Parti de son Cameroun natal en décembre 2019, Mohammed Bachir, détenteur d’un Master II en management des entreprises et organisations court toujours après une éventuelle intégration à la fonction publique gabonaise. Les contraintes de début d’aventure l’obligent à donner des cours de mathématiques, français et anglais dans les établissements scolaires privés. Et à mi-temps, il travaille dans la station de lavage de véhicules d’un jeune malien Coulibaly. Ce dernier est devenu en deux ans son premier mentor au quartier Montagne Sainte à Libreville.
Mais derrière une apparence joviale d’immigré intégré, Mohammed Bachir cache mal la douleur de tout «sans papier». Il en a fait l’un de ses combats depuis plus d’un an, sans succès. «Beaucoup d’entre nous sont des sans papier, pas parce qu’ils le veulent, mais à cause des lourdeurs administratives. Lors des contrôles de routine, c’est très difficile de négocier à chaque fois avec les agents des forces de sécurité. Vous pouvez vous justifier comme vous voulez mais ça ne passe pas. Et tout le monde n’est pas compréhensif», dit-il.
En polo blanc, un prêtre et enseignant équato-guinéen dans un collège de Libreville.. le360 Afrique/Ismael
Mohammed vit donc encore son séjour gabonais dans la clandestinité, malgré lui. En plus de cette difficulté, son aventure intervient dans un contexte de volonté affirmées par les nouvelles autorités de nationaliser plusieurs secteurs d’activité du pays. Une perspective qui ne l’effraie pas plus que son statut actuel, de sans papier. «Ça fait un peu peur? Oui et non car en tant que Camerounais, nous sommes des lions indomptables. Nous aimons aller au front et on aime les défis. C’est une bonne chose. Mais je pense que les jeunes Gabonais gagneraient à s’attaquer à tous les pans de l’économie de leur pays», pense-t-il.
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Se battre pour avoir la carte de séjour et surtout trouver du travail, voilà les sujets des principaux témoignages d’immigrants à propos de la réussite de l’intégration. Ils affirment que l’emploi est la clé du succès dans un nouvel environnement. «C’est quand on me demande de renouveler ma carte de séjour que je me souviens que je ne suis pas Gabonais. En fait, je suis ici comme si j’étais chez moi. J’étais bien accueilli. D’ailleurs, j’ai des collègues de faculté qui enseignent avec moi. Après l’Université Omar Bongo, j’ai bénéficié d’un recrutement direct du temps de feu le Président Omar Bongo. Aujourd’hui ça me fait 17 ans d’enseignement, certains de mes élèves sont des fonctionnaires», témoigne l’Abbé Ange Nguema Minko. Prêtre catholique d’origine équato-guinéenne, il a été formé au Sénégal et au Cameroun avant d’entamer sa mission sacerdotale début 2000 au Gabon. Il enseigne le français au Collège Bessieux à Libreville.
Une expérience personnelle et un modèle de réussite qui diffère de celui de Souaré Souleymane. À 33 ans bientôt, ce jeune Guinéen (Guinée Conakry) se bat encore pour régulariser son statut d’immigré en terre gabonaise. Il est passé par la Côte d’Ivoire avant de débarquer à Libreville. Un parcours de combattant bien loin d’un fleuve tranquille. Car depuis deux ans, Souaré ne parvient pas avec la seule vente de thé à économiser plus de 800.000 francs CFA, soit 1.220 euros, montant du timbre de son titre de séjour. «Pour avoir les papiers si tu n’as pas de moyens, c’est compliqué. Je n’y arrive pas encore», déclare, le jeune homme, l’air dépité.
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Et le problème risque de se corser encore davantage à l’avenir. Selon plusieurs sources, les résolutions du dialogue national inclusif en cours au Gabon promettent le durcissement de la politique migratoire du pays. Elle restreindrait les procédures de régularisation en subordonnant la délivrance d’une carte de séjour à l’obtention d’un contrat de travail.
Rappelons que les migrants constitue entre 16 et 20% de la population des personnes résidentes dans le territoire gabonais. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) dans son rapport de décembre 2023 sur le profil des migrants au Gabon, rappelle que «le pays a connu deux périodes importantes de flux de migrations. La première est celle de l’arrivée des enfants Biafrais du Nigéria en 1968 et la seconde est celle des réfugiés congolais accueillis par le Gabon à la fin des années 1990, à la suite des conflits successifs en République du Congo».
Selon l’OIM, le rebondissement économique au début des années 1970 a permis au Gabon, devenu un grand producteur de pétrole et de matières premières (manganèse notamment) d’un devenir un ilot riche attirant de nombreux migrants, notamment de l’Afrique de l’ouest (Mali, Sénégal...), en plus des ressortissants des pays de la sous-région à la recherche de meilleures opportunités économiques.
Mais l’intégration des travailleurs immigrés sur le sol gabonais, relève encore d’un parcours de combattant dans bien des situations.