Voici pourquoi la conquête de l’espace est devenue la priorité des pays d’Afrique

DR

Le 30/11/2019 à 09h32, mis à jour le 30/11/2019 à 10h04

Mohammed VI-A et B, 1KUNS-PF, Tiba-1, Lcyerekezo, GhanaSat-1… Ces dernières années, près de dix pays d’Afrique ont lancé leurs) propres satellites, et certains construisent même les leurs. La course à la conquête spatiale est un vecteur du développement du continent africain, et pas seulement cela.

Le 27 novembre dernier, l’Egypte a lancé Tiba-1 (en référence à la ville antique de Thèbes, Tiba en arabe). Ce satellite, fabriqué par Airbus et Thales Alenia Space (TAS), qui pèse 5,6 tonnes, restera en orbite autour de la terre pendant au moins 15 ans afin de fournir des services Internet et de télécommunication. Tiba-1 contribuera également au développement de l’Egypte dans les domaines de la santé, de l’éducation et de l’énergie.

Tiba-1 est le dernier satellite lancé par un pays africain après la vague de lancements successifs de satellites par une dizaine de pays africains, au cours de ces trois dernières années.

Alors que la course à la conquête spatiale est désormais bien amorcée dans le continent, il faut rappeler que les ambitions en la matière de certains pays d’Afrique remontent à la fin des années 70, lorsque le président Mobutu Sese Seko, de l’actuelle République Démocratique du Congo (l’ex-Zaïre), avait tenté de lancer les premiers satellites africains.

L’échec fut alors manifeste, et il avait fallu attendre les années 90 pour voir un autre pays africain s’intéresser à la conquête spatiale.

L’Egypte s'était décidée, au milieu de cette décennie, à lancer son propre programme spatial. Celui-ci a toutefois réellement débuté avec la création du Conseil spatial égyptien en 1998, lequel a eu pour ambition d’acquérir les compétences nécessaires pour accéder à l’espace. Et finalement, le 17 avril 2007, ce programme égyptien a lancé le premier satellite du pays, baptisé MisrSat 1. Mais rappelons que bien auparavant, en avril 1998, la société franco-britannique Arianespace avait lancé le satellite NileSat-101 au profit d’un opérateur égyptien de satellites commerciaux, NileSat.

L’année suivante, très précisément le 23 févier 1999, l’Afrique du Sud procède au lancement de son premier micro-satellite, SunSat, construit par des étudiants de l’Université de Stellenbosch, et lancé depuis la base militaire américaine de Vendenberg, en Californie.

Dans la foulée, le pays Arc-en-ciel crée la South african national space agency, (Sansa) en décembre 2010.

Le Nigeria s'était, de son côté, lui aussi lancé dès 1999 dans la conquête spatiale, en créant le premier centre spatial du continent, dix ans avant l’Afrique du Sud, avec la National Space Reseach and development agency (Naseda).

Ce centre est devenu opérationnel en août 2001, et le pays a lancé son premier satellite, NigeriaSat-1, en 2003, en collaboration avec le Surrey Satellite Technology Limited, une filiale britannique du géant Airbus. Ce satellite, qui aura coûté à Lagos près de 30 millions de dollars, avait pour objectif de prévenir les catastrophes naturelles et de surveiller l’avancée du désert dans le nord du pays.

Depuis, la Naseda a lancé trois autres satellites, dont le satellite d’observation NigeriaSat-X, qui a cette particularité d’avoir été fabriqué par des ingénieurs issus du pays même.

Entre-temps, l’Algérie a, elle aussi, aussi emboîté le pas à l’Egypte et à l’Afrique du Sud, en envoyant en 2002, un satellite en orbite autour de la planète. 

De longues années se sont ensuite écoulées et il a fallu attendre 2017 pour voir un regain d’intérêt de la part d’autres pays africains pour la conquête spatiale. C’est ainsi que le Maroc a lancé, cette année-là, son premier satellite Mohammed VI-A en novembre 2017, puis un second, Mohammed VI-B, un an plus tard, en décembre 2018.

