Mauritanie: la fracture identitaire en débat après la formation du 1er gouvernement Ghazouani

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Le 17/08/2019 à 10h53, mis à jour le 18/08/2019 à 17h50

La question de la fracture identitaire, véritable frein à la cohésion de la société en Mauritanie, comme un peu partout en Afrique, revient dans le débat à travers la presse et sur les réseaux sociaux et les discussions de salons après la formation du 1er gouvernement Ghazouani.

Le discours identitaire -ethnique et tribal revient au premier plan à la faveur de la formation du premier attelage gouvernemental sous le régime de Mohamed Cheikh Ahmed ould Mohamed Ghazouani, rendue publique le 8 août dernier au soir, une semaine après sa prestation de serment.

Le nouveau président de Mauritanie a été élu au premier tour d’un scrutin organisé le 22 juin 2019, avec 52% des suffrages. Un chiffre officiel contesté par les candidats de l’opposition, qui ont pu malgré tout rassembler 48% des suffrages de leurs compatriotes.

«Le Calame.info» site d’informations en ligne constate «qu’en réaction à la formation du nouveau gouvernement, chacun y est allé de son analyse. Certains prenant un malin plaisir à décompter les ministres issus de chaque communauté nationale.

Une histoire de dosage ancrée dans les esprits à tel point qu’aucune nomination ne peut être comprise qu’à travers le prisme communautaire.

A titre d’exemple, un groupe prétendant parler au nom des artisans traditionnels (les M’almins, forgerons). Un autre au nom des wolofs ou encore des peuls de l’Est ont sorti des déclarations déplorant l’absence de leur communauté au sein du nouveau gouvernement».

Ce passage illustre parfaitement un débat dans le contexte d’un pays multiethnique avec des problèmes liés à la cohabitation entre les différentes communautés et dans le rapport de ces dernières avec l’Etat.

Il y a notamment la vieille plaie de la pratique séculaire de l’esclavage et le discours récurrent dénonçant «l’exclusion» des populations de la vallée du fleuve Sénégal. La Mauritanie a besoin d’un Etat moderne à la place d’une puissance publique dont les serviteurs restent encore victimes de toutes les pesanteurs héritées de l’histoire et de leur communauté d’origine. Ce qui créé en définitive un paradoxe: à la fois, une forte autorité et une absence d’Etat.

Passe d’armes sur les réseaux sociaux

A travers une sortie sur les réseaux sociaux et dans la presse, Bodiel ould Houmleid, vice-président de l’Assemblée Nationale et ancien ministre sous les régimes Maaouya ould Sid’Ahmed Taya et Sidi Mohamed Cheikh Abdallahi, a dénoncé l’absence du département de Keur Macène (extrême Sud/Oust) du gouvernement en Mauritanie depuis 1995.

Dans ce débat, Mohamed El Maouloud, cadre «réfute la demande de dosage dans l’attribution des responsabilités surtout quand cela vient d’un grand intellectuel, doublé d’un homme politique».

Réplique du vice-président de l’Assemblée Nationale «je pense comme vous que la politique des quotas n’est pas une bonne chose pour le pays. Comme le disait quelqu’un, si les meilleurs pour gouverner sont d’une ethnie ou d’une région, personne ne doit avoir à dire. Mais à condition qu’on ait défini au préalable ce que nous voulons et choisi en conséquence les meilleurs hommes et les meilleures femmes pour exécuter les programmes de développement. Mais tant qu’on utilise le terme technocrate pour noyer le poisson, il y aura des protestations légitimes».

Quant à El Berbouche Mohamed, haut cadre, il donne sa conception par rapport aux prérogatives et obligations de la puissance publique «l’Etat de droit ne doit pas refléter la composition des communautés en tant que telles, mais faire ressortir les compétences individuelles des personnes, qui doivent être les critères de choix des responsables. Les quotas et le dosage ethnique s’opposent au principe d’égalité et d’équité entre les citoyens».

Devant ces différents arguments, le Pr Lô Gourmo Abdoul, vice-président de l’Union des Forces de Progrès (UFP-opposition), donne un cours magistral de science politique: «je n’ai nullement fait référence au dosage ethnique, auquel je suis absolument opposé. Mais lorsqu’il s’agit d’un Etat nation, il doit absolument refléter la diversité de son socle nationale. Si ce dernier est multiethnique, alors cela doit être pris en compte dans la représentation politique. L’état-nation moderne est un Etat miroir, par définition. Si non, il devient un état étouffoir, puis un état mouroir pour la diversité».

Le Pr Lô enfonce encore le clou à travers une interrogation: «comment expliquer qu’une seule communauté depuis 1992 ou bien avant même, domine largement dans la composition de nos gouvernements? La démocratie est un processus sociétal qui nécessite un réel courage et de la sincérité de la part de nos gouvernants».

Dans ce débat, un constat basic: la compétence, le dévouement et le patriotisme sont des qualités largement partagées par les cadres issus de toutes les communautés nationales. A partir du moment où on note l’exclusion d’une composante, c’est que le casting obéit à des critères inavouables qui relèvent en réalité des quotas inavoués et non assumés.

Par Cheikh Sidya (Nouakchott, correspondance)
Le 17/08/2019 à 10h53, mis à jour le 18/08/2019 à 17h50