L'après-Covid-19: un webinar entre l'Asmex et Amadeus, pour une meilleure intégration des économies africaines

Hassan Sentissi El Idrissi, président de l'Asmex, et Brahim Fassi-Fihri, président de l'Institut Amadeus.

Hassan Sentissi El Idrissi, président de l'Asmex, et Brahim Fassi-Fihri, président de l'Institut Amadeus.. DR

Le 08/06/2020 à 09h58, mis à jour le 09/06/2020 à 09h05

L’Institut Amadeus et l’Asmex ont organisé un webinar sous le thème: «La crise du Covid-19, une opportunité pour l’émergence et l’indépendance de l’économie africaine». L'occasion pour un panel de débattre de divers sujets: souveraineté économique, industrialisation, opportunités post-Covid-19...

L’Afrique a montré une très grande résilience face au Covid-19. Outre le fait que le continent demeure l’un des moins touchés sur le plan sanitaire –avec 190.000 cas confirmés dont 83.000 guérisons et 5.200 décès-, sur le plan économique aussi, les pays africains ont su s’adapter à la nouvelle donne induite par la pandémie et limiter les impacts de la crise et ce, en dépit de leur forte dépendance des chaînes de valeurs internationales et de la demande mondiale.

Aujourd’hui, alors que la pandémie est, selon les experts et les données, sur sa pente descendante, ce qui justifie la multiplication des déconfinements, les Etats essayent de tirer les conclusions de cette pandémie sur le plan économique et des opportunités que celle-ci peut offrir au Maroc et aux pays africains.

C’est pour éclairer davantage sur les enseignements et les opportunités qu’offre cette pandémie que l’Institut Amadeus et l’Association marocaine des exportateurs (Asmex) ont organisé le vendredi 5 juin 2020 un live webinar sous le thème: «La crise du Covid-19, une opportunité pour l’émergence et l’indépendance de l’économie africaine».

Un aréopage de politiques, d’experts et des représentants de divers secteurs clés de l’économie (finance, industrie, logistique, etc.) a apporté ses idées sur la manière dont cette crise du Covid-19 peut se transformer en une opportunité et aider l’Afrique à bâtir une économie plus indépendante, plus solidaire et plus prospère.

D’emblée, Hassan Sentissi El Idrissi, président de l’Asmex, a mis l’accent sur le nécessité de transformer cette crise en catalyseur de développement, en opportunité d’export et en outil de renforcement économique pour le Maroc et les pays africains.

Brahim Fassi Fihri, président fondateur de l’Institut Amadeus, est revenu sur «le contexte totalement particulier du Covid-19 qui nous impose des changements de paradigme sur le plan économique et industriel». C’est à ce titre, ajoute-t-il, que «l’Institut Amadeus milite pour davantage de souveraineté industrielle dans le cadre d’une économie mondialisée». Toutefois, pour lui, la situation que le monde traverse actuellement devrait permettre de mettre en lumière «les zones d’ombre de cette mondialisation pour mettre en place des solutions de souveraineté industrielle».

Il explique que parmi les enseignements de cette crise, il y a la sur-dépendance des économies africaines aux chaînes de valeurs d’approvisionnement internationales qui se sont malheureusement interrompues momentanément, avec des conséquences négatives sur les économies du continent. Toutefois, en dépit de cette situation, les économies du continent ont montré une certaine résilience industrielle et des capacités d’adaptation et d’innovation jamais imaginées.

Le cas du Maroc est à ce titre exceptionnel. Alors que les grandes puissances avaient du mal à se procurer en masques de protection et recourraient aux importations en provenance de la Chine, le Maroc a réactivité ses unités textiles grâce à des décisions pragmatiques qui ont permis rapidement de mettre en place des capacités de production de 10 millions de masques en un temps record et répondre rapidement aux besoins du marché local avant d’exporter les excédents vers les marchés européens qui n’ont pas su s’adapter rapidement et continuent à dépendre des importations en provenance de la Chine.

