Comment le Maroc et la Tunisie sont coincés entre les régimes militaires qui dominent en Afrique du Nord

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Le 04/05/2019 à 09h00, mis à jour le 05/05/2019 à 10h36

A l'exception du Maroc et de la Tunisie, les autres pays d'Afrique du Nord sont sous la houlette des militaires. Outre la Mauritanie, la Libye et l'Egypte, dirigées par des officiers, l'Algérie est aujourd'hui victime de ce que Saïd Sadi appelle "un coup d'Etat blanc" perpétré par Gaïd Salah.

Si au Maroc et en Tunisie, l’armée reste dans ses casernes et ne s’occupe ni de politique, ni de justice et encore moins de faire des lois, il en est autrement dans les quatre autres pays du nord du continent.

En Egypte et en Mauritanie le débat ne se pose même pas. C’est un général de l’armée qui est à la tête des deux pays. Alors qu’en Libye, le départ de Mouammar Kadhafi a permis aux milices et aux hommes du maréchal Khalifa Haftar d’hériter du pouvoir réel.

Mais de tous les pays nord-africains, c’est le cas algérien qui semble le plus intéressant. La chute du président Bouteflika a mis à nu une réalité que nombre de personnes soupçonnaient sans jamais en avoir eu la preuve formelle auparavant. Le pouvoir est entre les mains de la Grande muette.

A priori, les institutions de la république démocratique populaire d'Algérie fonctionnent, dans le respect de la Constitution. Cependant, cette apparence cache une triste réalité: c’est le chef d’état-major, Ahmed Gaïd Salah, qui tire les ficelles, sans même s’en cacher et encore moins prendre de gants comme le faisaient ses prédécesseurs. Résultat: alors que tout le monde loue les manifestations pacifiques qui appellent à un changement du système, ce même système jette le masque et montre au grand jour que l’Algérie est un régime militaire.

Ce pays, aux quarante-deux millions d'habitants devenus pour la plupart des manifestants du vendredi, a bien un président "constitutionnel" : Abdelkader Bensalah. Ce dernier, qui était président du Sénat, a prêté serment le 9 avril dernier devant les deux chambres du Parlement réunies pour prendre acte de la démission de Abdelaziz Bouteflika et désigner son remplaçant séance tenante.

Théoriquement, le Conseil constitutionnel, le parlement et le président de la république, symboles respectifs des pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif, fonctionnent de manière indépendante. Mais il n'est pas besoin de faire la preuve de leur allégeance à l'appareil militaire. Mieux: ces institutions appliquent à la lettre les directives du chef d’état-major qui agit en maître absolu du pays, faisant de ses discours hebdomadaires le seul véritable rendez-vous politique en Algérie. Semaine après semaine, les faits et les actes que pose Ahmed Gaïd Salah montrent à suffisance que c'est lui, et lui seul, qui décide de tout. Y compris de la justice qu’il instrumentalise à la fois pour donner l’impression de lutter contre la corruption, régler des comptes personnels et se débarrasser ou intimider ses détracteurs.

Justice et exécutif ont prêté allégeance

Dès le 3 avril, c'est-à-dire une journée après avoir démissionné Bouteflika, Gaïd Salah demande à la justice de se saisir des dossiers de corruption et de lancer une opération mains propres. Le temple de Themis se met alors en branle. La justice ne cache plus qu’elle est aux ordres du général, malgré ses dénégations. La décision des juges, et même des non-juges, d'avoir décrété des interdictions de sortie du territoire venait de lui: Ahmed Ouyahia, l'ex-Premier ministre, le 27 mars, Ali Haddad, ex-patron des patrons, le 29 mars, l’arrestation des frères Kouninef et la tonitruante incarcération d’Issad Rebrab, c’est encore lui.

Ahmed Gaïd Salah est non seulement le chef de l'Etat, mais un chef d’Etat qui règne sans partage en Algérie et qui perpétue une vieille tradition algérienne depuis le coup d’état du colonel Boumediene contre Ben Bella en 1965: l’Algérie est un régime militaire.

Ould Abdel Aziz, le général-président qui ne s’est jamais "civilisé"

En Mauritanie, le président Ould Abdelaziz, au pouvoir depuis août 2008, termine son deuxième et dernier mandat en juin prochain. C'est en tant que colonel de l'armée mauritanienne qu'il prend part aux côtés de son cousin, feu le Colonel Ely Ould Mohamed Vall, à un premier coup d'Etat contre un autre colonel, le président Maaouya Sid Ahmed Taya. Quand, au terme d'une courte transition, le pouvoir est remis aux mains des civils, Ould Abdel Aziz, devenu général en janvier 2008, ne tardera pas à perpétrer un nouveau coup d'Etat contre Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Après avoir dirigé le pays, durant onze ans, il se retire, contraint par les autres officiers de l'armée, qui attendaient leur tour.

