L’Algérie a enregistré un excédent commercial de 1,04 milliard de dollars à fin novembre 2021, selon le Premier ministre et argentier du pays, Aïmene Benabderrahmane. Et d’après lui, au terme de l’année, l’excédent commercial devrait se situer à 2,35 milliards de dollars, soit 1,5% du PIB du pays.
Selon le ministre, cette performance a été rendue possible grâce à une augmentation de 62% des exportations des hydrocarbures, une augmentation de 161% des exportations hors hydrocarbures et une baisse des importations de 1,3%.
Si cette performance est louable, sachant que l’Algérie cumule depuis 7 ans, dans le sillage de la chute des cours du baril de pétrole en 2014, des déficits commerciaux chroniques, il n’en demeure pas moins que cet excédent mérite de réelles explications, différentes de celles, courtes, avancées par le Premier ministre algérien. D’abord, il faut souligner que cet excédent est surtout le résultat de la hausse cours des hydrocarbures (pétrole, gaz,…) et dérivées (ammoniac) durant l’année qui s’achève, comparativement à 2020. Ainsi, selon les projections des autorités, les recettes d’exportations des hydrocarbures devraient passer de 20,20 milliards de dollars en 2020 à 32,4 milliards en 2021. Un surplus de presque 12,20 milliards de dollars, soit plus que le niveau du déficit commercial enregistré en 2020 qui était de 10,60 milliards de dollars.
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Au-delà de l’effet prix, il faut dire que cet excédent commercial, dont se glorifient les dirigeants algériens, n’a été obtenu qu’en privant les Algériens de tout ou presque. En effet, cet excédent s’explique surtout par la multiplication des interdictions d’importation de biens, y compris ceux jugés essentiels et même vitaux. A titre d’illustration, aucun voiture neuve n’a été importée par les concessionnaires depuis des années. Mieux, même les unités de montage qui importaient des kits automobiles pour les assembler en Algérie sont à l’arrêt depuis plus de 2 ans. En clair, aucune voiture neuve n’est disponible dans le pays depuis 2 ans, sachant que les quotas, faible en volume, d’importation de véhicules ont été appliqués dès 2016 avant l'interdiction totale en 2019. Or, rien que la facture des importations de voitures neuves dépassait les 3 milliards de dollars par an, soit plus que l’excédent commercial espéré par le Premier ministre à fin 2021.
Aujourd’hui, les Algériens sont excédés par cette privation qui a été prolongée tout dernièrement par le président Tebboune, en avançant la nécessité de mettre en place un nouveau cahier des charges. Une manière de gagner du temps et surtout de préserver les devises du pays et d'ainsi annoncer un excédent commercial. Tant pis pour les accidents occasionnés par un parc vieillissant et l’absence de pièces de rechange. Autre conséquence de cette stratégie: en Algérie, acquérir un véhicule est devenu un luxe. A tel point que les voitures d’occasion, qui ont pourtant roulé durant des années, se vendent désormais à des prix dépassant ceux des neuves, introuvables. Une aberration que le Premier ministre n’explique pas.
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Plus grave encore, au début du mois de décembre, le ministre de l’Industrie pharmaceutique, Abderrahmane Lotfi Djamel Benbahmed, affichait sa satisfaction en annonçant son bilan en matière d’économies en devises réalisées sur la facture des importations en médicaments. Il a en effet annoncé une économie de 800 millions de dollars sur une facture de 2 milliards de dollars. Seulement, le ministre omet de souligner les pénuries sur plus de 330 médicaments, et concernant les traitements de nombreuses maladies (cancer, tension artérielle, diabète,…), dénoncées par le Syndicat national des pharmaciens d’officine (Anapo). L’essentiel pour le ministre, c’est qu’il a fait des économies en devises et tant pis pour les vies humaines, particulièrement les enfants atteints de cancer qui sont morts faute de médicaments.
Et malheureusement, les interdictions d’importation touchent de très nombreux produits que l’Algérie ne produit pas, mais également les intrants importés. Les autorités ont ainsi dressées une liste d’un millier de produits concernés. Et comme le pays est déficitaire pour de très nombreux produits, ces interdictions entraînent rapidement des pénuries et une flambée des prix. Les bousculades pour s’approvisionner en huile, lait, pain… ont marqué les esprit durant l’année en cours. Même les prix des légumes produits localement se sont envolés touchant même la pomme de terre dont le prix a plus que doublé durant plusieurs semaines de l’année qui s’achève. Inexorablement, le pouvoir d’achat des Algériens a fortement chuté.
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Quant aux pénuries, elles n’ont même pas épargné l’eau potable. Le gel des investissements dans des unités de dessalement d’eau de mer et l’absence de maintenance faute d’acquisition de pièces détachées ont entraîné des pénuries d’eau, jusque-là jamais observées dans le pays. Conséquence, l'eau potable a été rationnée dans la capitale.
Face à l’auto-satisfaction des dirigeants algériens, particulièrement du président Abdelmadjid Tebboune et de son Premier ministre et ministre des Finances, Benabderrahamane, l’économiste et universitaire Pr Abderrahmane Metboul, dans une tribune intitulée «Le devoir de vérité sur la situation économique de l’Algérie», se demande comment «on peut se satisfaire d’un discours d’auto-satisfaction alors que l’économie nationale est en panne».
