Financement des infrastructures en Afrique: le PPP comme alternative après le Covid-19

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Le 21/09/2020 à 15h26, mis à jour le 22/09/2020 à 16h20

L’Afrique a besoin de 170 milliards de dollars par an d’ici 2025 pour réduire son déficit en infrastructures. Toutefois, avec le Covid-19, les finances publiques sont asséchées et les dettes explosent. Du coup, le Partenariat public privé (PPP) est perçu comme une alternative crédible. Décryptage.

L’Afrique est de loin le continent le moins pourvu en infrastructures de base (routes, autoroutes, ports, aéroports, barrages, chemins de fer, centrales électriques, etc.). Et ce, malgré les importantes réalisations infrastructurelles enregistrées dans plusieurs pays au cours de ces dernières décennies, notamment au Maroc, en Ethiopie, en Côte d’Ivoire, au Rwanda, en Egypte et au Ghana. 

Selon les estimations des institutions financières et de développement, le continent devrait investir en moyenne 170 milliards de dollars par an, d’ici 2025, pour rattraper son retard. Seulement, selon la Banque africaine de développement (BAD), le continent présente des manques de financement pouvant aller de 68 à 108 milliards de dollars par an.

Au cours des dernières années, de nombreux pays ont lancé des projets structurants en recourant à l’endettement, mais la pandémie du coronavirus risque de constituer un véritable frein au développement de ces programmes. Notamment dans les pays particulièrement affectés par les impacts de la crise sanitaire, à commencer par ceux dont l'économie dépend du pétrole et des mines.

En effet, les finances publiques de tous les Etats africains ont été mises à rude épreuve, avec un creusement des déficits budgétaires lié au recours à l’endettement auprès des institutions financières que sont le Fonds monétaire international, la Banque Mondiale et la Banque africaine de développement. 

A titre d’illustration, les premières puissances économiques du continent –Nigeria, Afrique du Sud et Egypte- ont obtenu du FMI un montant cumulé de 13 milliards de dollars -5,2 milliards de dollars pour l’Egypte, 4,3 milliards de dollars pour l’Afrique du Sud et 3,4 milliards de dollars pour le Nigeria.

Conséquence, à l’amenuisement des ressources des finances publiques africaines, à cause de la crise qui a frappé de plein fouet les entreprises et réduit fortement les recettes fiscales, vient se greffer un lourd endettement qui réduit encore la soutenabilité de la dette.

Or, de nombreux projets d’infrastructures du continent ayant été financés par le recours à l’endettement, il urge pour de nombreux pays africains de trouver des solutions de financement alternatifs.

Et le développement du Partenariat public-privé (PPP) semble être la voie la plus indiquée au regard des multiples avantages et de la souplesse qu’il offre.

Qu'est-ce que le PPP?

Le contrat PPP est un contrat de longue durée (variant de 20 à 30 ans et pouvant aller exceptionnellement jusqu’à 50 ans, en fonction de la complexité du projet) à travers lequel la personne publique (Etat, établissements publics et entreprises publiques) confie à un partenaire privé la responsabilité de réaliser une mission globale de conception, de construction, de financement de tout ou partie, de maintenance ou de réhabilitation et d’exploitation d’un ouvrage ou infrastructure nécessaire à la fourniture d’un service public.

Le partenaire privé, à la fois maître d’œuvre et maître d’ouvrage, est rémunéré en contrepartie par l’autorité publique durant toute la durée du contrat, et est responsable des risques liés à ses responsabilités (conception, construction, financement) alors que le partenaire public prend généralement à sa charge les risques d’ordre règlementaire et politique.

Le recours aux PPP permet aux Etats de consacrer les financements destinés à la réalisation d’une infrastructure à d’autres projets ou à réduire le déficit budgétaire en faisant financer le projet par le privé. Il permet également aux Etats d’éviter d’accroître leur endettement dans la mesure où c'est essentiellement au partenaire privé qu’incombe le financement de l’infrastructure.

En outre, avec les PPP, les Etats dégagent un rapport qualité/prix à long terme grâce à un transfert de risques vers le secteur privé tout au long du projet.

Les PPP permettent d’introduire la technologie et l’innovation du secteur privé dans les projets, ce qui induit des services publics de meilleure qualité grâce à une efficacité opérationnelle. Ils permettent également de développer les capacités du secteur privé local par l’intermédiaire d’une propriété conjointe avec de grandes entreprises internationales.

Grâce à tous ces avantages, les PPP ont prouvé leur efficacité dans de nombreux pays qui accusaient un retard important en matière de développement des infrastructures nationales.

C’est le cas au Maroc, avant-gardiste sur le continent, où plusieurs projets capitalistiques ont été réalisés grâce aux PPP pour accompagner la politique nationale de développement d’infrastructures et de services, et ce dans divers secteurs: énergie (centrale à charbon de Jorf Lasfar, centrale au gaz de Tahaddart, parc éolien de Koudia El Baida, etc.), agriculture (projet d’irrigation d’El Guerdane), ports et transport urbain (tramway de Rabat-Salé).

Et selon un rapport de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) de 2018, durant les 10 dernières années, le Maroc a mobilisé 27,5 milliards de dollars dans des investissements portés par des PPP.

Quant au Nigeria, il a mobilisé 37,9 milliards de dollars par ce mécanisme entre 19990 et 2014.

Reste qu’en dépit des avantages du PPP, peu de pays du continent recourent à ce mode de financement des infrastructures. Selon la Banque africaine de développement (BAD), entre 2008 et 2018, cinq pays africains ont représenté plus de 50% des PPP menés en Afrique. Il s’agit de l’Afrique du Sud, du Maroc, du Nigeria, de l’Egypte et du Ghana.

Partant, la banque panafricaine s’est engagée à promouvoir à grande échelle cet instrument de financement afin de canaliser des investissements plus importants vers les infrastructures économiques et sociales du continent. «Il est donc impératif que des solutions hybrides, comme les PPP, soient perçues et promues comme une manière de reconstruire en mieux, de manière plus durable et plus écologique, en ramenant des capitaux privés vers des infrastructures, tout en créant une marge budgétaire dont les gouvernements ont grandement besoin pour répondre à de multiples autres exigences, y compris la résilience des systèmes de santé», souligne l’institution panafricaine.

Les PPP sont aussi associés à un certain nombre de risques potentiels. D’abord, les coûts globaux des projets sont très souvent plus élevés dans le cadre d’un PPP. En effet, les entreprises privées, conscientes que les risques sont déportés sur elles, étudient soigneusement le contrat et augmentent le tarif de leur prestation en fonction de leur niveau de responsabilité.

Ensuite, afin d’éviter les différends entre le privé et le public, il est essentiel d’établir un cadre juridique et règlementaire précis étant donné la nature à long terme des projets financés dans le cadre des PPP et leur complexité inhérente. Ce, d’autant plus qu’il est difficile d’identifier tous les risques au cours du développement d’un projet et que parfois les parties sont obligées de renégocier le contrat pour tenir compte de certains problèmes apparus pendant la réalisation.

De même, les performances attendues doivent être clairement indiquées dans le contrat et les pouvoirs publics doivent être en mesure d’évaluer le respect de la commande.

Partant, il est essentiel que les Etats africains puissent rassurer les investisseurs privés grâce à l’atténuation du risque financier ou de paiement, la limitation du risque politique, l’adoption d’une fiscalité et des mesures douanières incitatives, et la lutte contre la corruption.

Par Moussa Diop
Le 21/09/2020 à 15h26, mis à jour le 22/09/2020 à 16h20