Automobile: comment le Maroc a ravi à l’Afrique du Sud la place de numéro 1 africain

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Le 13/05/2018 à 18h20, mis à jour le 13/05/2018 à 18h22

Le Maroc vient de ravir la première place de constructeur de véhicules particuliers en Afrique à l’Afrique du Sud. Le Royaume a les atouts pour conserver son nouveau rang et tenir à distance les nouveaux concurrents, mais la compétition sera rude dans les années à venir.

Une première, le Maroc est devenu le premier producteur de voitures particulières en Afrique. En 2017, le Maroc a produit 335.000 véhicules, contre 331.000 unités fabriquées en Afrique du Sud, selon Business Report, un journal économique sud-africain. Ces données viennent confirmer celles avancées par le média espagnol, Motorpassion, se basant sur les données de l’Organisation internationale des constructeurs automobiles (OICA), publiées il y a quelques jours et qui parlait de 376.000 véhicules produits au Maroc contre 341.802 voitures en Afrique du Sud.

Dans tous les cas, ces deux médias spécialisés donnent l’avantage au Maroc, même s’il faut préciser qu’il s’agit uniquement de la production de véhicules particuliers. En effet, en tenant compte de la production de véhicules industriels, l’Afrique du Sud demeure leader du continent avec une production estimée à 589.951 véhicules produits en 2017.

Ces chiffres confirment les progrès considérables réalisés par le Maroc quand on sait que l’Afrique du Sud a toujours tenu le rang de premier producteur de véhicules particuliers en Afrique depuis l’installation des premiers constructeurs automobiles en Afrique dans les années 1920. Le Maroc a ainsi vu sa part de marché dans la production africaine passer de 5% en 2003 à plus de 38% actuellement.

Ce résultat est la conjonction de plusieurs facteurs. D’abord, il y a les atouts indéniables du Royaume dont la stabilité politique et économique, la proximité géographique avec le marché et les grands constructeurs européens (Volkswagen, BMW, Renault, PSA, Fiat, etc.), la qualité des infrastructures logistiques (Port Tanger Med, autoroutes, chemin de fer, etc.), la main-d‘œuvre qualifiée et bon marché avec des coûts jusqu’à 50% inférieurs à ceux du marché européen.

En plus, ce développement du secteur automobile a été impulsé par une politique industrielle axée sur les nouveaux métiers mondiaux du Maroc, dont l’automobile est l’épine dorsale.

Ensuite, il y a les avantages et incitations offerts aux investisseurs, dont les avantages fiscaux et aides octroyées aux entreprises implantées au niveau des zones franches qui bénéficient de l’exonération de l’impôt sur les sociétés (IS) pendant 5 ans, puis d'un taux d’IS de 8,75% pour les 20 années suivantes, le libre rapatriement des devises et capitaux, l’exonération de la taxe professionnelle et de la taxe urbaine, l’exonération de la TVA, la subvention à l’installation pouvant atteindre entre 10 et 20% de l’investissement, la subvention à la formation qui peut attendre 5.500 euros par employé, l’accès au foncier facilité par la création de zones franches industrielles (Tanger free zone, Tanger automotive city, Atlantic free zone à Kénitra).

Mais le grand succès de l’industrie automobile marocaine et qui fait toute la différence entre le Royaume et les autres pays africains qui essaient de construire une industrie automobile réside certainement dans la mise en place d’un écosystème dédiée à l’automobile. Cet écosystème, embryonnaire avant l’arrivée de Renault, s’est développé au cours de ces dernières années avec l’implantation du constructeur français, et se développe encore avec les perspectives de démarrage de l’usine PSA. Certains équipementiers ont même précédé l’implantation de Renault. Parmi ceux-ci figurent de nombreuses filiales de multinationales: Saint-Gobain, Sumitomo, Yazaki, Delphi, Visteon, Lear, Leoni, Linamar, Plastic Omnium, Valéo, Asahi, etc.

Des entreprises marocaines aussi ont intégré la sous-traitance automobile dont Socafix, Tuyauto, Afrique Câble, Dolidol, etc.

