Algérie: quand le racisme envers les Subsahariens devient une politique d’État

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Le 02/11/2017 à 12h10, mis à jour le 02/11/2017 à 12h59

Les rafles et expulsions de migrants subsahariens se banalisent en Algérie sans que les autorités ne s’en émeuvent. Le racisme contre les Noirs est assumé sans complexe par les plus hauts responsables algériens. L’enchaînement des mesures incline à penser qu’il s’agit d’une politique d’État.

Décembre 2016, le Mali, le Niger, la Guinée et plusieurs pays subsahariens se réveillent en apprenant avec stupéfaction que l'Algérie vient de lancer la plus grande chasse à l’homme noir depuis 1962. Certes, elle avait commencé sous Abdelmalek Sellal mais elle connaît son paroxisme depuis la nomination à la tête du gouvernement algérien d’Ahmed Ouyahia.

L’enchaînement des mesures prises à l’encontre des migrants subsahariens ces dernières semaines laisse penser que la xénophobie est encouragée par les plus hautes autorités et qu’elle est aujourd’hui érigée en politique d’État.

On aurait pu croire isolés les propos de Farouk Ksentini, avocat et président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme, et surtout conseiller d’Abdelaziz Bouteflika, qui a fait cette déclaration stupéfiante : la présence des migrants africains expose les Algériens «au risque de la propagation du sida ainsi que d’autres maladies sexuellement transmissibles». Et d’encourager les autorités à expulser les migrants africains, «pour arrêter cette catastrophe qui nous est imposée».

Rien de tel, Farouk Ksentini ne s’est pas excusé, n’a même pas tenté de tempérer la teneur de ses propos. Et surtout, il n’a fait l’objet d’aucun recadrage de la part du chef de l’État algérien dont il est le conseiller. Si Ksentini a pu tenir des propos aussi choquants qu’indignes, c’est qu’il savait pertinemment que telle est la volonté des plus hautes autorités du régime. La suite le confirmera.

Tout s'est accéléré en juin dernier avec une campagne de hashtags racistes sur les réseaux sociaux: «#Non aux Africains en Algérie», «#Nettoyer les villes», qui avait provoqué l'indignation de certains intellectuels algériens, des médias, des responsables des droits de l’Homme et d'ONG et des citoyens algériens.

Toutefois, à la lumière de ce qui a suivi, on peut se demander si cette campagne n’était pas téléguidée depuis le sommet de l’État algérien pour torpiller la politique initiée par le Premier ministre Tebboune.

Ainsi, le 9 juillet 2017, Ahmed Ouyahia, ministre d’État et surtout directeur de cabinet du président algérien Abdelaziz Bouteflika, faisait des déclarations scandaleuses, décrétant que «ces étrangers en séjour irrégulier amènent le crime, la drogue et plusieurs autres fléaux», avant d’ironiser en ajoutant «on ne dit pas aux autorités, jetez ces migrants à la mer ou au-delà des déserts». Pour les Algériens, aucun doute, le message est venu d’«en haut», sachant que Ouyahia est considéré comme l’un des hommes les plus proches de Bouteflika.

Juste après les propos scandaleux d’Ouyahia, c’est au tour du futur ministre des Affaires étrangères, l’inénarrable Abdelkader Messahel, de renchérir, le 11 juillet, en demandant au gouvernement algérien des «mesures urgentes» face au «flux en Algérie de migrants subsahariens». Si le premier n’avait pas nommé les Subsahariens, le second, qui manie tout sauf la langue diplomatique, s’est montré direct quant à la cible de cette politique. Messahel est aussi l’un des hommes les plus proches du président algérien, comme en atteste la mise en scène pour contrer les rumeurs de décès de Bouteflika, consistant en une brève apparition filmée sur la chaîne publique algérienne entre Messahel et le chef de l’État algérien.

Et justement, un mois après ces déclarations, le 15 août plus exactement, l’homme qui murmure à l'oreille de Bouteflika est récompensé par une nomination au poste de Premier ministre à la place de Tebboune, qui avait eu le malheur de parler de la nécessité de régulariser les migrants subsahariens.

Nommé au poste de Premier ministre, Ouyahia obtient «carte blanche», si ce n’est l’ordre de mission pour peaufiner et exécuter sa «solution finale»: plus de migrants subsahariens en Algérie, légaux ou illégaux.

Du coup, c’est le début des rafles, une véritable chasse à l’homme noir qui n’épargne aucun lieu: mosquées, appartements, lieux de travail, rues.

