus en ce sens, alors que le trafic routier entre le Maroc et la Mauritanie n’a jamais été aussi dense que durant cette période sur un axe stratégique, pour les deux partenaires, mais également pour les opérateurs économiques du Sénégal ou du Mali.

Une frontière marquée depuis plusieurs années par le rythme incessant des va-et-vient des camionneurs marocains et mauritaniens transportant diverses marchandises. Grâce à cette frontière commune, la Mauritanie est ravitaillée en légumes, fruits, denrées alimentaires, etc., produits dont elle est devenue économiquement très dépendante. De même, en l’absence de ligne maritime directe entre les deux pays voisins, plusieurs biens d’équipements, demi-produits et autres produits divers (industriels, électriques, hygiène, etc.) transitent via cette frontière.

La Mauritanie, autant que le Maroc, en profite énormément. D’abord le marché local est bien approvisionné en produits à des coûts accessibles, notamment pour ce qui est des légumes et fruits dont la production locale est loin de couvrir les besoins locaux, en quantité et en qualité. Ensuite, les passages des camionneurs marocains et autres voitures particulières en provenance de l’Europe laissent dans les caisses de la douane et du Trésor mauritaniens d’importantes recettes. A titre d’exemple, à chaque passage, un camion de 25 tonnes s’acquitte d’une taxe de 787.000 ouguiyas, soit environ 1.900 euros. D'ailleurs, le poste frontalier entre le Maroc et la Mauritanie a enregistré la plus importante recette douanière du pays en 2016. Ce n'est pas pour rien que Nouakchott avait très mal perçu l'installation des militaires du "Polisario" à Guergarate menaçant le flux des échanges entre les deux pays.

Par ailleurs, cette frontière est le lieu d'intenses allées-et-venues entre les populations marocaines et mauritaniennes qui se rendent mutuellement visite de par les liens tribaux, de parenté...

Et avec autant d'enjeux, comment la Mauritanie, qui a fermé sa frontière avec l'Algérie, prendra t-elle le risque de fermer également celle avec le Maroc? 

C’est dire que contrairement à la frontière mauritano-algérienne où les échanges formels sont inexistants, la Mauritanie n’a pas intérêt à fermer sa frontière avec le Maroc, et vice-versa. 

Au-delà de la Mauritanie, les camionneurs marocains approvisionnent de plus en plus les marchés ouest-africains : Sénégal, Mali, Guinée, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, etc. Une situation qui devrait se renforcer encore plus avec l’adhésion totale du Maroc au sein de l’espace CEDEAO à partir de décembre prochain. Et quand on lit entre les lignes la sortie du canal sécuritaire algérien, on comprend bien que c’est cette adhésion à la communauté ouest-africaine qui sidère les autorités algériennes, rêvant ainsi d’un «nouveau poste entre les frontières mauritano-algériennes, près de Tindouf, privant ainsi le Maroc d’un accès direct à la région subsaharienne et au continent noir via la Mauritanie».

C’est dire que l’Algérie a du mal à accepter l’adhésion du Maroc à la CEDEAO et fera tout pour essayer d’en limiter les effets positifs. Seulement, avec l’accord d’association signé par la Mauritanie avec la CEDEAO, la Mauritanie ne pourra pas constituer un obstacle à la libre circulation des marchandises entre le Maroc et le reste des pays de la CEDEAO, circulation des biens dont elle est le premier pays à profiter.

Comment dans ces conditions peut-on parler de l’ouverture d’un nouveau poste frontalier près de Tindouf? Pour transporter quoi concrètement, hormis les dons destinés aux populations séquestrées à Tindouf et détournés vers la Mauritanie? Cette contrebande n’arrive plus à prendre le chemin de Zouerate, Nouadhibou ou Nouakchott depuis la fermeture de la frontière mauritano-algérienne pour cause de trafics de toutes sortes et surtout des craintes sécuritaires au lendemain de l’annonce de la création de la Force G5 Sahel sous le parapluie français. Une Force qui plus est enterre en quelque sorte le Comité d’état-major opérationnel conjoint (CEMOC), dont le siège se trouve à Tamanrasset, en Algérie, et qui a toujours été une coquille vide.

D’ailleurs, depuis la fermeture de la frontière mauritano-algérienne, hormis les trafiquants, personnes ne s’émeut de cette mesure radicale. Car il n’y a pas d’échanges commerciaux via cette région et très peu de déplacements humains du fait des limitations de sorties imposées aux populations des camps de Tindouf et de la région par les autorités algériennes.

Enfin, il faut rappeler que l’intox sur la fermeture de la frontière mauritano-algérienne intervient quelques jours après la publication par un site mauritanien proche des milieux algériens d’un prétendu refus d’accréditation au nouvel ambassadeur du Maroc à Nouakchott. Les canaux algériens ont bien naturellement repris l’information en liant celle-ci à l’affaire Bouamatou, du nom de l’homme d’affaires mauritanien exilé au Maroc.

Seulement, là aussi on oublie le calendrier chargé du président mauritanien au cours de ces dernières semaines -référendum, affaires Ghadda, visites à l’étranger, etc. Et puis, ils font semblant d'ignorer que le président algérien n’a pas accrédité un seul ambassadeur depuis 5 ans et que plus d’une quarantaine d’ambassadeurs sont en activité à Alger sans pouvoir présenter leurs lettres de créance au président Bouteflika et sans que cela n’entraîne une quelconque détérioration des relations entre Alger et ces pays...

Par Karim Zeidane
Le 18/09/2017 à 13h46, mis à jour le 18/09/2017 à 13h49