Au milieu d'une foule massée devant le théâtre municipal de Tunis, deux femmes de haute taille se distinguent dans cette manifestation, la plus importante depuis le coup de force du président Kais Saied le 25 juillet.
Jeans et chapeau de paille, Nade, 27 ans, agent administratif, est venue avec sa maman Leila, les cheveux sous un foulard, pour manifester "contre les décisions du président qui bloquent la démocratie".
"Il n'y a plus de Parlement, il a changé les lois, tout le pouvoir est aux mains d'un seul homme. Il veut tout faire tout seul", fustige la jeune femme.
Blindés, fourgons de police et barrières métalliques pour filtrer le passage d'une zone à l'autre, les forces de sécurité sont déployées en masse sur l'avenue Bourguiba, principale artère de la capitale.
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Mercredi, le président Saied a fait publier un décret qui se substitue à divers chapitres de la Constitution, contenant "des mesures exceptionnelles". Celles-ci pérennisent le gel du Parlement, lui permettent de légiférer par décret, de présider le conseil des ministres, et d'édicter des lois dans tous les domaines.
"On est en train de revenir à l'époque de Ben Ali (1987-2011), à une dictature", s'inquiète Nade, en se joignant à l'un des slogans les plus clamés dimanche: "Constitution, liberté et dignité nationale".
La jeune fille se dit inquiète car "grâce à la révolution de 2011, la Tunisie avait enfin des droits" qu'"elle ne veut pas perdre".
Tout près, un sexagénaire est venu aussi "défendre la Constitution". "Ce n'est pas la Constitution des islamistes, de la gauche ou d'autres, c'est une réflexion qui a associé tout le monde", déplore ce cadre dans l'industrie.
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"Pourquoi retirer la Constitution et la remplacer par autre chose. On pouvait l'améliorer mais de façon constitutionnelle, pas comme ça", lance-t-il.
Selon lui, la manifestation rassemble bien au-delà des partisans de l'ancien président Moncef Marzouki qui en était l'un des initiateurs. "Il y a des gens de Al Karama (parti islamo-conservateur, ndlr), beaucoup de gens de gauche, de simples citoyens", explique cet "indépendant".
"J'ai peur"
Pour lui, le président "a dépassé le cadre de l'article 80" en invoquant un "péril imminent" pour la sécurité nationale pour justifier son coup de force. "J'ai peur pour mes enfants, la jeunesse, que la Tunisie ne retombe dans une dictature", dit-il.
Kais Saied, élu fin 2019, avait surpris le 25 juillet, en annonçant qu'il limogeait le Premier ministre, suspendait les activités du parlement et s'octroyait aussi le pouvoir judiciaire.
Après des mois de blocage politique et en pleine crise sanitaire du Covid-19 aggravant les difficultés économiques et sociales du pays, ce coup de force avait été accueilli par des scènes de liesse populaire.
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Non loin du sexagénaire, une femme agite dans une main un drapeau tunisien et dans l'autre le livret de la Constitution. Pour cette cadre bancaire de 58 ans qui ne veut pas dire son prénom, désormais "le président détient tous les pouvoirs, c'est pire que Ben Ali".
Quelques slogans fustigent un rôle supposé de la France et critiquent la tenue prochaine du sommet de la Francophonie en Tunisie qui avalise, selon eux, les actions de Saied: "França dégage", "Saied, serviteur des colons".
Ibrahim, 59 ans, porte une pancarte montrant Saied qui embrasse l'épaule de son homologue français Emmanuel Macron: "Ce n'est pas contre Macron. J'ai voté pour Saied et ils nous a trahis".
Samedi, une vingtaine d'organisations de défense des droits humains tunisiennes et internationales ont fustigé dans un communiqué "l'accaparement du pouvoir" par le président, qu'elles ont qualifié de "dérive sans précédent".