Barrage sur le Nil: échec de la médiation de l’Union africaine, la tension persiste

Le Grand barrage de la Renaissance éthiopienne (GERD).

Le Grand barrage de la Renaissance éthiopienne (GERD). . DR

Le 07/04/2021 à 14h27, mis à jour le 07/04/2021 à 14h36

La rencontre de Kinshasa n’a pas permis d’aplanir le différend entre l’Ethiopie, l’Egypte et le Soudan sur le barrage de la Renaissance éthiopienne. La partie égyptienne accuse l’Ethiopie d’absence de volonté pour résoudre le problème. Si les positions sont fermes, des évolutions sont constatées.

C’est un énième échec dans les négociations relatives au Grand barrage de le Renaissance éthiopienne (GERD). Après trois jours de négociations à Kinshasa, en RD Congo, avec la médiation de Félix Tshisekedi, président de la RD Congo et de l’Union africaine, les ministres des Affaires étrangères et de l’Eau des trois pays se sont séparés sans accord. Selon le ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Choukry, le dernier cycle de négociations sur le barrage éthiopien a donc échoué.

Pourtant, les autorités congolaises ont fait le nécessaire en prolongeant les discussions initialement prévues pour deux jours afin d’arrondir les angles entre les trois pays, mais en vain.

Il faut dire que les différends entre les trois pays sont énormes. Outre le volet du remplissage du réservoir géant de 74 milliards de m3 d’eau qui a longtemps cristallisé les débats entre l’Ethiopie et l’Egypte, un autre volet est venu se greffer à celui-ci et concerne l’exploitation. En effet, l’Egypte et le Soudan souhaitent désormais être impliqués dans la gestion de l’exploitation du barrage éthiopien à travers un accord tripartite contraignant.

L’Ethiopie, elle, avance une question de souveraineté nationale. Elle explique que le barrage est construit en terre éthiopienne et financé entièrement par l’Ethiopie et en conséquence, ne conçoit pas la gestion de son exploitation avec les pays en aval que sont le Soudan et l’Egypte. De plus, Addis-Abeba souhaite une révision du partage des eaux du Nil qui accorde 55,5 milliards de mètres cubes à l’Egypte et 18,5 Soudan. L’Ethiopie, qui n’avait pas bénéficié de quota dans le partage de 1959, entend reprendre ses droits sur les eaux du Nil bleu. Pour cela, elle se base sur un traité signé en 2010 avec d’autres pays africains du bassin du fleuve et boycotté par l’Egypte et le Soudan autorisant des projets d’irrigation et de barrage sur le Nil.

Or, comme l’a souligné Sameh Shoukry, l'Egypte avait participé aux réunions de Kinshasa afin de reprendre les négociations sous la direction de la RDC, selon un calendrier précis avec pour objectif de parvenir à un accord juste, équilibré et juridiquement contraignant sur le barrage du Nil Bleu. Et pour cause, sans contrainte, l’Ethiopie pourrait, comme elle le fait actuellement, continuer à remplir le réservoir du barrage et porter préjudice aux pays en aval sachant que 80 à 85% des eaux du Nil, fleuve nourricier de l’Egypte, proviennent du Nil bleu, son affluent qui prend sa source en Ethiopie.

Ainsi, pour la ministre soudanais des Affaires étrangères Mariam Al Mansoura Elsadig Almahdi, en mettant en échec les négociations, l’Ethiopie "menace les peuples du bassin du Nil, et le Soudan directement".

Mieux, «pour le Soudan, toutes les options sont possibles, y compris le retour au Conseil de sécurité, (et) la voie d’un durcissement politique» au cas ou «l’Ethiopie entreprend le deuxième remplissage sans accord», a souligné Yasser Abbas, ministre soudanais de l’Irrigation.

En réponse, le ministre éthiopien de l’Eau, Seleshi Bekele, a affirmé que son pays va poursuivre le remplissage du réservoir du barrage pendant la prochaine saison des pluies. «A mesure que la construction avance, le remplissage a lieu», a t-il souligné lors d’une conférence de presse ce mercredi, ajoutant que «nous n’y renonçons en rien».

Face au blocage, l’Egypte et le Soudan suggèrent une médiation par un quartet international comprenant, en plus de l’Union africaine, les Nations unies, les Etats-Unis et l’Union européenne. L’Ethiopie y est catégoriquement opposée ayant certainement en tête l’échec de la médiation américaine sous Trump et les conséquences de celle-ci marquée par la suspension d’une partie de l’aide au développement de Washington à Addis-Abeba qui a ensuite était levée par la nouvelle administration américaine.

