Covid-19. Accès aux vaccins: seulement deux pays africains véritablement dans la course

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Le 14/11/2020 à 09h55, mis à jour le 14/11/2020 à 10h19

La course est lancée pour l’accès aux vaccins anti-Covid-19. Toutefois, en Afrique, seuls deux pays se sont véritablement positionnés auprès des laboratoires pour l’achat de ces doses. Les autres comptent sur l’OMS et le programme Covax. Décryptage.

La course à l’accès aux candidats vaccins contre le Covid-19 est rude. Chaque fois qu’une annonce est faite, les pays riches réservent leur part du gâteau en passant des accords bilatéraux avec le laboratoire concerné, afin d’être parmi les premiers servis. Une course qui tend à écarter d’office de nombreux pays en développement, notamment africains, qui n’ont pas les moyens de rivaliser avec ces grandes puissances. A titre d’illustration, juste après l’annonce par le laboratoire Pfizer et BioNTech d’un vaccin efficace à 90%, l’Union européenne a annoncé sa volonté d’acquérir 300 millions de doses, après que les Etats-Unis aient sécurisé 100 millions de doses. 

Du coup, rares sont les pays africains qui semblent accorder un intérêt à l’accès au vaccin qui est pourtant crucial. D’autant que la vaccination semble être le moyen le plus sûr d’immuniser la population, de stopper la propagation du virus et de relancer durablement les économies.

Pourtant, selon Cyril Ramaphosa, président sud-africain et président en exercice de l’Union africaine, «l’Afrique aura besoin d’environ 12 milliards de dollars et 750 millions de doses d’un vaccin efficace». En sa qualité de président de l’Union africaine, il a créé une équipe africaine spéciale pour diriger l’effort d’acquisition de vaccins anti-Covid-19.

Quelques rares pays africains se sont toutefois lancés dans la mêlée avec les grandes puissances de ce monde pour acquérir des vaccins en cours d’élaboration par les firmes pharmaceutiques. Deux pays en particulier se sont distingués.

Il s’agit notamment du Maroc, second pays le plus touché par la pandémie de Covid-19 en Afrique avec 256.781 cas officiels, pour 209.801 guérisons et 4 .272 décès, qui s’est positionné dans la course aux côtés des Etats-Unis, de l’Union européenne, du Royaume-Uni, du Japon, du Brésil, etc.

Le laboratoire chinois a promis 10 millions de doses au Maroc, avant la fin de l’année, voire davantage en 2021. Certaines sources avancent qu’une première commande de 5 millions de doses devrait parvenir au Maroc dans les prochains jours. Le Maroc a également commandé 17 millions de doses auprès du laboratoire Astra-Zeneca, avec 3 millions supplémentaires en option.

Mieux, le Maroc a conclu en août dernier deux accords de coopération avec Sinopharm, sixième plus grand fabricant de vaccins au monde, à travers sa filiale CNBG. Outre la coopération en matière d’essais cliniques de phase 3 du vaccin anti-Covid-19, les deux parties ont signé un accord de coopération globale devant permettre au Royaume de fabriquer lui-même le vaccin pour ses propres besoins et d’exporter le reste vers le continent africain.

Et le Royaume est très en avance dans sa stratégie de vaccination. D’ailleurs, le roi Mohammed VI a donné, lundi 9 novembre, ses instructions en vue du lancement, dans les prochaines semaines, d’une opération massive de vaccination contre le Covid-19. L’opération, d’envergure inédite, devrait concerner près de 24 millions de Marocains entre novembre 2020 et avril 2021.

Cette décision a été prise après que les résultats des études cliniques, déjà achevées ou toujours en cours, ont prouvé la sécurité, l’efficacité et l’immunogénicité du vaccin chinois Sinopharm. Quelques 600 «beta-testers» marocains ont d’ailleurs pris part à l’essai vaccinal du chinois Sinopharm en phase 3 en août dernier au CHU Ibn Rochd de Casablanca et au CHU Avincenne de Rabat. La fin de la 3e phase de test de ce vaccin est prévue pour le 15 novembre.

