Afrique. 3e mandat présidentiel: la belle leçon de Niamey à Nouakchott, Conakry, Kinshasa, Lomé...

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Le 03/06/2018 à 11h46, mis à jour le 03/06/2018 à 11h48

Engagés dans un processus démocratique imposé de l'extérieur, les pays africains sont régulièrement confrontés au problème du respect des règles constitutionnelles. Face aux tentatives des présidents en place de briguer un 3e mandat, le Niger vient de donner l'exemple. Explications.

La conférence de La Baule (France) dont les assises se sont déroulées en mai 1990 et surtout le discours prononcé à cette occasion par le président François Mitterrand expliquaient aux Africains que l'aide de la France serait désormais conditionnée à la démocratisation et à la "bonne gouvernance". Dans le contexte d’un processus de démocratisation qui a toutes les apparences d’une camisole de force, la tentation des présidents en place de briguer un troisième mandat, en dépit de Constitutions qui les limitent à deux, reste encore très forte en Afrique. 

A Kinshasa, le président Kabila junior refuse de céder le pouvoir près de 2 ans après l’expiration de son mandat. A Niamey, Nouakchott et Conakry, on note également des bruits, faits et gestes nourrissant la crainte d’une modification de la Constitution. Et hier, c'est en Côte d'Ivoire qu'Alassane Ouattara a annoncé que la nouvelle Constitution lui offrait la possibilité de briguer un nouveau mandat alors qu'il boucle son second mandat en 2020. 

Seulement, ce débat, qui agite l’opinion africaine est relancée depuis quelques jours par un fait inédit qui s’est produit au Niger.

Atteinte à l’ordre constitutionnel

La presse de Niamey raconte que Salissou Ibrahim et Issoufou Brah, deux acteurs de la société civile de Zinder (une ville de l’Est du Niger) ont été arrêtés, inculpés pour "atteinte à l’ordre constitutionnel" et placés en détention préventive pour avoir appelé à un 3e mandat prohibé par la loi fondamentale, au profit du président Mahamadou Issoufou.

Salissou Ibrahim, président de l’Union des jeunes Nigériens pour le développement (UJD) justifie cette position en ces termes "nous sommes de jeunes citoyens qui ont apprécié pendant 8 ans les actions de développement réalisées par le président Mahamadou Issoufou".

Mais du côté du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Zinder, qui instruit l’affaire suivant la procédure du flagrant délit, les choses sont claires et le caractère subversif de ces propos est d’une constance aveuglante.

Il estime en effet qu’appeler le président Issoufou, qui a fait deux mandats, à en briguer un troisième en 2021, relève d’un grave trouble à l’ordre public. Pour le magistrat du Parquet, il s’agit "de propositions non agréées de former un complot pour détruire ou changer le régime constitutionnel". 

Commentant cette nouvelle pour RFI, Mohamed Bazoum, président du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS) au pouvoir, ajoute "un troisième mandat au Niger signifie un coup d’Etat. Nous sommes un parti politique dont l’ambition est de stabiliser le pays pour le faire progresser".

Le président Issoufou a déjà dit et répété qu’en 2021, il entend organiser un scrutin présidentiel "libre et transparent" à l’issue duquel il passera la main.

Appels identiques à Nouakchott 

La Mauritanie est confrontée à une situation similaire, avec un président de la République, Mohamed ould Abdel Aziz, dont le deuxième et ultime mandat expire en 2019, conformément à des dispositions constitutionnelles érigées en clause d’éternité et gravées dans le marbre.

De la même manière que le président du Niger, le chef de l’Etat mauritanien, arrivé une première fois au pouvoir à la faveur d’un putsch militaire le 6 août 2008, a affirmé sa ferme intention de ne pas briguer un troisième mandat. Mais là, s’arrêtent les similitudes.

En effet, plusieurs voix, allant des responsables du gouvernement, aux éternels laudateurs de tous les régimes, jusque dans le cercle restreint et hautement respectable des figures religieuses et des érudits, invitent régulièrement le président Mohamed ould Abdel Aziz à briguer un troisième mandat.

Mieux, ou pire, c’est selon, le président de la République est même une fois venu jusqu’aux grilles du palais pour serrer les mains de femmes issues d’un groupe de manifestantes réclamant à ce qu'il brigue un troisième mandat.

"Ce qui montre clairement que les partisans d’un renversement de l’ordre constitutionnel, au profit de l’actuel locataire du palais de la République bénéficient d’une impunité totale. Jusqu’à quand? Toute la question est là", relève un analyste politique.

En attendant, le Pr Lô Gourmo, vice-président de l’Union des forces de progrès (UFP), commente l’événement de Zinder à travers ce passage "en droit pur, le raisonnement est imparable. Comme en Mauritanie, le Niger place la disposition qui limite le nombre des mandats du président de la République à deux, au rang des normes non modifiables. Elles touchent à la substance même de l’ordre constitutionnel dont toute velléité de modification équivaut à une tentative de renversement de cet ordre constitutionnel, un coup d’Etat, comme le dit bien le ministre de l’Intérieur de ce pays du G5 Sahel, Mr Bazoum".

Partant, ajoute-t-il, "en Mauritanie aussi, ceux qui, directement ou indirectement, incitent à cette modification constitutionnelle scélérate doivent donc s’attendre, d’une façon ou d’une autre, un jour ou l’autre, à être rattrapés et poursuivis devant la justice de leur pays. Il n'y a pas d’amnistie pour ça". 

La limitation des mandats «Une affaire de blanc»

Ce débat sur un troisième mandat est aussi en cours du côté de Conakry, en Guinée, où le locataire du Palais Sekoutoureya, le président Alpha Condé, se montre de plus en plus flou par rapport à ses intentions, en dépit des dispositions claires de la constitution de son pays.

Pire, dans l’entourage du président Condé, la limitation des mandats serait considérée comme "une affaire de blanc". Ainsi, l’ancien opposant historique aux régimes des présidents Ahmed Sekou Touré et Lansana Conteh, semble avoir oublié par quel tour de passe-passe "de blancs" il est arrivé au pouvoir en 2010.

Comment a-t-il été élu à l’issue d’un second organisé plusieurs mois après une première manche à la faveur de laquelle, son principal adversaire, Cellou Dallen Diallo, avait recueilli plus de 43% des suffrages (contre 18% en faveur du candidat Condé), et qui en plus bénéficiait du soutien de Sidya Touré (classé troisième avec 13% des suffrages)? Le tout sous l’œil bienveillant de la France. Les années passent, et ce mystère-là reste entier.

Quelle sera cette fois l’attitude de la France par rapport à la détermination de Condé de s’accrocher au pouvoir? Les signaux envoyés par l’affaire Bolloré, grand ami du président guinéen, semblent indiquer que le vent est en train de tourner.

Par Cheikh Sidya (Nouakchott, correspondance)
Le 03/06/2018 à 11h46, mis à jour le 03/06/2018 à 11h48