Conakry: «Nous sommes tous menacés», les victimes du déguerpissement témoignent de leur souffrance

Opération de deguerpissement à Conakry.

Le 22/01/2025 à 09h55

VidéoDans un pays où plus de 42% du PIB proviennent d’une économie informelle qui procure près de 90% des emplois, la démolition des étalages et des ateliers qui n’ont aucune existence légale a de quoi semer le trouble chez les propriétaires et employés de telles structures. A Conakry, plusieurs d’entre eux ne cachent pas leur désarroi. Témoignages.

Mohamed Molota Soumah, chef d’atelier, ne sait plus où donner de la tête et fait part de l’incertitude qui plane désormais sur son gagne-pain. «Actuellement, nous sommes préoccupés et inquiets. On ne peut pas avoir l’esprit tranquille lorsqu’on est menacé d’être délogé de son lieu de travail. Tous ces gens que vous voyez ici sont des pères de famille. Ici, il y plus de 50 ateliers dont chacun emploie au minimum trois travailleurs. Imaginez tous ces gens dans la rue, c’est terrible. Surtout que nous sommes certains qu’ils vont nous faire partir d’ici et finalement ce sont des ordures et autres bandits qui viendront s’installer».

Mohamed Molota Soumah est l’un des chefs de famille, artisans et chefs d’atelier qui errent l’air hagard, cherchant désespérément des solutions pour échapper à la décision des autorités de les faire déguerpir de leurs lieux de travail.

Les autorités guinéennes ont en effet décidé de libérer les espaces situés le long des principales artères de Conakry, une mesure qui provoque la colère et le désarroi chez de nombreux habitants. «Le Gouvernorat de la ville de Conakry, gestionnaire de la collectivité urbaine, rappelle aux auteurs que ces pratiques d’incivisme et la population ont l’obligation de libérer sans délai toutes les emprises et les espaces occupés par les étalages, les marchands, les garages, les ateliers, les épaves, les abris de fortune, les parkings improvisés» avertit le communiqué de la gouverneure de Conakry.

Cet avertissement s’adresse essentiellement aux petits commerçants et aux travailleurs informels qui sont parmi les plus vulnérables du pays. Ils vivent de leur activité quotidienne, et la décision de déguerpissement menace de les précipiter dans une pauvreté encore plus profonde, regrette Amara Touré, président des menuisiers et tapissiers de Guinée, «aujourd’hui, partout où il y a nos installations, que ça soit à Kakimbo, à Simbaya, partout où il y a de grandes installations, nous sommes tous menacés d’une manière ou d’une autre. Seul l’État peut résoudre ce problème en créant des villages artisanaux ou des ateliers, en nous aidant à avoir nos propres lieux de travail

Les opérations de déguerpissement mettent en lumière l’importance du secteur informel dans l’économie nationale. L’étouffement de ce secteur pourrait avoir des conséquences dramatiques, non seulement pour ceux qui en dépendent directement, mais pour l’ensemble de l’économie du pays fait remarquer Amara Touré. «L’artisanat offre au moins 45% de l’emploi en Guinée, principalement dans la menuiserie et la tapisserie. Ce sont des secteurs qui contribuent à la création d’emplois, à la lutte contre la délinquance et l’abandon des enfants. Aujourd’hui, si ce problème n’est pas réglé, cela risque d’aggraver le chômage» avertit l’artisan.

Priver les opérateurs informels de leurs outils de travail revient à aggraver une situation économique dominée par justement l’informel. Selon la Banque africaine du développement, qui cite l’Institut national de la statistique, «le taux de pauvreté en Guinée était de 43,7 % en 2019, contre 55,2 % en 2012. L’économie est dominée par le secteur informel, qui génère en 2023, 42% du PIB et 96 % de l’emploi, mais en général qui ne propose pas des emplois décents.»

Les autorités justifient cette politique par la nécessité de répondre à la croissance démographique rapide de Conakry et de moderniser les infrastructures de la ville, notamment les routes, écoles et hôpitaux. Toutefois, l’absence de transparence dans le processus et l’absence de mesures compensatoires aggravent la situation, rendant la vie encore plus difficile pour les plus démunis.

Par Mamadou Mouctar Souaré (Conakry, correspondance)
Le 22/01/2025 à 09h55