Entre la force offensive française Barkane avec ses 5.100 hommes, la force conjointe du G5 Sahel avec ses 5.000 soldats et la mission des Nations unies, Minusma qui compte 12.000 Casques bleus, soit au total plus de 22.000 forces de défenses et de sécurité, le Nord malien peine à trouver la paix. C'est le constat que dresse Nicols Normand dans une tribune publiée hier jeudi 9 juillet 2020 dans le quotidien français Le Monde.
Sa conclusion est sans appel: c'est la faute de l'accord d'Alger, qui n'a apporté ni paix ni réconciliation, contrairement à ce que laisser entendre son intitulé. Au contraire, "la situation n’a cessé d’empirer, l’insécurité s’étant même étendue à de nouveaux territoires".
Selon lui, "il y a de quoi s’interroger sur les remèdes apportés". "Pourquoi l’accord de 2015, toujours en cours d’application, n’a-t-il pas ramené «la paix et la réconciliation au Mali», comme le promettait son intitulé? Est-ce le résultat d’une inadéquation profonde entre les méthodes militaires et l’aide apportée? La gouvernance locale est-elle en cause? Ou est-ce l’accord lui-même qui pose problème?".
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Mais, au lieu de se poser les bonnes questions, la France et l'ONU jettent la pierre à Bamako accusée d'être nonchalante dans l'application de l'accord d'Alger signé il y a cinq ans.
Néanmoins, Nicolas Normand, dans une analyse pertinente, démontre qu' "il devient de plus en plus évident, que l’accord crée plus de problèmes qu’il n’en a réglés".
Il y a d'abord ce qu'il appelle "le syndicalisme de la kalachnikov" né de l'aberration selon laquelle "les groupes armés signataires, placés au même niveau que le gouvernement, bénéficient d’une impunité totale, malgré leur rébellion et les exactions commises".
Or, les parrains d'un tel accord ont oublié que des milliers de personnes attendaient des réparations, ou mieux, que justice soit rendue. Ainsi, "les autres factions touaregs restées loyales à l’Etat malien et les communautés non touareg (ont été poussées) à se venger, en se faisant justice elles-mêmes".
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En plus d'avoir ignoré cette impérieuse nécessité de rendre justice, l'accord d'Alger a aussi conféré d'incroyables avantages aux anciens rebelles, notamment la promesse d'intégrer la fonction publique, leur nomination à des postes de dirigeants ou encore la possibilité de rejoindre les rangs de l'armée. C'est ce que Nicolas Normand appelle le "syndicalisme de la kalachnikov" et qui ne pouvait qu'irriter au plus haut point les ethnies majoritaires que sont les Peuls et les Songhaï qui ne tarderont pas, eux non plus, à prendre les armes, d'une façon ou d'une autre.
De plus, au lieu d'exiger un désarmement immédiat des groupes armés, on les a laissés garder ce qui était pour eux un moyen de continuer à tordre la main de l'Etat malien dans un "interminable marchandage".
Ceci "a favorisé l’apparition, au nom de l’autodéfense, de nombreuses milices tribales ou ethniques, en plus des milices touareg. Certaines se sont rapprochées des djihadistes pour se procurer des armes, d’autres simplement pour se protéger et parce que des raisons de solidarité communautaire pèsent plus que la distinction occidentale «laïcs-djihadistes»".
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Par ailleurs, on parle souvent de rébellion touareg, mais en réalité il s'agit d'une rébellion des nobles Ifoghas qui ont vu leur pouvoir féodal diminuer progressivement face aux "Touareg tributaires, les Imghads" à cause justement de la démocratisation du Mali. C'est pourquoi en 2012, ces nobles Ifoghas qui ont vu leurs privilèges féodaux disparaître progressivement ont voulu rétablir l'ordre traditionnel en prenant les armes.