C'est pourquoi, son plus que probable successeur n'est autre que son ami de longue date, qui a été sous les drapeaux avec lui, issu de la même Académie militaire de Meknès, au Maroc, en l'occurrence Mohamed Ould Cheikh Ahmed dit Ghazouani. Ce général de division, qui a gravi tous les échelons de l'armée avant de prendre sa retraite, sera, sauf surprise à la gambienne, à la tête du pays à partir de l'été prochain. Concernant la gestion de Mohamed Ould Abdel Aziz, élu à deux reprises après l'organisation d'élections "contestées" et boycottées par l’opposition, elle a tout d'une présidence autocratique.

Le général n’a jamais su redevenir un civil. Il a gardé ses vieux réflexes d’homme de troupe.

Par exemple, quand en mars 2017, le Sénat mauritanien rejette le projet de réforme constitutionnelle, le président réélu en 2014 est subitement redevenu un général autoritaire. Il dissout le Sénat et emprisonne même un sénateur rebelle, en l'occurrence Mohamed Ould Ghadda. D'autres sénateurs seront interdits de sortie du territoire, en même temps que certains journalistes, eux aussi privés de passeports et poursuivis en justice. Et ce n'est là qu'un infime épisode pour montrer le caractère martial de sa présidence. Grâce à une justice totalement aux ordres, ses opposants sont systématiquement mis sous les verrous comme Biram Ould Dah Ould Abeid, leader de l'Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA). Ce dernier a d'ailleurs eu droit à plusieurs séjours en prison. Sa dernière sortie remonte à janvier dernier après avoir été embastillé en août 2018 et élu entre-temps député de la nation.

La Libye, entre les mains d’un maréchal et de mille milices

Un peu plus loin des frontières du Maroc, la Libye est actuellement, pour partie, entre les mains d'un gouvernement civil dit d'Union nationale, et pour la grande partie contrôlée par les troupes du maréchal Khalifa Haftar. De plus, bien des localités sont sous le contrôle des milices. Evidemment, rien n'est simple en Libye depuis la chute du colonel Mouammar Kadhafi en 2011. Le gouvernement d'union nationale, quoique reconnu par la communauté internationale, n'a qu'une légitimité limitée et il est à la merci des troupes de Khalifa Haftar. Tout porte à croire que, même si à la fin une solution politique pourrait s'imposer, elle se fera avec le maréchal Khalifa Haftar qui jouera le rôle principal.

Al-Sissi, le général à la main de fer

Il reste l'Egypte, le géant coincé entre l'Afrique du nord et le Moyen-Orient, dont l'expérience de régime civil démocratique n'aura duré que le temps d'un "printemps arabe". Mohamed Morsi, le leader des Frères musulmans, élu président le 30 juin 2012, sera démis par l'armée du général Abdelfattah Al-Sissi, un an et trois jours plus tard, le 3 juillet 2013. Et depuis, l'Egypte est dirigée d'une main de fer par son président militaire, qui s'est donné une certaine légitimité par le biais d'une élection présidentielle organisée en juin 2014.

Il vient même de faire adopter une loi par référendum qui l'autorise à rester au pouvoir jusqu'en 2030. 88,81% des votants lui ont ainsi exprimé leur confiance, selon les résultats officiels, et auraient ainsi cautionné sa politique économique des grands travaux, mais aussi et surtout de répression féroce contre les Frères musulmans. Des dizaines de partisans de l'ex-chef d'Etat Mohamed Morsi sont en prison, certains attendant d'épuiser les procédures judiciaires, d'autres dans le couloir de la mort ou purgeant des peines plus ou moins lourdes. Al-Sissi réconcilie ainsi l’Egypte avec cette vieille tradition: ce sont toujours les militaires qui ont dirigé ce pays depuis le putsch de Jamal Abdel Nasser en 1952.

Dans cette Afrique du Nord sous le joug des militaires, le Maroc et la Tunisie apparaissent comme des exceptions. Le caractère civil exceptionnel de ces deux pays en Afrique du Nord est rendu encore plus criant depuis que le général Ahmed Gaïd Salah a dévoilé au grand jour les vrais maîtres du pouvoir en Algérie.

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 04/05/2019 à 09h00, mis à jour le 05/05/2019 à 10h36