En se positionnant parmi les premiers et les grandes puissances mondiales, le Maroc commande les vaccins au prix fort. Mais ne dit-on pas que la santé n’a pas de prix. En plus, en vaccinant sa population rapidement, le pays compte sur une immunité qui permettra de relancer l’économie marocaine.

Outre le Maroc, l’Egypte s’est engagée très tôt pour acquérir des vaccins et des médicaments contre le Covid-19. L’Autorité égyptienne des médicaments a rapidement signé un accord avec le géant pharmaceutique anglo-suédois AstraZeneca pour accéder au vaccin de l’université d’Oxford.

Selon la ministre égyptienne de la Santé Hala Zayed, l’Egypte a réservé suffisamment de candidats vaccins produits par la société pharmaceutique américaine Pfizer pour couvrir 20% de ses besoins. De même, l’Egypte, en accord avec l’université d’Oxford au Royaume-Uni, s’emploie à produire le vaccin que développe celle-ci avec l’objectif de couvrir 30% des besoins du pays.

L’Egypte a également participé aux essais cliniques du vaccin du chinois Sinopharm. Outre la mise à disposition de millions de doses du vaccin, la holding Vacsera d’Egypte a signé une convention pour la production du vaccin en Egypte, de concert avec le gouvernement chinois. L’objectif est d’assurer sa propre production et celle des pays africains, sachant que l’entreprise égyptienne sera l’un des centres de production du vaccin sur le continent africain.

Dans cette optique, en juin dernier, les égyptiens Eva Pharma et Rameda Pharmaceutical avaient annoncé avoir obtenu l’autorisation de l’américain Gilead Sciences pour produire l’antiviral Remdesivir, ainsi que l’antiviral japonais Favipiravir (sous la marqué Avigan) pour les marchés du Moyen-Orient et d’Afrique.

De même, fin septembre dernier, le Fonds souverain russe (RDIF) a signé un accord avec l’entreprise égyptienne Pharco pour fournir 25 millions de doses du Sputnik V, son vaccin en développement contre le Covid-19.

Bref, l’Egypte a sécurisé ses approvisionnements en vaccin contre le Covid-19 en diversifiant les sources de provisionnement et surtout en s’assurant auprès d’un certain nombre de laboratoires la possibilité de fabriquer localement les vaccins.

Le Maroc et l’Egypte sont ainsi les seuls pays africains à s’engager à fond dans l’acquisition et la fabrication des vaccins candidats contre le Covid-19. Chose étonnante, l’Afrique du Sud, seconde puissance économique du continent, ne s’est positionnée sur aucun vaccin candidat. Pire, le pays le plus touché par la pandémie du Covid-19 avec 737.278 cas officiels dont 679.688 guéris et 19.809 décès, a laissé passer la première date limite pour s’engager dans le mécanisme de financement Covax, coordonné par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Le porte-parole du ministre de la Santé Popo Maja a confirmé que l’Afrique du Sud n’avait conclu aucun accord sur les vaccins, mais que des négociations supplémentaires avec les fabricants et Covax étaient en cours.

Toutefois, l’entreprise sud-africaine Aspen Pharmacare a signé avec la firme pharmaceutique Johnson & Johnson un accord préliminaire pour la fabrication de son candidat-vaccin, selon le président Cyril Ramaphosa. L’entreprise dispose d’une capacité de fabrication de 300 millions de doses de ce vaccin dans son unité située dans la province du Cap Oriental.

Le pays a aussi accepté qu’un certain nombre de tests soient effectués par des laboratoires pharmaceutiques chez lui. Ainsi, après le vaccin de l’université d’Oxford, Pfizer avait aussi sélectionné l’Afrique du Sud, aux côtés des Etats-Unis, de l’Allemagne, du Brésil, de la Turquie et de l’Argentine, pour les essais de son vaccin pour lequel il a obtenu une protection de 90%.

Selon les autorités sud-africaines, le but de ses essais cliniques en Afrique du Sud est de vérifier l’efficacité de ces vaccins en Afrique sachant que ceux-ci n’agissent pas de la même manière sur les différentes populations.