Après avoir rempli les centres de transit, le 1er août, les nouvelles autorités algériennes annoncent la reprise des expulsions de migrants subsahariens, déclenchant la plus grande chasse à l’homme noir qu’a connue l’Algérie, après avoir suspendu ces expulsions en décembre 2016.

Et comme l’avait prédit Ouyahia, on jette ces migrants «au-delà des déserts». Les migrants arrêtés à Alger et sa périphérie, ainsi qu’à Blida, sont conduits dans un camp de transit, à Réghaïa, dans la banlieue algérienne, dans des conditions répugnantes.

Dans une vidéo postée quelques jours auparavant, les migrants annonçaient: «Nous sommes presque morts… Trois jours sans manger et à dormir à même le sol», décrivant les conditions de leur détention avant leur expulsion. Puis les migrants sont conduits dans des conditions inhumaines à Tamanrasset, près de 2.000 km au sud, avant d’être «abandonnés» par les autorités algériennes à la frontière avec le Niger. Ils doivent parcourir plusieurs dizaines de kilomètres à pied dans le désert pour espérer arriver au premier village nigérien après la frontière algérienne. Affamés, nombreux n’arrivent pas à rejoindre ce village.

En septembre, la surenchère a poussé les autorités algériennes jusqu’à interdire aux chauffeurs d’autocars, de taxis et de bus de prendre des Subsahariens dans certaines localités. C’est le cas à Mostaganem. Le 28 septembre, suite à une vague d’indignation, la direction des transports de Mostaganem s’est excusée, parlant d’une «simple erreur». Cette campagne d’expulsion a fait de nombreuses victimes. Le 9 octobre, selon RFI, 2 migrants subsahariens, tentant d’échapper aux gendarmes, ont sauté d’un immeuble de 6 étages où ils travaillaient. Les deux malheureux se sont fracturés les jambes.

Le 23 octobre dernier, Amnesty International a fini par dénoncer les «arrestations arbitraires» et les expulsions massives «illégales» de migrants subsahariens. Selon l’ONG, il s’agit d’arrestations fondées sur un «profilage ethnique» et les forces de l’ordre ne cherchent pas «à savoir si les migrants séjournaient légalement ou non en Algérie». Elle assure que certains avaient des visas valides. Des expulsions qui enfreignent les normes internationales et la loi algérienne, souligne Amnesty International. Des rafles qui n’épargnent pas les mineurs.

Mais le gouvernement algérien n’en a cure. D’ailleurs, Benali Cherif, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, soulignait que ces opérations d’expulsion «s’intègrent dans le cadre d’une série de mesures prises par le gouvernement algérien en vue de renforcer la coopération avec des pays de l’Afrique subsaharienne, notamment le Niger et le Mali, à l’effet de juguler les flux migratoires irréguliers auxquels notre pays se trouve confronté». Quelle drôle de coopération! «Plus de 20.000 Nigériens ont été expulsés d’Algérie en 4 ans (…), c’est une préoccupation importante pour nous et nous l’avons fait savoir aux autorités algériennes afin de définir un cadre plus précis pour gérer cette immigration», a ainsi pesté le ministre nigérien des Affaires étrangères Ibrahim Yacoubou.

Le Niger a aussi protesté contre le fait qu’«Alger expulse des Nigérians Soudanais, Maliens et des ressortissants d’autres nationalités en situation irrégulière via le Niger».

Seul hic, au niveau de l’Union africaine, c’est pour le moment motus et bouche cousue. Alger dirige pourtant la commission la plus budgétivore de l’Union européenne, avec les 2/3 du budget de l’institution panafricaine. L'inamovible président de la Commission Paix et Sécurité, Smaïl Chergui, qui aime parler «soutien aux peuples opprimés», devrait rendre le tablier face à l’oppression de ses «frères» africains dans son propre pays. À moins que les migrants subsahariens ne soient trop pigmentés pour réveiller la moindre once d’humanisme chez lui. Si ce dernier n’arrive pas à assurer la paix et la sécurité des migrants dans son propre pays, comment le fera-t-il au niveau du continent? L’UA devrait réagir.

In fine, la politique raciste de l’Algérie envers les Noirs s’inscrit en faux contre les discours panafricanistes du régime algérien. Elle démontre une face hideuse de ce régime qui est tout sauf fraternel envers ses «frères» de l’Afrique subsaharienne.

Par Moussa Diop
Le 02/11/2017 à 12h10, mis à jour le 02/11/2017 à 12h59