Accablée par les ONG, Alger nie sa cruelle politique d'Etat contre les Subsahariens

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Le 24/05/2018 à 22h53, mis à jour le 25/05/2018 à 00h06

Le ministre algérien des Affaires étrangères tente de nier l'évidence face aux dénonciations par les ONG d'une politique d'Etat pourtant bien assumée dans les déclarations de haut responsables. Une longue liste de faits abjects contre les Subsahariens vient accabler le régime de Bouteflika.

Après les preuves accablantes fournies par les ONG de défenses des droits de l'homme qui ne cessent de condamner ses ignobles pratiques contre les migrants, Alger sort timidement de sa réserve. Dans un communiqué diffusé aujourd'hui, le ministre des Affaires étrangères prétend que son pays est victime de dénonciations injustifiées. "L’Algérie fait l’objet, depuis plusieurs semaines, d’une campagne malveillante orchestrée par certaines organisations non gouvernementales qui l’accusent à tort de faillir à ses obligations internationales en matière de solidarité, d’accueil et d’hospitalité à l’endroit de migrants subsahariens”, écrit-il dans ledit document. 

Pourtant, images à l'appui, les ONG n'ont fait que montrer une pratique ignoble, savamment élaborée au sommet de l'Etat, visant à procéder à des rafles régulières de migrants dans les grandes villes algériennes, avant de jeter des cargaisons entières de Subsahariens dans le désert. Ces fats sont étayés par des centaines voire des milliers de témoignages, mais aussi de vidéos amateurs de migrants. Concrètement, les camions remplis de migrants les jettent dans le désert non loin de Tamanrasset, avant que les forces algériennes ne les obligent à prendre le chemin en direction d'Agadez où ils sont recueillis par les ONG, après plusieurs jours de marche dans le désert.

Ces faits répétitifs avaient amené les autorités de Niamey à exiger que ne soient rapatriés vers le sol nigérien que les seuls ressortissants du pays. C'est Mohamed Bazzoum, le ministre de l'Intérieur nigérien, qui a fustigé, mercredi 21 février, ce comportement indigne et raciste de l'Etat algérien. 

Depuis que le ministre nigérien de l'Intérieur a tapé du poing sur la table, les moins chanceux sont jetés à la frontière malienne, une zone de conflit, sans structures d'accueil. Du coup, les migrants maliens n'avaient pas hésité à saccager l'ambassade d'Algérie à Bamako, le 13 mars 2018. Ce qui a poussé Alger à convoquer l'ambassadeur du Mali, le 16 mars. 

De même, pour protester contre le traitement inhumain réservé à ses compatriote, le président Alpha Condé a été le premier à prendre une décision lourde de sens. En effet, dès le 15 janvier 2018, la télévision nationale guinéenne annonce le rappel de l'ambassadeur guinéen à Alger. En Algérie, pour cacher les faits, on parle du départ à la retraite du diplomate. Toujours est-il que la présidence guinéenne n'a jamais démenti ce rappel et, à ce jour, le poste de chef de la mission diplomatique guinéenne est vacant à Alger. Ce qui en dit long sur le courroux de Condé envers Alger. 

Ce sont là des faits, montrant qu'au plus haut niveau des pays d'Afrique subsaharienne, les responsables ont compris que ces actes inhumains relevaient d'une politique d'Etat. Car c'est bien de cela qu'il s'agit. Et les dirigeants algériens ne se sont jamais gênés pour associer la parole à l'acte. Cela leur permettait, en tout temps, d'assumer ces rafles, expulsions et autres traitements que dénoncent sans cesses les ONG de défenses des droits de l'Homme. 

On est en décembre 2016 quand Farouk Ksentini, conseiller d'Abdelaziz Bouteflika en matière de droits de l'Homme, tient des propos haineux envers les migrants. Dans une interview à Essawt El Akher, un quotidien arabophone, il n'a pas hésité à sortir des petites phrases qui montraient déjà le manque d'estime du sommet de l'Etat algérien envers les pays africains. Il disait alors que "la présence des migrants et des réfugiés africains dans plusieurs localités du pays peut causer des problèmes aux Algériens". Ces derniers étaient ainsi exposés à "la propagation du sida ainsi que d’autres maladies sexuellement transmissibles". Il ajoutait que "cette maladie est répandue" parmi cette communauté, avant d'encourager les autorités à expulser les migrants africains, "pour arrêter cette catastrophe qui nous est imposée".

Quand un conseiller de Bouteflika en droit de l'homme s'épanche de la sorte, sans être sanctionné en retour, c'est que c'est assumé par le chef de l'Etat. 

Ensuite, on a eu droit à bien d'autres déclarations de personnes très haut placées du régime, contre les migrants, des paroles qui n'avaient qu'un seul but: légitimier une politique bien assumée. Ainsi, le 9 juillet 2017, Ahmed Ouyahia, alors directeur de cabinet d'Abdelaziz Bouteflika déclarait: "Ces étrangers en séjour irrégulier amènent le crime, la drogue et plusieurs autres fléaux", avant d’ironiser : «On ne dit pas aux autorités, jetez ces migrants à la mer ou au-delà des déserts". La mer ne sera par l'option de la solution finale, mais le désert s'y prêtait très bien aux yeux de l'Etat algérien. 

Evidemment, pour l'opinion publique algérienne, il s'agissait juste d'une directive venue de "très haut", qui autorisait ce qui se faisait.

Abdelkader Messahel a peut-être la mémoire courte, mais deux jours après la déclaration scandaleuse de Ouyahia, il apportait de l'eau au moulin de ce dernier. le 11 juillet, en appelant à des "mesures urgentes" face aux "flux de migrants subsahariens". 

Après cette série de sorties des hauts personnages de l'Etat, Ouyahia sera promu Premier ministre, alors que Messahel demeurera à son poste, puisque qu'il est l'interlocuteur qu'il faut pour assumer cette politique d'Etat en face de ses homologues africains. 

Et pendant qu'ils tenaient de tels propos, les Subsahariens dénonçaient avec des vidéos amateurs leurs conditions inhumaines. Dans une vidéo diffusée environ une semaine auparavant dans les réseaux sociaux, on pouvait entendre des migrants dire: "Nous sommes presque morts… Trois jours sans manger et à dormir à même le sol". Ce cri faisait visiblement sourire les autorités algériennes, puisque les actes similaires se sont poursuivis sans qu'elles ne lèvent le petit doigt. 

Ainsi en décembre dernier, les réseaux sociaux n'ont pas caché leur indignation face à une vidéo montrant des soldats algériens humiliant et torturant des migrants. 

C'est le cas, par exemple, quand la direction des transports a interdit aux autocars et aux taxis de transport interurbain de prendre à leur bord des migrants clandestins, ce qui était synonyme de bannissement des Subsahariens. Le 28 septembre 2017, devant l'indignation suscitée par une telle décision, la direction des transports de Mostaghnem a présenté ses excuses. C'était pour que quelques jours plus tard, le 9 octobre, selon RFI, une rafle pousse des migrants à sauter du haut d'un immeuble de 6 étages pour échapper aux gendarmes. 

D'autres épisodes plus cruels ont été rapportés par les ONG de défense des droits de l'homme, comme en avril dernier, quand à Oran, dans le quartier des Amandiers, les femmes subsahariennes étaient systématiquement violées par des hommes armées de sabres et accompagnés de chiens dressés. 

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 24/05/2018 à 22h53, mis à jour le 25/05/2018 à 00h06