Et pour booster davantage l’écosystème automobile, l’Etat, en partenariat avec l’Association marocaine pour l'industrie et le commerce de l'automobile (AMICA), a lancé 5 écosystèmes automobiles visant à dynamiser les filières «Câblage automobile», «Intérieurs véhicules-sièges», «Batteries automobiles», «Métal emboutissage» et «Moteurs et transmission». Ainsi, le Maroc dispose-t-il d'un écosystème de quelque 200 équipementiers et fournisseurs automobiles.

Grâce à ces écosystèmes, le taux d’intégration local dépasse aujourd’hui 50% au niveau de Renault Tanger. Il devrait atteindre 65% à l’horizon 2023, hors motorisation. Quant au projet PSA, grâce à la production du moteur au Maroc, le taux d’intégration devrait démarrer à hauteur de 65% pour atteindre 80% à terme. C’est dire qu’à l’horizon 2020, le taux d’intégration moyen du secteur automobile marocain devrait tourner autour de 60-65%. Un niveau exceptionnel qui facile l’exportation du «made in Morocco» dans tous les pays avec lesquels le Royaume a signé des accords de libre-échange. Une opportunité également avec le reste du continent dans le sillage de l’intégration à la CEDEAO et de la mise en place de la ZLECA –Zone de libre-échange continentale africaine.

Tous ces facteurs ont fait passer le Maroc du statut de petit assembleur de véhicules avec la Société marocaine de construction automobile (SOMACA) fondée en 1959 et concepteur de composants automobiles à celui du leader constructeur automobile du continent en détrônant l’Afrique du Sud, avec une production qui est passée de 108.743 unités en 2012 (date du lancement de l’usine Renault Tanger à Melloussa) à 335.000 unités en 2017. Cette dernière est la plus grande usine automobile d’Afrique avec une capacité de 340.000 unités par an.

Pour ce qui est des perspectives, à l’horizon 2020, le Maroc disposera d’une capacité de 650.000 véhicules grâce à ces deux constructeurs français –Renault et PSA. Toutefois, les autorités ambitionnent d’atteindre 1 million d’unités à cette date en attirant de nouveaux constructeurs –Toyota, Hyundai, Ford, Volkswagen-, d’autres équipementiers et fournisseurs qui s’intéressent à cette base industrielle marocaine à la porte de l’Europe. Cela permettra de porter les exportations du secteur à 10 milliards d’euros.

A noter que pour faciliter l’implantation de Renault, le Maroc n’a pas hésité à mettre la main à la poche. Outre la prise de participation de la Caisse de dépôt et de gestion (CDG) dans le capital de Renault-Nissan Tanger à hauteur de 47,6%, les banques marocaines ont apporté les financements nécessaires pour la concrétisation du projet.

Ce sont tous ces facteurs qui ont fait que le Maroc est devenu une destination privilégiée des constructeurs automobiles et de leurs équipementiers en Afrique.

En 2016, le secteur a produit 345.000 unités pour un chiffre d’affaires de 68 milliards de dirhams, soit environ 6,2% du PIB. Au niveau export, 303.892 véhicules ont été expédiés en Afrique, Asie, Europe et Amérique latine pour un chiffre d’affaires de 58 milliards de dirhams. Le secteur est devenu depuis 2014 le premier exportateur du Royaume devant les phosphates.

Reste que la position acquise par le Maroc est encore fragile et doit être consolidée, car le géant sud-africain affiche ses ambitions de redevenir le leader du secteur. Le pays de l’arc-en-ciel a des atouts notables. D’abord, l’industrie automobile sud-africaine est la plus ancienne du continent. En effet, la première ligne d’assemblage de Ford, située à Port Elizabeth, remonte à 1924. Et depuis, le pays a occupé, sans discontinuité, la position de leader sur le segment de la production de véhicules individuels.

En plus, l’Afrique du Sud disposant du premier marché africain de véhicules neufs, avec plus de 350.000 véhicules neufs vendus chaque année, le pays arrive à attirer les constructeurs intéressés par le marché local, mais aussi régional. Ainsi, le pays compte-t-il plus d’une douzaine de constructeurs: BMW, Chrysler, General Motors, Fiat, Ford, Toyota, Volkswagen, Mercedes-Benz, Renault-Nissan, MAN, Tata, DAF Trucks, FAW, etc. Certains de ces constructeurs sont présents en Afrique du Sud depuis les années 1920, d’autres depuis les années 1950 et 1960. C'est le cas de Volkswagen et de Mercedes-Benz.

