Monnaies maghrébines: comportement en 2020 et perspectives d’évolution en 2021

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Le 13/01/2021 à 16h14, mis à jour le 14/01/2021 à 11h04

Si la santé d'une économie se reflète dans la vigueur de sa monnaie, c'est que le Maroc, l'Algérie et la Tunisie ont eu des sorts différents en 2020, tant le cours du dirham et des dinars algérien et tunisien ont pris des voies différentes par rapport à l'euro et au dollar.

Au Maghreb, le dirham marocain, le dinar tunisien et le dinar algérien ont connu fortunes diverses en 2020, en prenant pour référence les cours enregistrés à fin 2019 (31 décembre) et fin 2020 (31 décembre).

Plusieurs facteurs rentrent en jeu pour déterminer l’évolution de chacune des monnaies maghrébines face à l’euro et au dollar dont l’équilibre des fondamentaux économiques, le creusement des déficits commerciaux, le niveau des avoirs extérieurs, la baisse des investissements, la situation politique, l’inflation, etc.

Ces évolutions sont également influées par celle de la parité euro-dollar en 2020 marquée par l’appréciation de la monnaie unique européenne par rapport au billet vert à cause de la politique accommodante des Etats-Unis consistant à augmenter la masse monétaire et maintenir des «taux bas» afin de soutenir l’économie américaine très affectée par la pandémie du Covid-19.

Dinar algérien: la «dévaluation déguisée» se poursuit en 2021

La monnaie étant le reflet de la bonne santé d’une économie, le dinar algérien a logiquement fortement décroché en 2020 vis-à-vis des deux principales devises mondiales -le dollar et l’euro- dans le sillage de la crise économique et financière aiguë qu’a traversé l’Algérie.

Par rapport à l’euro, il s’agit d’une chute record. Le dinar algérien s’est déprécié de 20,95% passant de 133,58 dinars pour 1 euro en fin 2019 à 161,57 dinars pour le même euro à fin 2020. Et vis-à-vis du dollar, la dépréciation a été moins forte mais aussi importante de 10,94%, passant de 119,80 dinars pour 1 dollar à fin 2019 à 132,20 dinars pour le même dollar à fin 2020.

Au niveau du marché parallèle en fin d'année, il fallait 209 dinars pour 1 euro et 176 dinars pour 1 dollar américain chez les cambistes du Square Port Saïd, le véritable baromètre du marché de change en Algérie, en absence d’un marché officiel dont le volume d'échange de devises permet de le qualifier d'éfficace.

En l’absence d’un véritable marché de change, cette forte dépréciation est surtout le résultat d’une volonté politique des dirigeants algériens pour faire face aux conséquence de la crise aiguë que traverse le pays. Plus clairement, il s’agit d’une «dévaluation déguisée» du dinar par le gouvernement algérien dans le but d’absorber le déficit budgétaire énorme que connait le pays dans le sillage de la chute des revenus pétrolières qui représentent entre 50 et 60% des recettes budgétaires du pays et qui ont connu une chute importante à cause du niveau bas du cours du baril de pétrole sur le marché international. En l’absence du recours à la «planche à billets» et à l’endettement extérieur, c’est la seule option qui restait pour faire face au déficit budgétaire abyssal qui devrait avoisiner les 20% du PIB, selon les estimations de certaines organisations internationales.

Seulement, à cause de cette «dévaluation», les prix des denrées alimentaires continuent d’augmenter, sous l’impulsion des céréales, du sucre, des produits laitiers, des huiles végétales, etc. Une situation qui reflète l’ampleur du marasme économique dans lequel se trouve l’Algérie depuis quelques années, aggravée par les effets de la pandémie du Covid-19.

Et cette dépréciation du dinar ne profite pas vraiment à l’économie algérienne handicapée par une offre export inexistante –les hydrocarbures représentant 95% des recettes d’exportation.

Par contre, la baisse du dinar renchérit les importations dont ceux de biens d’équipements et donc décourage certains investisseurs locaux dont les investissements nécessitent des importations importantes. Quant aux investisseurs étrangers, l’attractivité offerte par un dinar déprécié est fortement compensée par l’environnement des affaires défavorables.

Du côté des perspectives d’évolution du dinar en 2021, la monnaie devrait connaître la même évolution vis-à-vis des deux devises. Selon certains experts, le dinar reste surévalué vis-à-vis des grandes devises. Selon eux, 1 dollar devrait s’échanger contre 175 dinars algériens à fin 2020.

«Comment le dinar algérien peut-il être fort alors que notre économie est basée sur la rente et l’importation», a expliqué le ministre des Finances Aymen Benabderrahmane, ajoutant que «le dinar ne sera jamais fort sans une production nationale forte». Pour lui, le dinar recouvrera dans les années à venir, grâce à l’application du plan de relance du président de la République qui touchera tous les domaines».

En attendant, la dépréciation du dinar devrait se poursuivre en 2021 à cause d’une série de raisons. D’abord, pour une raison de politique, les autorités algériennes ont prévu, dans le cadre des lois de finances 2021 et 2022, des dépréciations continuent du dinar vis-à-vis des devises (euro et dollar).