Le Maroc rejoint un club fermé

Il s’agit de satellites de reconnaissance et d’observation de la terre, en somme, «les yeux du Maroc», au service de la sûreté du pays et de son développement. Le Maroc s’est donc, cette année-là, résolument engagé dans la conquête spatiale. Mais il faut savoir qu’avant le lancement de ces deux satellites, le royaume avait créé, dès 1989, le Centre royal de télédétection spatiale, l’agence en charge du programme spatial marocain.

Durant cette même année 2018, le Rwanda a, lui aussi, envoyé un satellite dans l’espace. Et plus récemment, le Soudan a lancé son premier satellite, avec l’aide de la Chine. Celui-ci a pour objectif de contribuer à la recherche dans les domaines militaire et économique.

En Angola, après l’échec de la mise sur orbite du satellite du pays, Luanda s’est engagé dans un partenariat avec la Russie pour le lancement d’un second satellite.

Mieux encore, certains pays africains ont construit, avec l’aide de l’Agence japonaise d’exploration aérospatiale (JAXA), des nano-satellites.

Ainsi, GhanaSat-1 a été entièrement construit sur le continent. Ce satellite a pour objectif de prendre des photos du Ghana, et de fournir des informations sur les zones côtières et leur environnement.

Au Kenya, les ingénieurs de l’Université de Nairobi ont construit le premier satellite du pays. Il s’agit, là aussi, d’un nano-satellite construit avec le soutien du Bureau des affaires spatiales des Nations Unies et celui de la JAXA.

Baptisé «1KUNS-PF», ce nano-satellite, désormais sur orbite, a pour mission de superviser les activités agricoles et de surveiller les frontières du pays. 

Les nano-satellites, qui ne pèsent qu’entre 1 et 10 kg, sont désormais à même d’effectuer des missions et des services que ne pouvaient jusqu’à présent réaliser que les satellites de très grande taille.

Aujourd’hui, on compte environ 35 satellites lancés par une dizaine de pays africains. Près de 40% d’entre eux ont été mis sur orbite au cours des trois dernières années. 

Mais pour l’ingénieur burkinabè Sékou Ouédraogo, chef de projet aéronautique chez Safran Aircraft Engines, et auteur de «L’Agence spatiale africaine, vecteur de développement» (L’Harmattan, 2015), «on ne peut pas parler de conquête spatiale, mais plutôt d’accès à l’espace», tempère-t-il.

Aujourd’hui, pas moins de 4 pays africains –le Nigeria, l’Afrique du Sud, le Ghana et l’Egypte- sont en mesure de fabriquer leurs propres satellites et nano-satellites.

Quel que soit leur degré de développement dans le domaine spatial, il faut cependant noter que les pays d’Afrique restent dépendants de pays développés –essentiellement les Etats-Unis, les pays de l’Union européenne, la Russie, le Japon et la Chine- pour la mise en orbite de leur satellite.

C'est pourquoi, après avoir maîtrisé la technologie de la conception des satellites, le Nigeria ambitionne désormais de disposer de sa propre base spatiale de lancement, pour pouvoir mettre en orbite ses propres satellites autour de la terre

Mais pourquoi donc un tel intérêt pour la conquête spatiale?

Plusieurs facteurs expliquent cette course africaine à la conquête spatiale. D’abord, il y a une certaine démocratisation de la conquête spatiale.

En effet, si le club des pays africains disposant de leur(s) satellite(s) était jusqu’ici très fermé, c’est que le coût de la fabrication et du lancement d’un satellite est prohibitif. Les satellites développés jusqu’à présent coûtent en effet entre 200 et 500 millions d’euros. C’est dire que ce type de technologie, extrêmement coûteuse car sophistiquée, n’est pas à la portée de tous les pays du continent.

Ainsi, le satellite Mohammed VI-A, le premier satellite d’observation marocain, qui pèse près d’une tonne, a été conçu par Arianespace. Son coût global, lancement compris, est estimé à environ un demi-milliard d’euros.

