Enfin, la Tunisie au bord du gouffre financier a obtenu un accord de prêt du Fonds monétaire international (FMI). Celui-ci n'est malheureusement que de 1,9 milliard de dollars et de surcroit sur 4 ans, soit 475 millions de dollars par an. Une petite bouffée d’oxygène pour un pays asphyxié et qui a du mal à régler ses fournisseurs étrangers de plus en plus prudents. Il faut dire que les alertes des agences de notation et autres institutions quant à la possible défaillance de la Tunisie en matière de remboursement de ses dettes inquiètent les marchés financiers et les fournisseurs du pays, qui préfèrent être réglés avant toute livraison de marchandises. Une situation à l’origine de plusieurs pénuries de produits (sucre, carburants, huiles...).
C’est dans ce contexte que l’accord de prêt avec le FMI est essentiel pour le pays, même si on est loin du plafond espéré. Le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) tablait au début sur une fourchette de 2 à 4 milliards de dollars. C’est finalement 1,9 milliard de dollars que le FMI a décidé d’octroyer au pays, selon plusieurs sources médiatiques, les autorités tunisiennes ayant préféré garder le silence sur le montant et les conditions imposées par le FMI.
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Non seulement le premier déblocage permettra à la Tunisie d’engranger de substantielles ressources en devises, mais il lui permettra également, et surtout, de pouvoir bénéficier des prêts d’autres institutions qui attendaient un tel accord pour négocier avec le pays. Mieux, avec cet accord, Tunis pourra mieux négocier ses sorties sur le marché international de la dette et obtenir des prêts avec des taux d’intérêts non exorbitants.
L'accord est une bouée de sauvetage pour le gouvernement tunisien. Mais pour pouvoir s’y s’accrocher longtemps et en profiter pour sortir du marasme économique, la Tunisie doit obligatoirement respecter ses engagements vis-à-vis du FMI. Et si les négociations ont été longues et laborieuses, c’est que l’institution de Bretton Woods, après avoir été bernée par les gouvernements tunisiens qui se sont succédés avant l’arrivée de Kaïs Saïed au pouvoir et qui avaient géré le précédent prêt du FMI de 2,8 milliards de dollars accordé en 2016, ne compte pas, cette fois-ci, se faire rouler dans la farine. Et d’ailleurs, il faut attendre décembre prochain et l’accord définitif du Conseil d’administration de l'institution pour espérer toucher à la première tranche du prêt.
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Dans tous les cas, le FMI a annoncé un canevas de conditions et de réformes à entreprendre par le gouvernement tunisien. Et ce n’est qu’en respectant ces conditions que le pays se verra accorder les tranches successives du prêt qui sera étalé sur 48 mois avec des passages tous les 6 mois pour évaluer les réformes et les résultats obtenus par la Tunisie.
De plus, les conditions imposées par le FMI sont loin d’être populaires, surtout pour un gouvernement de plus en plus contesté. Il s’agit d’une thérapie de choc que tous les gouvernements précédents ont esquivé, contribuant à aggraver la situation du pays en dépit des nombreux prêts, dons et aides obtenus depuis la révolution de 2011.
D’abord, le FMI exige, pour contenir les dépenses, d’éliminer progressivement les subventions de nombreux produits (carburants, produits alimentaires de base…) grâce à des ajustement réguliers des prix qui lient les prix intérieurs aux prix internationaux. Ce qui équivaut, dans le contexte actuel, a une révision à la hausse des prix de nombreux produits alors que la flambée des prix érode de manière inquiétante le pouvoir d’achat des Tunisiens. Cela, d’autant plus que le FMI ne souhaite pas entendre parler d’augmentation des salaires qui gonflerait davantage la masse salariale déjà très élevée et qui consomme à elle seule l’équivalent de 15% du PIB du pays, soit l’un des ratios les plus élevés au monde. C’est l’une des mesures qui risque fort de faire grincer des dents, car touchant directement le pouvoir d’achat des citoyens.
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Ensuite, il faut dégraisser le mammouth de la fonction publique et ses plus de 700.000 agents, soit l’équivalent de plus de 6% de la population nationale. Dans le contexte actuel, ce sera très difficile d’initier des départs volontaires du fait que les perspectives de trouver des emplois sont faibles en Tunisie pour ceux qui seraient tentés par cette aventure. Et dans ce cas, ce sont surtout les meilleurs profils qui risquent d’abandonner la fonction publique au profit du privé et surtout de l’étranger, avec des impacts négatifs sur certains secteurs (santé, éducation…). Mais, avec une masse salariale représentant 15% du PIB du pays, le gouvernement n’a pas le choix. Il faudra y faire face pour réduire les dépenses du budget de l’Etat.
L’autre réforme attendue est celle des entreprises publiques devenues budgétivores à cause des déficits qu’elles accumulent. Réformer ces entreprises, qui sont également toutes en sureffectif, ne sera pas une tâche facile. La réduction de leurs charges passera en effet inéluctablement par des réductions d’effectifs. Seulement, toutes les tentatives d’y parvenir échouent. C’est le cas de Tunisair, qui compte un sureffectif évalué à plus de 1.000 salariés. Le transporteur aérien national a du mal à réduire ses effectifs pléthoriques malgré les engagements des différents dirigeants qui se sont succédés à sa tête.
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Pour le reste, le FMI appelle à l’amélioration de l’équité fiscale en faisant entrer le secteur informel dans le système fiscal et en élargissant l’assiette fiscale à toutes les professions. Il est aussi demandé de renforcer la sécurité sociale en augmentant les transferts monétaire et en élargissant la couverture de sécurité sociale. Il s'agit enfin d'améliorer la gouvernance et la transparence dans le secteur public. On voit mal comment le gouvernement va s’en sortir avec toutes ces conditions alors que les ressources font défaut.
L'adoption de cette série de réformes ne va se faire sans un mécontentement de la population, et ce, d’autant que la puissante centrale syndicale du pays, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), a déjà manifesté son opposition à ces réformes impopulaires. «Nous refusons ces conditions (du FMI) en raison du faible niveau des salaires, du manque de moyens et de la hausse du taux de pauvreté et du chômage», soulignait en juin dernier Noureddine Taboubi, secrétaire générale de l’UGTT.
Seulement, cette fois-ci, le gouvernement n’aura pas le choix. Le FMI ne se contentera pas de promesses comme ce fut le cas avec les anciens gouvernements qui n’ont jamais appliqué les réformes sur lesquelles ils se sont engagés auprès de l’institution. Les évaluations périodiques des réalisations pour le déblocage des tranches suivantes constitueront ainsi une sorte d’épée de Damoclès sur la tête des dirigeants tunisiens.