Ensuite, la situation économique d’Algérie ne devrait pas évoluer courant 2021, et certainement durant le premier semestre avec le niveau du cours du baril qui ne devrait pas trop s’écarter de son niveau actuel. Du coup, les déficits jumeaux devraient continuer à se creuser. Par ailleurs, et conséquence de ces déficits, le dinar devrait continuer à se déprécier à cause de l’effritement continu des réserves en devises du pays. Celles-ci se situeraient sous la barre des 30 milliards de dollars. Une situation qui favoriserait encore plus la dépréciation de la monnaie algérienne.

En clair, la dévaluation du dinar est une réalité qui s’inscrit dans la durée. Toutefois, si cette dévaluation répond à l’une des recommandations du FMI qui juge que la monnaie algérienne est surévaluée, il n’en demeure pas moins qu’agir sur ce seul levier ne suffira pas pour redresser l’économie algérienne. Il faut des réformes économiques douloureuses, mais inévitables, pour inscrire le pays sur le trend d’une croissance durable, seule à même d’assurer la stabilité du dinar.

Dirham marocain: le principe de l’«effet panier»

Contrairement au dinar algérien, le dirham marocain a affiché une forte résilience vis-à-vis des devises étrangères, particulièrement de l’euro et du dollar en 2020, et malgré l’entrée de la seconde phase de la politique de flexibilisation du régime de change du dirham.

Ainsi, durant l’année 2020, le dirham marocain s’est déprécié légèrement de -1,726% vis-à-vis de l’euro passant de 10,7421 dirhams pour 1 euro à fin 2019 à 10,9275 dirhams pour 1 euro en fin 2020. Mieux, vis-à-vis du dollar américain, la monnaie marocaine s’est fortement appréciée de 7,09% par rapport au dollar américain passant de 9,598 dirhams pour 1 dollar à fin 2019 à à 8,9175 dirhams en fin d’année.

Ces évolutions du dirham vis-à-vis de ces deux devises s’expliquent par l’«effet panier», autrement dit, la variation du dirhams face aux deux devises est liée à la variation de la parité euro/dollar sur le marché international où l’euro s’est apprécié de 8,92% face au dollar en 2020. Le dirham, arrimé à hauteur de 60% à l’euro et 40% au dollar, avec une bande de fluctuation de ±5%, par rapport à un court central fixé par Bank Al-Maghrib a bénéficié de l’effet de son ancrage plus important à l’euro. Et du fait de l’effet des vases communicants, le dirham s’est naturellement apprécié vis-à-vis du billet vert.

Au niveau du marché de change, en 2020, il n’y a pas eu de déséquilibre entre l’offre et la demande de devises ni sur la liquidité du marché interbancaire de devises. Et aucun choc notable n’a été enregistré sur celui-ci en dépit des effets de la pandémie du Covid-19. L’offre de devises est restée globalement supérieure à la demande.

A noter que Bank Al-Maghrib n’intervient pas sur le marché de changes et ce, grâce au développement du marché interbancaire des devises. Les banques commerciales arrivent à assurer la liquidité de ce marché et les avoirs de la banque centrale servent à alimenter les banques quand leur position de change devient déficitaire.

Concernant les effets de ces évolutions sur l’économie marocaine, la légère baisse de l’euro n’aura pas vraiment d’effets sur la compétitivité des exportations marocaines dont les deux tiers sont facturées en euro. De même, les recettes touristiques (en cas de reprise) et les transferts des MRE vont tirer un très léger mieux. Quant à la dépréciation du dollar, elle est plutôt favorable aux importations libellées à hauteur de 42% en dollars, dont particulièrement celles des hydrocarbures. De même, les effets de change pour le service de la dette sont appréciables pour la partie de la dette libellée en dollars.

Pour ce qui est des perspectives d’évolution du dirham en 2021, contrairement au dinar algérien où il y a une volonté manifeste de laisser filer la monnaie locale, il est difficile de prévoir l’évolution du dirham marocain dans les semaines ou les mois à venir. Et pour cause, le marché de change marocain évolue surtout au gré de l’offre et de la demande de devises des opérateurs. A ce titre, les transferts de dividendes sont à surveiller.

Ainsi, depuis le début de l’année, le dirham poursuit son appréciation vis-à-vis du dollar s’échangeant actuellement autour de 8,8729 dirhams pour un dollar. La politique monétaire accommodante américaine consistant à augmenter la masse monétaire et maintenir des «taux bas» afin de soutenir l’économie américaine par la relance du financement à «moindre coût» favorise la dépréciation du dollar vis-à-vis de l’euro et donc la poursuite de l’appréciation du dirham vis-à-vis du dollar.