Reste que la production locale souffre de beaucoup de maux. Après les effets de l’apartheid qui a ralenti le secteur, le pays fait face à son éloignement de l’Europe et des Etats-Unis, à des troubles sociaux (grèves), à des coupures d’électricité au cours de ces dernières années, à la crise économique avec un taux de chômage atteignant 27% de la population active, à la concurrence de nouveaux acteurs africains, dont le Maroc, l’Egypte, l’Algérie et le Nigeria.

A noter que plus de la moitié de la production automobile sud-africaine est exportée partout dans le monde, au moment où le pays importe près de 350 000 véhicules par an, soit le premier pays d’importation de véhicules neufs en Afrique.

Face à cette situation, l’Afrique du Sud compte faire de l’automobile un des secteurs de l’excellence pour diversifier l’économie sud-africaine et sortir de la dépendance des matières premières.

Le pays ambitionne tout de même de relancer son secteur automobile avec l'objectif de produire 1,2 million de véhicules en 2020. Pour y arriver, un programme de développement de l’industrie automobile a été mis en place en 2013 avec des droits de douane de 25% à l’importation et des soutiens pour l’investissement dans l’industrie automobile.

Toutefois, le taux d’intégration locale demeure encore faible. Celui-ci ne dépasse pas 40%, même s’il atteint 60% pour le constructeur Nissan. L’amélioration du taux d’intégration ne peut se faire qu’en attirant davantage d’équipementiers. Or, à cause des mouvements sociaux, beaucoup d’entreprises évitent d’investir en Afrique du Sud.

Les constructeurs qui s’implantent en Afrique du Sud ciblent le marché local, le premier du continent, et le reste du continent dont particulièrement les pays d’Afrique australe en profitant des accords douaniers de la South african custom union.

Derrière ces deux leaders, il y a l’Egypte et l’Algérie qui suivent. L’Egypte est un concurrent potentiel pour les deux leaders du secteur automobile en Afrique. Le pays dispose d’une trentaine d’unités d’assemblage automobile et de plus de 330 unités de production de composants automobiles. On compte parmi les constructeurs présents General Motors BMW, Nissan, Hyundai, Daewoo, Mercedes, PSA, Suzuki, Chrysler, Chery.

L’Etat égyptien exige un contenu local à hauteur de 45% pour les voitures particulières et 70% pour les camions et autobus. Cette loi a limité la production locale, notamment pour les voitures de haut de gamme. Parmi les composants fabriqués localement figurent les pneus, chambres à air, vitrages et pare-brise, pièces en aluminium, fils électrique, ressorts à lames, filtres à huile, filtres à air, sellerie, pièces en plastique et pare-chocs.

L’Algérie reste à la traîne aussi bien au niveau de la production que de l’intégration locale. La production locale algérienne reste faible avec une production de moins de 70.000 unités. Le retard de l’Algérie s’explique entre autres par l’absence d’écosystème accompagnant les constructeurs implantés, le handicap de la clause 51/49 qui impose au constructeur de ne détenir que 49% du capital d’un projet développé en Algérie.

En clair, face aux échecs, les autorités algériennes devraient comprendre que le développement d’une industrie automobile ne se fait pas en un claquement de doigts. Il faut, à l’instar du Maroc développer un écosystème pour attirer et accompagner les constructeurs automobiles mondiaux. Du coup, seule l’unité Renault inaugurée en 2014 arrive à produire un peu plus de 30.000 unités avec un taux d’intégration qui ne dépasse pas 15%. Pour les autres, le taux d’intégration atteint à peine 5% et même parfois il est inexistant pour d’autres. C’est le cas de Hyundai dont l’intégration se limite à monter des roues sur des véhicules entièrement montés.

Par Moussa Diop
Le 13/05/2018 à 18h20, mis à jour le 13/05/2018 à 18h22