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En outre, les gels de nombreux projets ayant entraîné l’arrêt d’importations de biens d’équipement ont touché de nombreuses activités, contribuant au ralentissement de l’économie du pays.
Ainsi, cet excédent doit être mis en balance avec les unités industrielles fermées dans divers secteurs: automobile, électroménager, électronique, BTP… Les multiples mesures règlementaires prises par le gouvernement pour réduire les importations pénalisent directement de nombreux opérateurs économiques du pays en engendrant des arrêts de chantiers et d’unités de production, avec à la clé une augmentation du nombre de chômeurs. Et la liste risque de s’allonger avec l’interdiction des importations du lait en poudre depuis le 9 septembre dernier, dans le but d’économiser un peu plus de 1,5 milliard de dollars sur la facture laitière du fait de la flambée des cours du lait sur le marché mondial. Une situation qui risque de provoquer la fermeture de nombreuses unités de production laitière qui fonctionnent à partir du lait en poudre importé. Ce sera une catastrophe, estiment les professionnels, sachant que les Algériens figurent parmi les plus grands consommateurs de lait au monde et que la production purement locale ne satisfait même pas le tiers des besoins du pays.
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Les professionnels laitiers algériens lancent un cri d’alarme et expliquent le risque de fermeture de nombreuses unités et la mise au chômage de 70.000 travailleurs. Une situation parmi d'autres qui illustre l’absence de vision globale des dirigeants qui restent focalisés uniquement sur les indicateurs du niveau des réserves de change du pays. Si aucune mesure n’est trouvée pour l’approvisionnement en poudre de lait et autres intrants de ces unités, elles n’auront d’autre choix que d’arrêter de produire, la production des seules vaches laitières algériennes étant trop faible pour les alimenter.
Selon les professionnels, à cause de cette interdiction d’importation, certaines des plus grandes unités laitières du pays tournent déjà à moins de 50% de leurs capacités. Mais grâce au stock de poudres de lait en plus de la production des vaches laitières. C’est dire qu’il y a de fortes chances que les pénuries de lait réapparaissent de nouveau en Algérie si les autorités ne reviennent pas sur leur décision. L’Algérie importe en moyenne 250.000 tonnes de poudre de lait entier et environ 170.000 tonnes de poudres de lait écrémé par an, pour une facture de 1,3 milliard de dollars.
Et pour le Premier ministre, «la réduction des importations est une autre préoccupation sur laquelle l’Exécutif a tenté d’agir pour endiguer les achats superflus de l’étranger, d’une part, et de rationaliser, autant que faire se peut, les approvisionnements tant pour la consommation des ménages que pour l’outil de production, d’autre part». Si on suit le raisonnement du chef du gouvernement, les voitures neuves, les médicaments… figurent donc parmi les achats superflus importés.
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En clair, «concernant le solde éventuellement positif en 2021 de la balance commerciale, elle a une signification limitée, avec le nombre de projets bloqués dont la réalisation aurait donné un déficit de balance commerciale fin 2021», a expliqué le Pr Metboul, ajoutant à l’adresse des hauts dirigeants algériens que «c’est par un langage de la vérité que l’on peut corriger les erreurs».
Outre les effets de la privation, des pénuries et de l’inflation occasionnés par cette politique d’interdiction des importations tous azimuts, il est utile aussi de relever un autre argument faux des autorités algériennes quand elles mettent l’excédent de la balance commercial sur l’explosion des exportations hors hydrocarbures.
Une analyse fine des produits exportés montre qu’en réalité, la dépendance vis-à-vis des recettes pétrolières n’a pas vraiment évolué, contrairement à la promesse du président Tebboune. En effet, sur les 4,5 milliards de dollars de recettes d’exportation hors hydrocarbures annoncés, une partie non négligeable est constituée, en réalité, de dérivés d’hydrocarbures dont l’ammoniac.
Mieux encore, selon l’analyse de l’universitaire, «le bilan officiel de Sonatrach 2020 donne 2 milliards de dollars de dérivées d’hydrocarbures, avec une perspective de plus de 2,5 milliards pour 2021. Et si l’on ajoute les semi produits, ce montant dépasse les 3 milliards de dollars». Ce qui laisse donc aux produits à valeur ajoutée moins de 1 milliard de dollars.
Afin de voir s’il y a une réelle dynamique d’exportation de certaines entreprises, il faudrait «dresser la balance devises en soustrayant les matières importées en devises, ainsi que les exonérations fiscales et certaines subventions comme le prix de cession du gaz cédé à 10-20% de la cotation sur le marché international pour certaines unités exportatrices fortes consommatrices de gaz. En réalité avec les dérivées d’hydrocarbures, les recettes en devises pour 2021 représentent entre 97 et 98% en ce mois de décembre 2021».
Comme l’explique Pr Metboul, «prenons garde aux utopies en induisant en erreur l’opinion publique nationale, pas les étrangers qui connaissent parfaitement la structure économique du pays, de l’annonce de 4 milliards de dollars hors hydrocarbures pour l’année 2021». En clair, les nombreuses sorties des dirigeants algériens sur une prétendue diversification magique de l’économie algérienne en l’espace d’une année sont loin d’être fondées.
Le Premier ministre pourra déclarer un excédent commercial lorsque les Algériens auront accès aux véhicules, médicaments et autres produits que leur pays ne produit pas en quantités suffisantes et ce, sans restrictions. Comme c’est le cas un peu partout dans le monde.