Concernant la Tunisie, selon le ministre de la Santé, Faouzi Mehdi, il faudra attendre plusieurs mois pour espérer disposer d’un vaccin. Il estime que l’arrivée du vaccin en Tunisie se fera en mai ou juin 2021. Pour rassurer les Tunisiens, il a souligné que la Tunisie a été inscrite parmi les 10 pays bénéficiaires de l’appui accordé par la Banque mondiale aux pays en développement, pour financer l’achat et la distribution de vaccins, de tests et de traitements contre le Covid-19. Ce programme garantit au moins 3 millions de doses gratuites à la Tunisie. A ce titre, la Tunisie devrait s’assurer 250 000 doses de vaccin, au départ, sachant qu’il faudra deux doses espacées de 21 jours pour la plupart des vaccins en cours de développement.

Les besoins de la Tunisie en vaccins devraient concerner 20% des Tunisiens et ce pourcentage pourrait atteindre 40%, selon les situations financières et épidémiologiques dans le pays, selon Hechmi Louzir, directeur de l’Institut Pasteur de Tunis. Lors d’une intervention sur Mosaïque FM, il a expliqué qu’en cas de disponibilité du vaccin, celui-ci serait distribué en priorité aux personnes les plus vulnérables sur un plan sanitaire (personnes atteintes de maladies chroniques et les personnes âgées), à ceux qui sont le plus exposés au virus (personnel de santé, les forces de sécurités), et aux hauts responsables de l’Etat.

A l’instar de l’Afrique du Sud et de la Tunisie, l’Algérie n’a pas pris d’option sur les candidats-vaccins. Face aux critiques sur le non-positionnement du pays dans ce domaine, le ministre de la Santé Abderrahmane Benbouzid a déclaré que «dès sa commercialisation, l’Algérie acquerra le vaccin pour protéger ses citoyens, quel que soit son prix».

En attendant, les autorités ont recouru à la solution la plus facile en intégrant le groupe Covax –Covid-19 Vaccine Global Access (Accès mondial au vaccin contre le Covid-19) de l’OMS et de l’Alliance pour les Vaccins (GAVI).

Au Sénégal, après l’annonce de la découverte du vaccin russe, les autorités ont préféré jouer la carte de la prudence. Le directeur de la Prévention et porte-parole du ministère de la Santé, Dr Mamadou Ndiaye, a annoncé que «le Sénégal n’est pas encore dans les dispositions de précommander le vaccin russe», expliquant : «notre pays attend un avis formel de l’OMS et celui documenté des services et experts sénégalais mandatés pour se prononcer sur une éventuelle commande».

Bref, actuellement, deux pays africains seulement sont fortement engagés dans la course pour l’acquisition de vaccins en cours de développement, à savoir le Maroc et l’Egypte.

Plusieurs explications sont avancées. D’abord, pour de nombreux pays africain, le Covid-19 n’est pas une priorité sanitaire. En effet, l’Afrique est le continent le moins affecté par la pandémie. Le continent compte 1,9 million de personnes affectées, dont 1,6 million de guérisons et seulement 25.500 décès. La pandémie fait beaucoup moins de victimes que le paludisme et d’autres maladies avec un taux de létalité de 2,4%. Et dans de nombreux pays du continent, les nouvelles infections sont en chute libre.

Ensuite, il y a le coût élevé des candidats-vaccins. En effet, pour le vaccin chinois de Sinopharm, administré actuellement à la population chinoise, la dose coûterait 50 euros. Sachant que deux doses sont nécessaires, il faudra débloquer 100 euros pour garantir l’immunité d’une personne. Du coup, les autorités ne pensent pas à acquérir des vaccins coûteux avec leurs faibles ressources, surtout qu’il faudra atteindre une couverture vaccinale de 60 à 70% de la population pour assurer une immunité collective suffisante. A titre d’exemple, si le Nigeria souhaitait immuniser la moitié de sa population avec le vaccin chinois, au coût de 100 euros par personne, il lui faudrait débloquer 6 milliards d’euros. De quoi donner à réfléchir.

