Au pays de la révolution du jasmin, les opposants politiques, membres de la société civile, journalistes, migrants subsahariens ne sont pas en odeur de sainteté… Et la situation va se corser davantage d’ici l’élection présidentielle prévue en octobre prochain.
La ciblé privilégiée sont bien évidement les partis politiques, ou ce qu’il reste d’opposants. Après avoir concentré tous les pouvoirs entre ses mains, le régime de Tunis s’est engagé à vider l’opposition de ses figures les plus en vue.
La première victime n’est autre que Nabil Karoui, candidat qualifié au second tour de l’élection présidentielle de 2019 face à Kaïs Saied, qui a été condamné en appel, en février 2024, à 3 ans de prison ferme, pour une affaire liée à des financements étrangers lors de la campagne présidentielle. Cette condamnation est assortie d’une interdiction de se présenter aux élections pour une période de 5 ans. Le patron de presse et homme politique est donc hors circuit pour cette élection présidentielle de 2024.
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Nabil Karoui out, ce fut par la suite le tour de l’islamiste Rached Ghannouchi du parti d’Ennahdha. Arrêté et placé sous mandat de dépôt en avril 2021 après avoir déclaré que la Tunisie serait menacée d’une «guerre civile», en cas d’élimination des formations politiques issues de la gauche ou de l’islam politique, le vieux homme politique de 81 ans a même vu sa peine alourdie de 15 mois de prison, en octobre 2023, par un tribunal de Tunis spécialisé dans les affaires de terrorisme.
Le régime tunisien l’a également accusé de corruption et de blanchiment d’argent liés à des transferts de fonds depuis l’étranger. En emprisonnant le chef d’Ennahdha et plusieurs de ses adjoints, le président Saïed élimine d’office l’un de ses farouches opposants fort d’une solide base de militants.
Et comme cela ne suffisait pas, le régime tunisien a aussi arrêté, en octobre dernier, l’une des figures les plus en vue de la politique en Tunisie, Abir Moussi, cheffe du Parti destourien libre (PDL), l’une des principales figures de l’opposition tunisienne, doublée d’une virulente critique du président Kaïs Saied.
Abir Moussi a été arrêtée et placée sous mandat de dépôt. alors que les sondages en font une concurrente sérieuse au président sortant. Elle fait face à des accusations relevant «de l’article 72 du Code pénal». Et les charges retenues contre elle sont très lourdes. Cet article prévoit la peine de mort pour toute personne reconnue coupable «d’attentat ayant pour but de changer la forme du gouvernement, d’inciter les gens à s’armer les uns contre les autres ou à provoquer le désordre, le meurtre ou le pillage sur le territoire tunisien».
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Même ses détracteurs jugent qu’elle est victime d’une volonté politique de mise à l’écart qui touche tous ceux qui peuvent constituer un obstacle au président. Et pour cause, l’acte «criminel» qu’on lui impute est d’avoir filmé et mis en ligne la scène de refus de lui délivrer un document administratif. Des policiers apparaissaient en arrière-plan de la vidéo. Or, il est interdit de filmer ou de photographier des sécuritaires en Tunisie. En conséquence de quoi, elle doit répondre aux accusations contenues dans l’article 72 du code pénal.
Avec l’emprisonnement de Moussi et les mises à l’écart de Nabil Karoui de Qalb Tounes et Rached Ghannouchi d’Ennahdha, le boulevard s’en trouve balisé pour un Kaïs Saied désormais sans concurrents lors de la prochaine présidentielle.
Le régime tunisien tente aussi de bâillonner les médias en multipliant les arrestations dans les rangs des journalistes. Ainsi, le journaliste Mohamed Boughalleb, critique virulent du président Saied a été arrêté en mars dernier suite à une plainte émanant d’une cheffe de service au sein du ministère des Affaires religieuses qui l’avait accusé d’avoir «porté atteinte à son honneur et sa réputation». Le journaliste s’était interrogé sur la pertinence des voyages à l’étranger que cette responsable effectue avec le ministre des Affaires religieuses dénonçant une forme de «corruption et de gaspillage de l’argent public». Le 18 avril dernier, il a été condamné à 6 mois de prison ferme pour diffamation.
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Et ce n’est pas fini. Borhen Bssais, présentateur télé et Mourad Zeghidi, commentateur politique, ont été arrêtés samedi 11 mai et placés le lendemain en mandat de dépôt pour diffusion de «fausses informations (…) dans le but de diffamer autrui ou porter atteinte à sa réputation».