Toutefois, grâce aux nouvelles technologies de miniaturisation, les nano-satellites deviennent de plus en plus performants et bien des pays d’Afrique ont désormais le leur.

A mêmes désormais d’offrir de nombreux services à l’instar comme des satellites de très grande taille, ces nano-satellites, conçus avec le soutien de certains pays et institutions, coûtent aujourd’hui jusqu’à 1000 fois moins cher que le premier satellite marocain. 

Ainsi, en juillet 2017, le Ghana a lancé son premier satellite d’observation, GhanaSat-1. Ce «CubeSat», un nano-satellite, a été conçu au Ghana même par des étudiants de la All Nations University College (Anuc) de Koforidua. Le matériel avait été fourni par la NASA, mais la supervision du travail est le fait d’un Ghanéen, Richard Damoah, directeur du laboratoire dédié aux applications technologiques dans le domaine spatial de cette université ghanéenne, et par ailleurs chercheur à la NASA.

Voici vingt ans, pour bénéficier des services qu’offre aujourd’hui ce nano-satellite au Ghana, il aurait fallu débourser la coquette somme de 200 millions de dollars, au minimum. Or, le premier nano-satellite ghanéen n’aura finalement coûté que 500.000 dollars. 

Fort du succès obtenu par le lancement de ce premier nano- satellite, le Ghana compte aujourd’hui lancer GhanaSat-II, qui ne devrait coûter «que» 5 millions de dollars. Ce nano-satellite sera en charge de surveiller les frontières du pays, mais aussi de détecter une activité illégale dans les mines ou encore de prévenir la déforestation, la pollution de l’eau et les feux de forêts.

Une certaine démocratisation de la conquête spatiale

Outre la baisse de leurs coûts, le prix des satellites a donc, lui aussi, commencé aussi à baisser sous l’effet de la concurrence entre plusieurs pays développés, comme les Etats-Unis, ceux de l’Union européenne, la Russie, la Chine et le Japon.

En plus de l’attractivité de leur prix et de leurs coûts, l’intérêt grandissant des pays africains pour les satellites s’explique aussi par les avantages innombrables qu’ils offrent.

Il faut toutefois reconnaître que la conquête les étoiles n’est pas l’objectif des pays d’Afrique. La conquête spatiale africaine n’a qu’un seul et unique but: permettre à ces pays de se développer. Il ne s’agit donc évidemment pas d’une «conquête spatiale» à proprement parler, puisque ces satellites n’ont pour vocation que d’être en orbite autour de la planète, au service des pays qui les ont lancés, et donc bel et bien de développer des savoir-faire scientifiques et des instruments à même de contribuer au mieux-être des habitants de ces pays du continent africain.

Les données que livrent les satellites sont en effet devenues incontournables dans de nombreux domaines, et celles-ci sont innombrables: la météorologie, l’observation de la terre, l’éducation, la gestion des ressources naturelles, les télécommunications, la navigation maritime, la prévention et le suivi des risques naturels, l’agriculture, le changement climatique, l’aménagement du territoire, etc.

Ainsi, le Rwanda a lancé, le 27 février 2019, un satellite baptisé Lcyerekezo, construit à Toulouse, en France, qui a pour objectif de connecter à un flux Internet à très haut débit les écoles les plus reculées du pays, et ce, depuis l’espace.

Au niveau de la santé, dans les zones isolées, les services de télémédecine offerts par les satellites compensent l’absence de centres de santé et de médecins spécialistes. 

Des objectifs multiples

Les satellites permettent aussi de prédire certaines épidémies, comme le paludisme, en permettant de réaliser une corrélation entre l’éclosion de larves de moustiques qui propagent la malaria et les concentrations d’humidité. Et de fait, ces observations peuvent amener les pouvoirs publics à anticiper la propagation des moustiques en traitant bien à l’avance ces zones humides.

De nombreux satellites africains ont aussi pour objectif de cartographier les sols et jouent donc un rôle important tant dans le développement agricole qu’urbanistique.

De même, les satellites de télécommunication permettent de réduire les coûts des télécommunications et d’améliorent la qualité du débit d’Internet, comme c'est le cas au rwandais.