En outre, beaucoup de pays africains espèrent bénéficier de vaccins gratuits. A ce titre, l’OMS avait envoyé une lettre à ses 194 pays membres, les enjoignant à adhérer d’ici au 31 août à son dispositif baptisé Covax –Covid-19 Vaccine Global Access. Plusieurs pays ont adhéré à ce programme mis en place avec l’Alliance pour les Vaccins (GAVI), une coalition qui milite pour que tous les vaccins, traitements et tests soient libres de monopoles, produits en masse, distribués équitablement et mis gratuitement à la disposition de la population dans tous les pays. L’Union européenne a apporté une contribution de 400 millions d’euros en faveur du mécanisme.

Selon le directeur de l’Institut Pasteur de Tunis, Hichem Louzir, les vaccins contre le Covid-19 obtenus dans le cadre du programme Covax seront vendus à des prix abordables, à savoir autour de 10 dinars tunisiens, soit environ 3 euros.

A côté du programme de l’OMS et d’autres initiatives, la Chine a aussi annoncé qu’elle mettrait gratuitement à la disposition de l’Afrique une quantité importante de sa production vaccinale.

Par ailleurs, l’utilisation de certains vaccins risque d’être impossible en Afrique. C’est le cas du vaccin développé par Pfizer et son partenaire BioNTech dont l’efficacité pourrait atteindre 90%. Le problème est que ce vaccin nécessite des défis logistiques importants que de nombreux pays africains ne peuvent mettre en place. En effet, le vaccin doit être conservé dans un entrepôt ultra-froid à une température de moins 80°C. Face à cette situation, Pfizer, selon Stat News, travaille à l’amélioration des exigences de la chaîne du froid de son vaccin pour les ramener entre 2 et 8°C.

En attendant de disposer des vaccins, l’OMS recommande aux Etats de vacciner en priorité le personnel soignant, les premiers décideurs politiques, les forces de l’ordre, les personnes âgées et les personnes atteintes de maladies chroniques. Les moins de 18 ans seront exclus des campagnes de vaccination pour 2020 et 2021.

Selon l’OMS, 198 candidats vaccins sont dans la course, 42 sont en phase d’essais cliniques, mais seuls 10 ont entamé la phase 3, la dernière, qui vise à tester l’efficacité et la tolérance sur au moins 20.000 personnes. Il s’agit des candidats vaccins développés par Novavax (Etats-Unis), Moderna Therapeutix (Etats-Unis), AstraZeneca (Anglo-suédois), Sputnik V (Russie), Janssen Pharmaceutica (Belgique), Sonivac (Chine), Sinopharm (Chine), CanSino (Chine) et Pfizer-BioNTech (Etats-Unis-Allemagne).

Si le vaccin est homologué par l’OMS à la suite de cette étape, le laboratoire obtiendra une AMM (Autorisation de mise sur le marché), sous forme d’autorisation d’urgence. En attendant, tous les laboratoires ont conclu des accords pour assurer la production des doses dans des délais serrés avec l’objectif de fabriquer et de commercialiser un vaccin contre le Covid-19 au plus tard début 2021.

Tout semble indiquer que les premiers vaccins seront disponibles d’ici début 2021 après les résultats concluants d’un certain nombre d’entre eux. Si celui du laboratoire Pfizer et BioNTech est jugé efficace à 90%, selon ses concepteurs, la Russie a annoncé le vendredi 13 novembre que son vaccin Sputnik-V actuellement en phase 3 était efficace à 92%.

Pour sa part, Sinopharm, le groupe pharmaceutique chinois, a annoncé le 11 novembre que les données obtenues à la suite d’essais cliniques réalisés à grande échelle et à un stade avancé pour son vaccin contre le Covid-19 étaient «meilleures que prévu». Le vaccin a été testé sur près d’un million de personnes à travers le monde, notamment en Chine, au Brésil, en Egypte, en Argentine et aux Emirats arabes unis. 

Par Moussa Diop
Le 14/11/2020 à 09h55, mis à jour le 14/11/2020 à 10h19