Au total, ce sont une vingtaine de journalistes qui sont poursuivis par le régime. Avec ces arrestations, le régime essaye d’intimider les journalistes et à les faire taire en instrumentalisant l’appareil de l’Etat. «La mise en détention de Mohamed Boughalleb est inquiétante. Elle confirme que les autorités tunisiennes n’acceptent plus que les journalistes fassent leur travail et soulèvent des questions légitimes sur l’utilisation des derniers publics par les responsables politiques», déplore Khaled Drareni, représentant de Reporters sans frontières (RSF) en Afrique du Nord.
C’est à ce titre aussi que les forces de sécurité ont arrêté Sonia Dahmani, avocate et chroniqueuse, voix critique connue du président Saied. Elle est accusée de «fausses informations dans le but de porter atteinte à la sûreté publique» et «incitation à un discours de la haine», en vertu du décret-loi 54 promulgué par le président Saied, dans le cadre de sa politique répressive, qui punit de 5 ans de prison quiconque utilise les réseaux d’information et de communication pour «rédiger, produire, diffuser, répandre de fausses nouvelles (….) dans le but de porter atteinte aux droits d’autrui ou de porter préjudice à la sécurité publique».
Le crime qu’aurait commis l’avocate est d’avoir lancé d’un ton ironique «de quel pays extraordinaire parle-t-on?», en répondant à un autre chroniqueur qui affirmait que les migrants subsahariens cherchaient à s’installer en Tunisie.
Depuis la promulgation du décret-loi, plus de 60 personnes, dont des journalistes, chroniqueurs, avocats, opposants et membre de la société civile, ont été arrêtées et font l’objet de poursuites judiciaires.
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Il faut dire que la migration est un fonds de commerce sur lequel compte Kaïs Saied pour attirer davantage d’électeurs opposés à la présence de migrants subsahariens sur le territoire tunisien. D’ailleurs, après une accalmie et malgré le rapatriement de plus de 2.500 subsahariens de manière volontaire depuis le début de l’année, la question des migrants est revenue au-devant de la scène politique et sera certainement un argument de campagne pour le président en exercice qui a repris à son compte les slogans de l’extrême droite européenne vis-à-vis des migrants alors que son pays est aujourd’hui l’un des premiers émetteurs de migrants clandestins du continent vers l’Europe.
Tout le monde se rappelle les «hordes de migrants» subsahariens, sources de «violences et de crimes», relevant d’une «entreprise criminelle» visant à «changer la composition démographique» de la Tunisie en la transformant en un «pays uniquement africain» dépourvue de sa «composition arabo-musulmane», des formules prononcées par le président tunisien le 21 février 2023. Eric Zemmour et les extrémistes de la droite européenne ne font pas mieux avec leur «théorie de remplacement».
Le régime a donc ordonné la chasse aux migrants, qui ont été délogés de leurs appartements et des villes. Une situation qui pousse nombre d’entre eux à tenter coûte que coûte de rejoindre les côtes européennes, augmentant les tentatives de traversées de la Méditerranée et des naufrages meurtriers qui en découlent.
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Outre les migrants qui sont abandonnés en plein désert, la répression touche aussi tous ceux qui, de près ou de loin, qui les défendent. C’est le cas de Saadia Mosbah, présidente de l’association «Mnemty» a été arrêtée la semaine dernière. Son domicile et le siège de son association ont été perquisitionnés. Outre la lutte contre le racisme, son association combat pour les droits des migrants. Son association fait l’objet d’une enquête sur les origines de ses financements.
Il est fort à craindre que ces arrestations tous azimuts ne se poursuivent à l’approche de l’élection présidentielle pour laquelle Saied n’a plus de véritables challengers.
La multiplication des arrestations suscite une vague d’indignation de partis politiques et d’ONG de défense des droits de l’Homme aussi bien en Tunisie qu’à l’étranger. Ainsi, dimanche matin, plusieurs membres du Front de salut national (FSN), principale coalition d’opposition, ont manifesté à Tunisie pour exiger la libération des détenus politiques scandant les slogans «Stop Etat policier», «Dégage Kaïs Saied»,…
Ce lundi 13 mai, les avocats tunisiens ont observé une grève dans tous les tribunaux du pays pour protester contre l’arrestation musclée d’une de leurs collègues, Sonia Dahmani. Arrestation qui a eu lieu au siège du barreau. «La grève a été respectée à 100%», selon Laroussi Zguir, président de la section de l’Ordre des avocats de Tunis. En plus de l’exigence de la libération immédiate de leur collègue, les avocats ont dénoncé une «magistrature aux ordres».