Les innovations se sont également multipliés au niveau du continent avec le développement des appareils respiratoires, des tests rapides et moins coûteux, le développement de remède à partir de plantes traditionnelles, etc. Ces éléments ont montré que la prise en main industrielle du continent n’est pas une chimère.

Au delà du secteur sanitaire, Brahim Fassi Fihri pense qu’il faut vraiment profiter des effets de cette pandémie pour penser à l’industrialisation du continent. Si le Maroc dispose des atouts grâce à ses écosystèmes, pour plus d’indépendance industrielle, le royaume doit activer certaines clauses de sauvegarde contenues dans les Accords de libre-échange qu’il a signés avec d’autres pays et blocs (Etats-Unis, Union européenne, Turquie, etc.) pour créer et développer certaines industries locales.

Par ailleurs, concernant les relocalisations industrielles en Europe que tout le monde craint depuis quelques semaines, Brahim Fassi Fihri dit «ne pas croire à cette relocalisation totale». Et pour cause, on délocalise pour produire à bas coût et si possible à proximité. En plus, à cause du Covid-19, la sécurité de l’approvisionnement est désormais prise en compte. Et ce sont des avantages qui vont persister et se renforcer après la crise du Covid-19 et profiter à des pays comme le Maroc. Du coup, on ne peut pas remettre en cause toutes les délocalisations, souligne-t-il.

Le Maroc devrait donc saisir l’opportunité des mouvements de relocalisation de l’Asie vers l’Europe, consécutive aux conséquences du Covid-19 en jouant le rôle de hub régional grâce à sa position géographique.

D’où la nécessité d’accélérer la mise en place de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zleca) pour permettre la création des chaines de valeur et le développement des écosystèmes industriels africains.

Une perche que Reckya Madougou, ministre conseiller spécial du président du Togo, a saisi pour souligner que cette crise du Covid-19 a montré qu’«il faut asseoir la solidarité entre les Etats africains et la Zleca peut être la locomotive pour doper les échanges commerciaux intra-africains».

Cela est d’autant plus nécessaire que la crise a confirmé le problème des économes africaines bâties sur les exportations des matières premières (produits agricoles, minerais et hydrocarbures) et importations de produits finis. Le quasi-arrêt des économies en développement a posé un gros problème au niveau de la demande mondiale avec des impacts négatifs sur les économies non diversifiées du continent. Cette crise du Covid-19 montre une fois de plus qu’«il faut aller au-delà en produisant des demi-produits et des produits finis». En clair, les économies africaines doivent tirer les conclusions nécessaires de cette crise et miser sur la transformation des matières premières afin de créer de la valeur ajoutée et des emplois.

Allant dans le même sens, Abdou Diop, managing partner Mazars, avance que «la dépendance vis-à-vis de l’Asie a montré la nécessité d’agir pour une souveraineté industrielle africaine». Toutefois, pragmatique, il explique que «tous les pays ne peuvent pas opter pour la souveraineté industrielle», à cause de la taille de leurs économies, de leur niveau de développement industriel, etc. Pour lui, «les pays qui ont développé des écosystèmes industriels sur le continent, à l’image du Maroc qui jouit d’écosystèmes industriels dans divers domaines - automobile, aéronautique, agro-alimentaire, électroniques, etc.-, peuvent jouer un rôle moteur pour permettre le développement de véritables systèmes industriels sous-régionaux et régionaux».

En plus du développement industriel, Amine Laghidi, président du Panel directeur général Africa Lion, souligne que «toute crise ayant son lot d’opportunités», pour tirer profit de celle-ci, il faut, entre autres, densifier le commerce intra-africain, appuyer les entreprises privées et développer les chaînes de valeurs car l’Afrique a souffert de l’absence de ces dernières.

Cette crise est pour lui une occasion en or en vue de resserrer les liens économiques au niveau du continent à travers la Zleca. Malheureusement, regrette-t-il, «l’Afrique a tendance à regarder vers le nord et l’est (Chine), et à s’ignorer».

