Mohammed V, Behanzin, Samory ou quand la déportation était une arme coloniale

DR

Le 22/11/2016 à 16h55, mis à jour le 22/11/2016 à 17h06

Nombreux sont les résistants que le régime colonial avait choisi d’éloigner. A la fois sanction contre les récalcitrants et mesure pour se débarrasser de figures trop influentes, la déportation que les historiens ont choisi d’appeler "exil" a fini par devenir une politique assumée.

Parmi les plus célèbres exilés, il y a eu le Sultan Sidi Mohammed Ben Youssef de l’empire chérifien et Béhanzin du Dahomey, actuel Bénin. Mais d’autres comme Samory Touré en Guinée ou Cheikh Ahmadou Bamba au Sénégal, ont également subi le même sort. Peu nombreux sont ceux qui auront la chance de revenir vivants dans leur patrie. A part Mohammed V et Cheikh Ahmadou Bamba, la plupart périront au cours de cette déportation synonyme d'abandon. 

Mohammed V de la Corse à Madagascar

La coïncidence a voulu que Mohammed VI se rende à Madasgar le samedi 19 novembre 2016, soit presque 61 ans jour pour jour, après que son grand père, Mohammed V soit retourné dans son pays, le 16 novembre 1955. Le sommet de la Francophonie qui se tient à Antananarivo et le désir du Maroc de réintégrer l’Union africaine ont forcé le destin. Ce voyage rendu obligatoire par un concours de circonstance prend donc des airs de pèlerinage.

Car faut-il le rappeler, c’est sur cette grande île qu’a été exilé le père de la nation marocaine moderne. En ce début des années 1950, le sultan alaouite qui soutient l’Istiqlal, principal parti indépendantiste marocain, depuis 19944, n’est plus en odeur de sainteté aux yeux du colon. Alors en août 1953, il sera déporté en Corse. Pour mieux l’éloigner, ce sera Madagascar dans la localité d’Antsirabe à 150 km d’Antanarivo. L’exil durera jusqu’au 16 novembre 1955, suivi du retour triomphal de celui qui deviendrait Mohammed V, roi du Maroc. 

Maroc: Mohammed VI en Ethiopie dès vendredi, ensuite cap sur Madagascar:

Béhanzin, un roi dépossédé de son trône

Behanzin ici en Martinique avec sa cour, ses épouses et enfants.

A Abomey, en ce mois de janvier 1894, le roi Béhanzin signe sa redditionaprès deux années de combats avec les troupes coloniales. Mais, le général Alfred Dodds qu’il a combattu entre 1892 et 1894 n’a aucune confiance en ce chef belliqueux qui n’a rendu les armes que pour mieux les reprendre. Alors, moins de trois mois après la fin de son affrontement, en mars 1894, Béhanzin sera déporté sur l’île de Martinique. Selon certaines sources, on lui aurait dit qu’il partait en France. Pour rendre la ruse plus crédible, les autorités coloniales le laisseront embarquer avec toute sa suite et toute sa famille.

Le roi d’Abomey sera maintenu en Martinique jusqu’en 1906. Durant son exil, les élus et la presse n’ont eu de cesse que de dénoncer sa détention en Martinique. Cependant, les autorités coloniales se montrent réticentes à l'idée de son retour, tout en lui accordant le droit de quitter la Martinique. Finalement, après un bref passage en France, il embarque pour le Dahomey, mais c’est à Alger qu’il est débarqué. Le roi est malade et meurt de pneumonie à Blida. Sa dépouille sera rapatriée en en 1928.

Le Bénin accuse enfin la France de pillage d’antiquités africaines

Almamy Samory Touré, 13 ans de lutte

Samory Touré, dans une rue de Saint-Louis du Sénégal, en attendant sa déportation après un procès expéditif.

Ce fils de dioula, c’est-à-dire de commerçant, a créé un empire en très peu de temps. Modeste chef de guerre, il a su conquérir des villes stratégiques par leur position ou par leur richesse comme le district de Buré à la frontière entre le Mali et la Guinée, particulièrement pourvu en or. Comerçant avec les britanniques de Sierra Leone, il importe des armes modernes grâce à cet or. Il établi des relations diplomatiques avec le royaume toucouleur qu’avait mis en place Elhadj Omar Foutiyou Tall. Ainsi, en 1981, l’empire du Wassoulou s’étend de la Guinée à une partie du Mali actuel, et intègre un bout de Côte d’Ivoire et de Sierra Leone. Pendant que s’étend le Wassoulou, la France a également commencé la conquête de l’Afrique de l’Ouest. C’est là que leurs chemins se croisent.

Redoutable chef de guerre, Samory mettra en déroute l’armée française à plusieurs reprises, notamment lorsque Antoines Combes essaya de prendre possession des mines d’or de Buré. Il a par ailleurs vite appris la nécessité de discipliner son armée. Ainsi, en 1887, il possédait 30.000 hommes organisés sur le modèle des armées européennes. Mais cela n’a pas suffi, puisque les Britanniques cesseront de lui vendre des armes, soucieux du respect de la Convention de Bruxelles de 1890. Après 13 ans d’affrontement, il sera finalement capturé en 1898. Exilé au Gabon, il mourut en 1900.

Cheikh Ahmadou Bamba, chantre de la non-violence

Entre exil et résidence surveillée au Sénégal, le religieux soufi a subi près de 32 ans de privation de liberté.

C’est sans doute la première figure de la résistance passive en Afrique. L’homme religieux sénégalais né en 1853 n’a jamais voulu prendre les armes contre le colonisateur. Sauf qu’en ce milieu des années 1890, l’enseignement du guide soufi séduit de plus en plus d’adeptes. L’homme et ses disciples ne cessent de fonder de nouvelles localités qui deviennent rapidement des bourgades grouillant de monde.

Les autorités coloniales qui voient en lui une menace potentielle l’arrêtent en 1895 et décident de le déporter vers le Gabon. Il y sera maintenu jusqu’en 1902. A son retour, son aura a augmenté et ses mourides ou disciples s’investissant dans la production arachidière acquièrent une certaine puissance financière qui n’était pas du goût du gouverneur basé à Saint-Louis. Une nouvelle fois, on l’obligea à s’exiler en Mauritanie dès 1903, où il resta jusqu’en 1927. De retour au Sénégal, il sera placé en résidence surveillée jusqu’en 1927, date de sa disparition.

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 22/11/2016 à 16h55, mis à jour le 22/11/2016 à 17h06