Afrique: une crise de la dette n’est pas à exclure

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Le 03/12/2016 à 10h53, mis à jour le 03/12/2016 à 10h57

Les pays africains se sont beaucoup endettés au cours de ces dernières années. Si le taux d’endettement du continent n’est pas alarmant dans l'absolu, les capacités de remboursement des dettes contractées par certains pays commencent à inquiéter.

Dans le sillage de la flambée des cours des matières premières, de nombreux pays africains ont recouru à l’endettement pour réaliser des investissements. Si les pays ont globalement investi dans les infrastructures, ils ont aussi, et surtout, dépensés massivement dans des projets non productifs et acheté la paix sociale de leurs populations à coups de subventions des produits de base et des carburants oubliant d'épargner.

Croyant à la poursuite de la flambée des cours du pétrole et des matières premières, ils ont usé et même abusé des financements chinois faciles et des emprunts obligataires, en voulant profiter des taux d’intérêt relativement bas.

La Chine, avec ses énormes réserves en devises, à la recherche de matières premières et de marchés pour ses grosses entreprises spécialisées dans les infrastructures, n’a pas hésité à contribuer à l’endettement de nombreux pays du continent en finançant des projets capitalistiques, le plus souvent obtenus sans appel d’offres, tout en s’assurant que la réalisation de ceux-ci revienne aux entreprises chinoises. Cela est particulièrement vrai pour les projets ferroviaires, barrages, autoroutes et autres centrales électriques financés par la Chine en Afrique.

Malheureusement, certains pays se sont endettés pour financer des projets sans importance. Et ils sont nombreux. La ville angolaise de Kilamba en est un exemple typique de cet endettement inutile. Cette ville nouvelle, construite par la Chine en Angola, est sortie de terre en 2011 après 3 ans de travaux avec une capacité d’accueil d’un demi-million d’habitants pour un coût de 3,5 milliards de dollars. Malgré tout le confort nécessaire, Kilamba reste aujourd’hui encore inhabitée. C'est une véritable ville fantôme et l'Angola souffre aujourd'hui à cause du repli des cours du pétrole. 

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Outre l’Angola, l’autre pays ayant souffert de la chute du baril de pétrole est le Gabon. Engagé dans un processus de diversification de son économie, ce pays, face à la baisse de ses recettes pétrolières, ne pouvait que recourir à l’endettement. Ainsi, après une phase de désendettement progressif entre 2000 et 2008, profitant d’une évolution favorable des cours du baril de pétrole en rachetant par anticipation 86% de sa dette détenue par les créanciers du Club de Paris, le Gabon avait ramené, sous Bongo père, sa dette à 1.181 milliards de FCFA, soit 16,7% du PIB. Toutefois, entre 2009 et 2016, la dette gabonaise qui n’était que de 1368 milliards de FCFA en 2009 a augmenté de 144% en 7 ans pour atteindre 3.343 milliards FCFA, soit 42% du PIB du pays alors que le plafond d’endettement était fixé à 35% par la loi gabonaise. Cet endettement a été fortement marqué par l’emprunt obligataire de 500 millions d’euros en juin 2015, mais aussi par les dettes contractées auprès de la Chine. En 2015, le Gabon a emprunté 219 milliards FCFA auprès de la Chine pour construire ses infrastructures sportives dans le but d’accueillir la CAN 2017.

Idem pour le Ghana. Ce nouvel Etat pétrolier a lui aussi vu le niveau de sa dette croître dangereusement. Son taux d'endettement est passé de 26% en 2006 à 49% en 2012 pour atteindre 75% à fin 2015. Le pays avait naturellement tablé sur des recettes pétrolières en hausse avant que la chute du baril ne ramène les dirigeants à une dure réalité.

Si l’Angola, le Gabon, le Ghana et tant d’autres pays ont recouru fortement à l’endettement, d’autres ont essayé de s’endetter davantage, sans succès. Ainsi, au Nigeria, pour relancer une économie en crise et conjurer le sort du naira en chute libre face au dollar, depuis la décision prise par le gouvernement de laisser flotter la monnaie nigériane face aux devises étrangères, le président Buhari avait sollicité des députés nigérians l’autorisation d’emprunter 30 milliards de dollars auprès des institutions internationales. Toutefois, les députés ont opposé un niet à cette demande arguant que «les documents fournis n’étaient pas suffisants». Il faut souligner que pour le Nigeria, la production de pétrole représente 70% des revenus du pays.

Malheureusement, avec le retournement de conjoncture, de nombreux pays ont aujourd’hui le couteau sous la gorge, obligés de réserver une part non négligeable de leurs recettes budgétaires en service de la dette.