En tout cas, pour les opérateurs économiques, les conséquences de la crise sanitaire devraient pousser les pays africains à penser à plus de souveraineté économique et de solidarité. Ainsi, pour Mohammed Fikrat, PDg de Cosumar, cette crise du Covid-19 doit constituer un déclic pour le secteur agroalimentaire africain. En effet, alors que l’Afrique dispose de 50% des terres arables non exploitées et n’utilise que 2% de ses ressources hydriques, le continent affiche une dépendance alimentaire inquiétante qui s’aggrave d’année en année. Ainsi, en 2018, l’Afrique a importé pour 33 milliards de dollars en produits alimentaires.

Pourtant, selon Fikrat, grâce à ses potentialités agricoles exceptionnelles, «l’Afrique peut nourrir le monde». Pour cela, il faut des investissements importants qui font actuellement défaut au continent. En 2018, ces investissements se sont établis à seulement 10 milliards de dollars au niveau du continent, ce qui est très insuffisant.

Outre les investissements, il prône la formation des ressources humaines au niveau du continent.

Pour lui, le développement de l’industrie agro-alimentaire est une des opportunités de l’Afrique post-Covid-19 si le continent veut assurer sa sécurité alimentaire et contribuer à celle du monde grâce à ses potentialités sous exploitées, sachant que 50% des terres arables non exploitées au niveau mondial se trouvent en Afrique.

Pour Nouzha Taarji, directrice générale de Energy Transfo, les opportunités post-Covid-19 sont déjà perceptibles. La PME qu’elle dirige et qui exporte vers 15 pays africains et réalise 40% du chiffre d’affaires à l’export, commence à voir des changements au niveau de sa clientèle. Si elle explique que le confinement a porté un coup d’arrêt brutal à de nombreuses activités, elle ajoute que cette crise pourrait ouvrir de nouvelles opportunités aux entreprises marocaines. «Nous recevons des consultations auprès de nouveaux pays africains et européens depuis la crise du Covd-19», souligne Nouzha Taarji. Il s’agit de pays qui essayent de diversifier et de sécuriser leurs approvisionnements.

Pour Mohamed Lacham, président de l’Amica (Association marocaine pour l’industrie et la construction automobile), l’industrie automobile marocaine, avec une capacité de production de 700.000 unités et un taux d’intégration de 60%, a été touchée par la crise du Covid-19 avec la chute des exportations et des ventes de véhicules neufs. Plusieurs unités de l’écosystème automobile ont connu un arrêt brusque à cause de la chute de la demande mondiale, des mesures sanitaires et du confinement.

Toutefois, le secteur a repris et un véritable plan de relance a été mis en place. Suite aux conséquences du Covid-19, le Maroc devra mettre l’accent sur l’intégration locale et le développement de la R&D et l’innovation.

Lacham, qui dirige également les sociétés Electra Batteries et Afrique Câbles du groupe Ynna Holding, annonce que que le groupe compte implanter des unités de recyclage de batteries automobiles dans un certain nombre de pays africains.

Enfin, tous les participants ont presque mis l’accent sur la nécessité de développer des chaines de valeurs africaines. Pour Ahmed Bennis, directeur développement groupe Tanger Med, plateforme portuaire qui occupe le premier rang de port à conteneurs d’Afrique, explique que le port joue son rôle dans l’intégration des chaines de valeurs africaines au reste du monde.

Connecté à 180 ports dans le monde et assurant la moitié de l’export Maroc, Tanger Med, qui ambitionne avec l’inauguration de Tanger Med II le Top 20 mondial des ports conteneurs, s’est engagé depuis 2016 dans un processus d’internationalisation en Afrique pour partager son expérience et son expertise avec les ports africains. Et la crise actuelle du Covid-19 a montré clairement la nécessité de développer et de raccourcir les circuits logistiques.

Par Moussa Diop
Le 08/06/2020 à 09h58, mis à jour le 09/06/2020 à 09h05