Les impacts des satellites sur le développement des pays qui en possèdent est indéniable.

Et pour Sékou Ouédraogo, ingénieur burbinabè auprès du groupe Safran, «pour 1 euro dépensé dans le spatial, il y a 100 euros redistribués dans l’économie du pays. Le développement du continent passe par l’espace». C’est dire que l’investissement dans la conquête spatiale a des retombées économiques positives.

Toutefois, il ne faut pas perdre de vue qu’en plus des objectifs de développement, le volet sécuritaire a, lui aussi, toute son importance.

La conquête spatiale est donc devenue une nécessité stratégique pour se protéger, voire pour espionner ses voisins, s’il le faut.

Ainsi, si l’objectif des deux satellites marocains est d’observer le sol pour y mener par la suite des projets agricoles, gérer les ressources naturelles, prévenir des catastrophes climatiques, les applications militaires de ceux-ci, qui sont censées se borner à surveiller les frontières du Royaume, inquiètent grandement de ses voisins. L’Algérie et l’Espagne ne cachent pas, en effet, leurs inquiétudes quant aux facultés qu’offrent, de facto, les deux satellites marocains pour de l’espionnage au delà des frontières du Maroc.

C’est ainsi qu’au lendemain du lancement du premier satellite Mohammed VI-A, Madrid n’a pas dissimulé ses craintes sur le fait que les présides occupés de Sebta et Melilla ne soient espionnés par le Maroc, alors même que le satellite marocain est capable de capturer environ 1.000 images par minute, avec une précision de moins de 1 mètre.

De même, au Nigeria, la Naseda nigériane fournit aux forces de sécurité des images satellitaires qui permettent de traquer les djihadistes de Boko Haram et les groupes armés qui sévissent dans la région pétrolifère du Delta, dans le sud du pays.

Les satellites sont certes indispensables pour le développement et la sécurité, ils constituent aussi un moyen pour plus d’indépendance de nombreux pays africains qui ne souhaitent plus dépendre des satellites de pays développés.

La création de l'Agence spatiale africaine 

C’est donc bien consciente de ces enjeux en matière de développement, de sécurité et d’indépendance, mais aussi de leur coût, que ne peuvent supporter certains pays, que l’Union africaine (UA) a entériné, en janvier dernier, la création d’une Agence spatiale africaine (ASA). L’Egypte a été choisie pour abriter son siège, après un appel d’offre ouvert à tous les pays africains.

Cette décision illustre la volonté des dirigeants africains à s’engager dans cette conquête de l’espace. Et ce regain pour la conquête spatiale s’explique par cette prise de conscience, en Afrique, que les satellites sont nécessaires et indispensables à l'accélération du développement du continent.

Ainsi, fort de son expérience en matière spatiale, l’Agence spatiale égyptienne se prépare au lancement du projet d’un satellite panafricain, baptisé African Development Satellite Initiative (AfDev-Sat), en partenariat avec 7 autres pays africains: le Nigeria, le Ghana, le Kenya, l’Ouganda, le Soudan, le Maroc et le Botswana. Hormis le Botswana et l’Ouganda, tous les autres pays ont déjà lancé leur satellite dans l’espace.

La première réunion de coordination de ce projet s’est tenue les 27 et 28 novembre 2019 au Caire, en Egypte. L’objectif est de faire valoir le niveau de connaissances et de capacités de l’industrie spatiale africaine afin de réduire la dépendance des pays du continent dans la construction de leurs satellites.

Dernier épisode en date, dans cette conquête de l’espace par l’Afrique: l’Ethiopie devrait elle aussi lancer son satellite, avec le soutien de la Chine, d’ici la fin de cette année 2019. Quant au Sénégal, à la Tunisie, au Cameroun et à l’île Maurice, ils sont, eux aussi, engagés dans cette course à l’espace pour, prochainement, lancer leur propre satellite.

Par Moussa Diop
Le 30/11/2019 à 09h32, mis à jour le 30/11/2019 à 10h04