Entre le marteau du Fonds monétaire international (FMI) et l’enclume de la puissante Union générale tunisienne du travail (UGTT), le gouvernement tunisien semble avoir opté en faveur des syndicats et donc, c'est-à-dire augmenter les salaires pour atténuer la perte du pouvoir d’achat des citoyens très affectés par l’envolée des prix de nombreux produits, notamment les produits alimentaires, sous l’effet d’une flambée internationale et des pénuries de nombreux produits alimentaires. En août dernier, l’inflation a atteint 8,6%.
Tunis a décidé d’augmenter les salaires, et ce, malgré le fait que le gel des salaires de la fonction publique figure en bonne place des exigences du Fonds monétaire international (FMI) pour débloquer un nouveau prêt indispensable pour atténuer la crise financière que connaît le pays depuis quelques années.
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Si le montant de l’augmentation et donc la facture supplémentaire à supporter par le budget de l’Etat n’est pas connu -le montant sera déterminé en fonction de l’inflation et des capacités financières du gouvernement-, il n’en demeure pas moins qu’elle va augmenter le ratio de la masse salariale rapportée au Produit intérieur brut (PIB) déjà abyssal du pays à cause d’un nombre de fonctionnaires atteignant 680.000 pour une population de seulement 12 millions d’habitants, et ce, d'autant plus que cette mesure d’augmentation des salaires touchera également les retraités de la fonction publique.
Par conséquent, les dépenses de la masse salariale qui culmine à un niveau record de 15,6% du PIB en 2022, contre 10% en 2010, vont augmenter davantage, quel que soit le montant de cette augmentation des salaires. C’est dire qu’on risque de s’éloigner de l’objectif de réduction de ce ratio à 12%, comme le souhaite le FMI. Le ratio masse salariale/PIB du pays est l'un des plus élevés au monde.
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Déjà en 2021, avec 661.700 salariés de la fonction publique et une masse salariale totale de 20,3 milliards de dinars, soit 35% du budget de l’Etat, les dépenses affectées aux salaires absorbaient plus du tiers du budget. Depuis, le nombre de salariés de la fonction publique n’a cessé d’augmenter sous l’effet des recrutements indispensables dans les secteurs de l’éducation et de la santé pour atteindre actuellement plus de 680.000 fonctionnaires.
Et en tenant compte également de la facture du service de la dette qui est colossale à cause de l’endettement du pays au cours de ces dernières années, avec une dette qui a atteint un pic de 100 milliards de dinars tunisiens, soit 30 milliards de dollars, correspondant à un taux d’endettement de près de 100% en 2021, les marges de manœuvre du gouvernement pour faire face aux dépenses d’investissement va se rétrécir davantage et impacter négativement le développement économique du pays.
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Ainsi, cette hausse va augmenter les dépenses budgétaires dans un contexte de rareté des recettes à cause d’une conjoncture économique difficile et par ricochet accroître le déficit budgétaire. Celui-ci est déjà élevé, s’établissant à 9% du PIB, alors que le gouvernement tablait sur un déficit de 6,7% du PIB au titre de 2022.
Reste que cette augmentation des salaires sera suivie par l’application des réformes exigées par le FMI, dont la réduction des effectifs pléthoriques de la fonction publiques via des départs volontaires et la réduction des recrutements au profit seul des secteurs prioritaires, l’élimination progressive des subventions portant sur des produits de base et leur remplacement par des transferts à destination des plus pauvres, la réforme fiscale…
Il s’agit de réformes structurelles que la Tunisie doit mettre en place pour asseoir les bases d’une économie solide. Et le FMI exige la mise en place de ce train de réformes pour accorder un nouveau prêt au pays. En attendant, les discussions semblent piétiner et l'augmentation salariale pourrait atténuer la position de l'UGTT sur les autres points de la réforme, notamment l'élimination des subventions ou encore le gel des recrutement. Il est pourtant évident que sans ce prêt du FMI, la Tunisie aura du mal à obtenir d’autres financements auprès d’autres institutions financières internationales et surtout de pouvoir sortir sur le marché international de la dette dans de meilleures conditions après les abaissements de sa note souveraine par la totalité des agences de notation (Fitch, Standard & Poor's, Moody's...).