Sénégal: retrouvailles libérales, fissure du bloc présidentiel

Macky Sall, président du Sénégal (droite) et Abdoulaye Wade (ancien président).

Macky Sall, président du Sénégal (droite) et Abdoulaye Wade (ancien président). . DR

Le 07/06/2016 à 12h17

Derrière les retrouvailles de la famille libérale, se joue une recomposition du champ politique sénégalais. Macky Sall pourrait bien changer d’alliés d’ici 2019. Un pari risqué.

Le rapprochement entre Macky Sall et son ancien mentor politique, Me Abdoulaye Wade, avec en toile de fond la libération de Karim Wade, suscite déjà des remous au sein de la majorité présidentielle. Les alliés du président Sall, regroupés au sein de la coalition Benno Bokk Yakaar (BBY), composée entre autres de Moustapha Niasse, le président de l’Assemblée nationale (Alliance des forces du progrès – AFP) et de Ousmane Tanor Dieng (Parti socialiste). Ces alliés, qui ont aidés Macky Sall à conquérir le pouvoir et gouvernent avec lui depuis 2012, verraient d’un mauvais œil une réconciliation entre Macky et Wade.Ce dernier, qui entretient une inimitié historique avec ces leaders de gauche (Amath Dansokho, Abdoulaye Bathily, Moustapha Niasse), les mêmes qui l’avaient porté au pouvoir en 2000 avant d’être à l’origine de sa chute (en s’alliant avec Macky) en 2012, est convaincu que ce sont eux qui ont poussés Macky Sall à poursuivre des membres de son parti, notamment Karim Wade, dans le cadre de la traque dite des biens mal-acquis.Le vieux président a toujours considéré ces «gauchistes» comme «d’éternels opposants», à l’exception du PS bien sûr, qui «n’ont pas d’idées» pour faire avancer le pays, contrairement aux libéraux.Aujourd’hui que les dés semblent jetés – avec la libération probable de Karim – des fissures commencent à se faire sentir au sein du bloc présidentiel. «Je ne vois pas quel peut être l’intérêt pour le président de la République dans ces retrouvailles de la famille libérale. Macky Sall a été élu en 2012 avec la coalition Benno Bokk Yakaar, nous pensons que c’est avec l’élan populaire qui se trouve au sein de cette coalition qu’il doit gouverner et conduire les politiques susceptibles de satisfaire les Sénégalais», réagit Moussa Sarr, le porte-parole de la Ligue démocratique (LD, la formation de Bathily), qui remet en cause l’appartenance de l’Alliance pour la République (APR), le parti de Macky Sall, à la famille libérale. Un parti (l’APR) «dans lequel on retrouve (certes) des libéraux, mais aussi des trotskistes et des Sénégalais qui ne se réclament d’aucune idéologie», rappelle-t-il.Avant Sarr, Ousmane Tanor Dieng (PS) s’était montré particulièrement agacé par les questions des journalistes sur ces retrouvailles entre Macky et Wade. Au PS on semble avoir anticipé cela depuis très longtemps –le parti avait dores et déjà annoncé qu’il présentera un candidat à la prochaine présidentielle – même si Ousmane Tanor s’est montré, jusque-là, comme l’un des plus fidèles alliés de Macky Sall, quitte à créer des divisions au sein de sa formation.A l’AFP aussi on se dit «contre» le fait que le dialogue national tourne exclusivement autour du PDS et de l’histoire de Karim Wade.Ce à quoi répond Moustapha Diakhaté, le président du groupe parlementaire BBY à l’Assemblée nationale : «nos alliés doivent comprendre que l’APR est un parti souverain (…) Le parti a le devoir de se massifier, surtout avec des gens avec qui il partage certaines valeurs».Pour le politologue Yoro Dia, interrogé par le quotidien «L’Observateur», ce rapprochement avec Wade est un changement de stratégie de la part de Macky Sall. «De 2012 au référendum de cette année, il a essayé de sortir Abdoulaye Wade de l’échiquier politique. Finalement, il se rend compte que Me Wade est une constante, une réalité politique au Sénégal depuis 1974 (…) et qu’aller à la présidentielle de 2019 sans alliance ou soutien de Wade, est un très grand risque». Macky Sall est-il en train de changer de fusil d’épaule ? Une question qui sûrement sera analysée par ses alliés actuels.

Par Ibrahima Diallo (Dakar, correspondance)
Le 07/06/2016 à 12h17