En clair, en 2021, le dirham marocain devrait continuer à afficher une résilience vis-à-vis des devises étrangères grâce notamment à une série d’indicateurs dont une politique monétaire judicieuse, une stabilité politique, l’évolution favorable des grandeurs macroéconomique, un secteur financier solide, une dette publique soutenable, une inflation maitrisée et des réserves de change en hausse qui ont bénéficié de l’impact du tirage sur la LPL de 3 milliards de dollars. Une opération qui a rassuré le marché international des capitaux vis-à-vis du risque Maroc en gonflant le matelas des avoirs extérieurs du Royaume à la date du 18 décembre 2020 à 314 milliards de dirhams, soit 28,73 milliards de dollars. 

Le dinar tunisien: la dépréciation se poursuit avec une certaine résilience

Le dinar tunisien, à l’instar du dirham marocain s’est comporté différemment vis-à-vis des deux principales devises, l’euro et le dollar. Par rapport à l’euro, le dinar tunisien s’est déprécié de -5,904% passant de 3,1402 dinars pour 1 euro à fin 2019 à 3,3256 dinars pour le même euro à la fin de l’année écoulée. Toutefois, vis-à-vis du billet vert américain, le dinar s’est apprécié durant l’exercice écoulé de 3,35% passant de 2,7985 dinars pour 1 dollar en fin 2019 à 2,7047 dinars pour le même dollar à fin 2020.

Face à l’euro, cette dépréciation s’inscrit sur une tendance lourde depuis plusieurs années. En effet, depuis la «Révolution des Jasmins», fin 2010, le dinar tunisien ne cesse de perdre de valeur vis-à-vis des principales devises et monnaies régionales. En effet, à la veille du déclenchement de la révolution, 1 euro s’échangeait contre 1,9115 dinar tunisien, soit une baisse de 70% de sa valeur par rapport à la monnaie européenne depuis le déclenchement du «Printemps arabe».

Depuis, sous l’effet d’une conjonction de facteurs dont une crise économique aggravée par l’insécurité et une situation politique instable, le dinar ne cesse de se déprécier, encourager par la recommandation du FMI qui a toujours soutenu que le dinar tunisien était surévalué.

La dépréciation du dinar rend certains secteurs tunisiens plus compétitifs vis-à-vis des pays concurrents. C’est le cas notamment du secteur stratégique du tourisme. Toutefois, du fait du modèle économique choisi par le pays, le tourisme de masse, le pays tire faiblement positif de la faiblesse du dinar. C’est le cas aussi des secteurs exportateurs, comme l’agroalimentaire, qui devraient bénéficier de la baisse du dinar par rapport à la monnaie de la zone européenne, principale débouchée des produits agricoles tunisiens. Elle rend aussi le pays plus attractif aux investissements directs étrangers (IDE), notamment européens, qui bénéficient de la proximité géographique et d’une main d’oeuvre qualifiée et bon marché.

Seulement, la conjoncture politique, sécuritaire et les perspectives économiques amoindrissent ces avantages aux yeux des investisseurs étrangers et limitent l’impact de l’effet de change sur l’attractivité de la Tunisie.

De plus, la dépréciation du dinar n’a pas que des effets positifs. Elle impacte négativement la dette extérieure du pays libellée grandement en dollar et en euro. Elle renchérit le service de la dette qui est de plus en plus pesant sur le budget de l’Etat. Selon la loi de finances 2020, le service de la dette extérieure (principal et intérêts) devrait s’établir à 6,6 milliards de dinars, soit plus de 15% du budget de l’Etat.

L’autre facteur négatif tient au fait que 70% des importations tunisiennes sont constituées de matières premières dont les hydrocarbures et les céréales. Du coup, la facture des importations exprimée en monnaie locale augmente pour les produits importés d’Europe. Une situation qui contribue au creusement du déficit commercial et induit une hausse des prix des produits importés et donc une inflation qui agit sur le pouvoir d’achat des citoyens.

Du côté des perspectives, le dinar tunisien devrait afficher une certaine résilience en 2021 tout en se dépréciant légèrement par rapport aux deux devises durant le premier semestre. Selon les projections de la Banque centrale de Tunisie, le cours moyen à 3 mois serait de 3,3501 dinars pour un euro (+0,737%) et 2,7283 dinars pour 1 dollar (+0,872%). Et selon les projections pour 6 mois, ce taux devrait s’établir en moyenne à 3,4138 dinars pour 1 euro (+2,652%) et 2,7747 dinars pour 1 dollar (+2,5881%). 

La résilience du dinar devrait être favorisée par le niveau des réserves de change du pays qui se sont renforcées au cours de ces derniers mois pour atteindre 22,8 milliards de dinars en décembre dernier, soit 8,43 milliards de dollars, le plus haut niveau depuis le Printemps arabe en 2010, la reprise économique comme le projettent les institutions financières internationales, la maîtrise de l’inflation, etc. Autant de facteurs qui prêtent à l’optimisme en 2021, si jamais la pandémie du Covid-19 arrive à être maitrisée d’ici la fin du premier semestre 2021.

Par Moussa Diop
Le 13/01/2021 à 16h14, mis à jour le 14/01/2021 à 11h04