"L’Ethiopie a rejeté la proposition soumise par le Soudan, qui était soutenue par l’Egypte, de former un quatuor international, dirigé par la RDC en tant que président actuel de l’Union africaine, pour servir de médiateur entre les trois parties concernées", a souligné le ministre des Affaires étrangères égyptien.

Toutefois, malgré cet échec du premier round des négociations sous l’égide de l’Union africaine, le dirigeant congolais ne s’avère pas vaincu. Selon David Tshishiku, chef des experts congolais, les négociations de Kinshasa ne constituent que "le premier pas sur lequel le président Tshisekedi va bâtir les alternatives et les approches de travail".

Rappelons que le barrage de la Renaissance est source de tensions entre l’Ethiopie, le Soudan et l’Egypte depuis son lancement en 2011. Construit près de la frontière avec le Soudan, sur le Nil Bleu, il sera le plus grand barrage hydroélectrique d’Afrique avec une capacité de production électrique installée de 6.500 MW. Les premières productions d’électricité sont attendues cette année après le démarrage de la seconde phase de remplissage du réservoir de 74 milliards de mètres cubes d’eau.

Pour l’Ethiopie, le barrage devrait contribuer à accélérer son développement et son électrification. Avec 110 millions d'habitants, soit le second pays le plus peuplé d’Afrique derrière le Nigéria, l’Ethiopie figure parmi les pays les moins électrifiés du continent. En effet, plus de 65 millions d’Ethiopiens n’ont pas accès à l’électricité.

Pour sa part, l’Egypte qui dépend du Nil pour environ 97% de ses besoins en eau, considère le barrage éthiopien comme une menace pour son approvisionnement. Et le ton est même monté ces derniers jours lors que le président Abdel Fettah al-Sissi a annoncé, lors d’une conférence de presse à Ismaïlia, que "personne ne peut se permettre de prendre une goutte d’eau de l’Egypte, sinon la région connaîtra une instabilité inimaginable". Or, en cas de remplissage rapide du réservoir du barrage (5 à 7 ans), l’Egypte pourrait perdre 25% de son volume d’eau.

Cette dernière insiste sur "un droit historique" sur le fleuve garanti par des traités conclus en 1929 et 1959 et dénonce l’intransigeance et la politique du fait accompli menée par Addis-Abeba.

Quant au Soudan, longtemps resté en retrait lors des discussions durant le règne d’Omar El Béchir, il se montre depuis quelques mois plus impliqué dans les discussions.

Khartoum voyait plus d’avantages que d’inconvénients du barrage de la Renaissance, notamment du fait de la fourniture de l’électricité à un tarif compétitif et à la régulation du débit du Nil bleu par le barrage pour empêcher des inondations au niveau de la capitale. Mais, désormais, le Soudan craint surtout pour ses barrages construits sur le Nil.

Le Soudan souhaite que le futur accord garantisse l’exploitation sure de ses barrages hydroélectriques d’Er-Roseires et de Sennar, également construits sur le Nil bleu. Et ce, d’autant que le barrage d’Er-Roseires, construits en 1966 à 60 km de la frontière avec l’Ethiopie, a été rénové et surtout élevé de 10 mètres afin d’augmenter le niveau normal de son réservoir de 480 à 490 mètres au dessus du niveau de la mer faisant passer sa capacité de stockage de 3 à 7,5 milliards de m3. En découle une augmentation de la superficie de son lac de 250% et un accroissement des surfaces irriguées et de la production d’électricité.

Le différend entre les trois pays reste donc entier. Et l’annonce du président égyptien soulignant que l’armée se tient "prête à défendre la sécurité nationale", illustre bien les enjeux des négociations sur le barrage de la Renaissance. Ce à quoi, le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, a rétorqué "qu’aucune force ne peut arrêter l’Ethiopie".

Toutefois, force est de constater que malgré les menaces et les échecs des négociations, le différend entre les trois pays a évolué. Si au départ les Egyptiens étaient catégoriquement opposés à la construction du barrage géant, désormais, les discussions portent sur les conditions de son fonctionnement, notamment le remplissage du réservoir et l’exploitation du barrage, notamment durant les années de sécheresse. Des positions rendues difficilement conciliables à cause des problèmes internes dans les trois pays où toute concession pourrait être mal vue.

Par Moussa Diop
Le 07/04/2021 à 14h27, mis à jour le 07/04/2021 à 14h36