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De fait, d'aucuns se demandent si on ne se dirige pas vers une nouvelle crise de la dette africaine. Globalement, le niveau d’endettement du continent est encore relativement bas, avec un taux d’endettement moyen inférieur à 45%, il n’en demeure pas moins que l’inquiétude est perceptible pour de nombreux pays, et ce pour plusieurs raisons. 

D’abord, plusieurs pays dépendent des recettes d’exportation provenant de quelques matières premières, notamment le pétrole, pour rembourser leurs dettes. C’est le cas notamment de l’Angola, du Gabon, du Nigeria et du Congo qui dépendent énormément des exportations du pétrole brut. Ainsi, l’Angola qui avait dépassé le Nigeria en se hissant au rang de premier producteur de pétrole du continent, n’en demeure pas moins un pays fragile.

Suite aux dépenses excessives engagées durant les années de hausse du cours du baril de pétrole et aux sommes investies dans des projets globalement non productifs, le pays était obligé de recourir aux emprunts internationaux pour faire face à la chute de ses recettes budgétaires consécutives au recul du cours du baril de pétrole sur le marché international. Après avoir tenté d’obtenir un emprunt auprès du FMI, le pays fut obligé d’y renoncer à cause des conditions imposées par l’institution financière internationale.

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Bien que n’ayant plus d'argent, le pays est arrivé tout de même à emprunter 11,5 milliards de dollars entre septembre 2015 et juin 2016, notamment auprès de la Chine. Le niveau d’endettement du pays auprès de la Chine est d’ailleurs gardé top secret par les deux partenaires. En tout cas, selon le FMI, la dette de l’Angola a atteint officiellement 70,1% du PIB du pays. Incapable de rembourser le service de sa dette, le pays a été obligé de solliciter auprès de ses créanciers, notamment de la Chine, des rééchelonnements de ses dettes. C’est le cas de nombreux autres pays, ce qui alourdit le coût de l’endettement.

Ensuite, la baisse de la croissance des économies africaines ne contribue pas aujourd’hui à la création de richesses à même d'aider au remboursement des services de la dette. C'est le cas pour de nombreux pays, notamment ceux dépendant des exportations de matières premières. Ainsi, on est passé des taux de croissance d’environ 5,5% en Afrique subsaharienne au début de la décennie à un taux de 3,7% enregistré en 2015 et seulement 1,5% attendu en 2016.

Aux cours bas du baril de pétrole et des matières premières, viennent se greffer les instabilités politiques et sécuritaires qui compliquent une situation déjà difficile pour de nombreux pays (Nigeria, Gabon, etc.) qui verront leur capacité de remboursement diminuer tout en freinant de nombreux investissements étrangers.

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En outre, les monnaies de nombreux pays africains -dinar tunisien, dinar algérien, cedi ghanéen, naira nigérian, livre égyptienne, rand sud-africain, kwanza angolais, etc.- se sont globalement effondrées sous l’effet du marché ou des changements règlementaires des régimes de change. Ces dépréciations fortes ressemblent plus à des dévaluations déguisées qui ont des effets négatifs en alourdissant le service de la dette. Une situation qui aggrave encore les capacités de remboursement de nombreux pays du continent.

Enfin, l'environnement économique mondiale étant peu favorable, la croissance risque d'être molle au niveau du continent à cause des demandes extérieures moins importantes et donc une croissance économique moindre et par ricochet une faible création de richesse qui ne favorise pas des renmboursements des dettes. 

Par ailleurs, il faut souligner que certains pays pétroliers non endettés jusqu’à présent ne tarderont pas à rejoindre les rangs. C’est le cas de l’Algérie. Si le pays n’est pas endetté, il a tout de même largement puisé dans son fonds souverain constitué durant les années fastes d'un cours élevé du barll de pétrole pour faire face à la chute de ses recettes pétrolières et combler son déficit budgétaire. Si bien qu'à force d’y puiser, ce fonds s’est épuisé n’offrant qu’une seule alternative au pays: le recours à l’endettement à l’international. Un premier emprunt d’environ 1 milliard de dollars a été contracté cette année auprès de la Banque africaine de développement (BAD), une première depuis une décennie qui augure d’autres sorties si le cours du baril n’inverse pas sa tendance baissière.

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Pour faire face aux baisses des recettes qui accentuent les déficits budgétaires et amenuisent leurs capacités de remboursement des services de dettes, les Etats pétroliers commencent à réduire leur train de vie et à diminuer les subventions dont profitaient les populations, ce qui suscite des tensions sociales.

Toutefois, ces mesures restent insuffisantes car les dépenses consacrées aux remboursements des dettes absorbent une partie importante des ressources publiques. Seule une remontée des cours du pétrole et des matières premières peut constituer un salut pour nombre de pays africains dont les économies reposent encore exclusivement sur les rentes des matières premières.

Par Moussa Diop
Le 03/12/2016 à 10h53, mis à jour le 03/12/2016 à 10h57