Audio. Algérie. Fuite d'un enregistrement de Ouyahia: les graves aveux sur l'échec du pays

L'ancien Premier ministre algérien Ahmed Ouyahia.

L'ancien Premier ministre algérien Ahmed Ouyahia.. DR

Le 08/08/2019 à 12h12, mis à jour le 08/08/2019 à 12h14

Un enregistrement d'Ahmed Ouyahia, datant d'avant le 22 février dernier, a fuité dans les réseaux sociaux algériens. Celui qui était encore Premier ministre y tient des propos graves. Il y décrit un truquage permanent des élections et un pays gangrené par la corruption et l'argent sale.

C'est l'information qui défraie la chronique en Algérie. Un enregistrement vocal d’Ahmed Ouyahia, l'ex-Premier ministre, d'une durée de près d'une vingtaine de minutes a été diffusé à travers les réseaux sociaux. Il y tient de très graves propos en évoquant tous les maux de l'Algérie actuelle, les raisons de la pauvreté et de la faillite du pays.

Visiblement, l'enregistrement a été fait avant le 22 février, c'est-à-dire avant le déclenchement des manifestations populaires actuelles et avant que son auteur ne soit placé en détention, puisqu'on y entend le leader du Rassemblement national démocratique (RND) prédire la fin de la corruption systématique dans quelques années et avoir élections locales transparentes comme en France ou en Tunisie.

Il s'agirait également de propos tenus pendant une réunion entre les cadres du RND pour débattre de questions politiques diverses. Il commence par accuser ses alliés du FLN, ce qui n'est pas nouveau en soit, puisque tout en continuant à manger à la même table, il les a continuellement tenus pour responsables de certaines dérives.

"Ils (Le FLN et ses responsables) ont pris le pays et nous ont laissé le nationalisme. Je leur dis que c’est ce nationalisme qui a fait qu’il y a un pays à partager par ce groupe. Depuis trois mandats électoraux, lors des communales, des législatives et des sénatoriales, ils ramènent l’argent du FLN chez Tliba (Baha Eddine Tliba, député FLN, Ndlr) et d’autres. Certains ont été déplumés", dit-il.

Mais, selon lui, ce système de corruption ne pouvait plus durer compte tenu de la pression que les autres formations politiques exercent sur le gouvernement pour la mise en place d'une Commission électorale nationale indépendante.

"Je vais faire un peu de prospective politique. Inévitablement, cela ne durera pas. Dans quelques années, nous irons inévitablement vers des élections plus transparentes. Tous les partis demandent une instance indépendante pour l’organisation des élections. Dans moins de dix ans, nous aurons des élections comme celles qui se font en France et en Tunisie".

Au-delà de la sphère politique, Ouyahia reconnaît que l'Algérie tout entière a "coulé culturellement et socialement". Selon lui, "l’illicite et l’argent ont envahi toute la société".

Il enchaine sur une série d'interrogations qui sonnent comme un autre aveu. "Pourquoi l’Algérie est un pays pauvre? Qui paye ses impôts, son loyer?". Et d'ajouter: "Même le ministre du Travail a dit aux jeunes de l’ANSEJ (Agence nationale de soutien à l'emploi des jeunes, Ndlr) qui n’ont pas remboursé (leurs crédits) qu’ils ne seront pas poursuivis".

Pire encore, en Algérie, selon Ahmed Ouyahia, tout s'achète désormais, y compris "la réussite à l'école primaire qui passe par les cours privés". "Même la sphère de l’investissement a perdu toute moralité", déplore-t-il

Mais, cet enregistrement, sorti à un moment critique de l'avenir politique du pays, est complètement à charge contre le FLN, allié historique du RND qu'il tient pour entièrement responsable du désastre algérien.

Selon lui, si les chars sont sortis en 1965, c'est parce que dès le début, le FLN n'a pas fonctionné comme "un vrai parti". "Dès l’indépendance, ils étaient atteints par la maladie du zaîmisme et du totalitarisme. En 1979, ils en ont fait un parti-Etat".

"Sans la chute des prix du pétrole (en 1986) on serait toujours sous la domination du parti unique et Chadli serait toujours président si Dieu lui avait prêté longue vie", constate-t-il.

Concernant la situation économique, Ahmed Ouyahia estime que l'Algérie est littéralement "en faillite", et qu'elle "vit grâce aux réserves effectuées par le président Bouteflika", lesquelles s’épuiseront "dans trois ou quatre ans".

Hier, mercredi 7 août, Azzedine Mihoubi, secrétaire général du RND, a confirmé l’authenticité de l’enregistrement vocal de son prédécesseur. Il estime même qu'il n'y a rien de nouveau, puisque Ouyahia a déjà tenu de tels propos à plusieurs reprises.

Par Djamel Boutebour
Le 08/08/2019 à 12h12, mis à jour le 08/08/2019 à 12h14