Pendant ce temps, les Imghads majoritaires sont restés fidèles à Bamako et ont même formé leur propre groupe armé. Ainsi, Nicolas Normand estime que "le compromis de 2015 a accordé des faveurs majeures aux leaders de groupes rebelles dont la seule légitimité est la détention d’armes".
Il n'hésite par à partager l'avis de l’ancien premier ministre du Mali, Moussa Mara, selon lequel "l’une des conséquences de ces faveurs s’illustre dans l’exclusion de fait des autres composantes des sociétés civiles du nord et l’acceptation de la caporalisation de celles-ci par les groupes armés. On encourage ainsi la détention d’armes comme seul critère de représentativité… Nous avons progressivement mis les cinq régions du nord sous la coupe des groupes armés. Ceux-ci parviennent ainsi à obtenir pacifiquement ce qu’ils n’ont pu conquérir par la force".
Evidemment, il y a aussi l'erreur commise par la France et qui est aujourd'hui à l'origine d'un grand sentiment anti-français au Mali. Car, "l’opération Serval, qui cherchait des alliés sur le terrain en 2013 pour combattre les djihadistes, s’est appuyée sur la milice des Ifoghas". Or, ce sont justement ces Ifoghas qui ont toujours cherché à tordre la main à Bamako pour des privilèges, voire pour l'indépendance pure et simple.
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"En soutenant ainsi les séparatistes armés et en leur offrant même la ville de Kidal, au grand dam de Bamako, les Français ont commis une erreur lourde de conséquences et suscité l’indignation des populations maliennes qui suspecte désormais Paris de favoriser la partition du Mali. L’occasion a été manquée par la France en 2013 de désarmer ou de neutraliser tous les groupes armés sans distinction pour faire respecter le monopole de la force par un Etat démocratique. Il aurait alors fallu aussi traiter les doléances spécifiques des Ifoghas (leur reconnaître certains privilèges) ainsi que les droits du «tiers Etat», c’est-à-dire des Imghads et des anciens esclaves Bella", souligne l'ancien ambassadeur français.
En plus de toutes ces erreurs, l'accord d'Alger a voulu écarter les islamistes qui n'avaient pourtant pas autant de pouvoir de nuisance à l'époque qu'actuellement. Cette marginalisation sera également lourde de conséquences.
"Il aurait pourtant fallu traiter le cas particulier d’Iyad Ag-Ghali, qui n’était pas encore le chef terroriste irrécupérable qu’il est devenu. Il était naïf d’ignorer son pouvoir chez les Ifoghas, dont le groupe dominant est devenu le Haut Conseil de l’unité de l’Azawad (HCUA), islamiste, sorte de branche politique de l’ancien mouvement terroriste Ansar Eddine d’Iyad", souligne l'auteur de la tribune.
Aujourd'hui, le peuple malien paie cher toutes ces erreurs d'Alger, de Bamako et de Paris qui ont créé une situation où "personne n’a réellement intérêt à l’application complète de l’accord d’Alger".
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Selon Nicolas Normand, "les groupes armés n’ont rien à gagner à un désarmement et à des élections libres qui entérineraient leur disparition comme minoritaires armés. Quant aux autorités maliennes, elles ont au moins quatre raisons de laisser traîner: l’impopularité d’un compromis qui accorde des avantages indus aux milices, le cessez-le-feu déjà obtenu vis-à-vis de l’armée nationale, l’objection de l’armée professionnelle à intégrer les ex-rebelles qu’elle considère comme des traîtres et enfin la reconnaissance d’une partition du pays".
Il faut enterrer au plus vite cet accord qui a mis fin à l'Etat dans cette partie du Mali. Pour aller vers une nouvelle solution politique, il faudra associer les "diverses composantes de la nation malienne, sans pression extérieure d’acteurs bien intentionnés, mais ignorant la complexité locale".
* Nicolas Normand, ministre plénipotentiaire honoraire, ancien ambassadeur de France au Mali, au Congo et au Sénégal, auteur du Grand Livre de l’Afrique, Eyrolles, 2019