Assise sur le canapé de son petit salon, Princesse Elizabeth Olowu, 77 ans, frotte ses sculptures en bronze avec un citron pour les faire briller, pendant que sa fille aînée, Peju Layiwola, 49 ans, montre ses dernières installations d'art contemporain sur l'écran de son Mac Book Pro. "Maintenant, j'expérimente d'autres matériaux, mais j'ai commencé ma carrière avec des sculptures en bronze", explique l'artiste. "C'était plus facile, car ma mère avait déjà tracé le chemin pour faire accepter qu'une femme devienne fondeur".
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L'art du bronze a fait la réputation et la richesse du royaume du Benin, royaume vieux de près de 1.000 ans dans le sud du Nigeria et qui a donné son nom au pays limitrophe (ex-Dahomey francophone). A l'époque, seuls les rois pouvaient posséder ces sculptures représentant tantôt des léopards tantôt les bustes des rois passés. Le commerce lucratif avec les marchands portugais s'est interrompu avec "l'invasion de la couronne britannique", tel que l'on nomme ici la colonisation anglaise, mais la tradition est restée. La vieille dame vit désormais dans une maison défraîchie de Benin City, et rien ne peut laisser imaginer son enfance royale, hormis les larges photographies poussiéreuses d'une jeune fille portant des coiffes somptueuses décorées de perles.
Des sculptures partout dans le palais
Fille du roi Akenzua II, qui a régné entre 1933 et 1978, la princesse a grandi dans les fastes du palais avec les huit femmes de son père et ses "nombreux, nombreux" enfants. "Quand j'étais petite, je voyais les sculptures partout dans le palais, il y avait des sanctuaires pour célébrer les ancêtres, des groupes de danseurs, de chanteurs", se souvient la princesse. "J'ai commencé à modeler des figures en terre cuite, puis j'ai voulu faire fondre du bronze. C'était très tabou pour une femme, mais mon père savait que j'étais une aventurière, il m'a donné son feu vert".
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A Benin City, la croyance populaire veut que si une femme entre dans une fonderie, "particulièrement pendant ses menstruations", elle causera un accident dans les semaines suivantes. "On dit aussi que si elle est enceinte, son enfant se transformera en bronze et ne sortira jamais de son ventre", explique Mme Olowu, bien droite sur son canapé.
Mais Akenzua II était un homme en avance sur son temps et a toujours encouragé l'éducation de tous ses enfants, particulièrement de ses filles. Soutenue par son père, puis par son mari, Elizabeth Olowu s'est rapidement fait un nom à travers le sud du Nigeria, comme la 'première femme fondeur de bronze' du pays. Ses oeuvres représentent exclusivement des femmes, enceintes ou entourées d'enfants, toujours nues et d'une grande sensualité.
La nudité ne fait pas polémique dans le royaume du Bénin. Les princes et les princesses étaient traditionnellement vêtus d'un simple drapé blanc, souvent torses nus, décorés de longs colliers en perles de corail.
Art ancestral du royaume
"Oui, je suis féministe", confie Elizabeth Olowu. "J'ai travaillé enceinte, toujours. Évoluer dans un monde d'hommes ne m'a pas empêché d'être une femme et de mettre au monde huit enfants". Sa fille, Peju Layiwola, sourit. Pour elle, le féminisme se définit davantage par le droit des femmes.
Elle aussi a fondu le bronze, en représentant des corps de femmes, aux lignes plus épurées et modernes. Mais l'artiste contemporaine, qui a exposé à Dresde en Allemagne, ou à Madrid et qui a sa propre fondation d'art à Lagos, la capitale économique nigériane, se concentre désormais sur le travail du métal ou des tissus.
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Doctorante en histoire de l'art à l'université de Lagos, tantôt professeur ou conservatrice de musées nationaux, elle reste fidèle à l'art du royaume de ses ancêtres, et s'est battue pour que des bronzes volés au temps de la colonisation britannique soient restitués au Nigeria.
L'une de ses dernières pièces est un grand pan mural en métal sculpté. Dans cette oeuvre, "j'ai essayé de mélanger la mythologie grecque avec la mythologie yoruba (ethnie du Sud-est du Nigeria)", explique Peju Layiwola en faisant défiler les photos sur son ordinateur. "Leur Zeus est Oludumare en équivalent yoruba. La figure de la sirène aussi a une signification similaire", énumère-t-elle.
La princesse Olowu, pendant ce temps, dépoussière toujours ses sculptures pour leur redonner leur éclat d'antan. Sa fille chuchote: "Elle est très proche de ses oeuvres. Mais j'ai arrêté de me battre pour qu'elle les mette en vente".