Algérie. Electroménager et électronique: arrêts de production, réductions d’effectifs... Les patrons sont inquiets

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Le 03/02/2020 à 15h06, mis à jour le 03/02/2020 à 17h31

Les fermetures d’usines et les réductions d'effectifs se succèdent dans l'industrie de l'électroménager et électronique algérienne. Après les licenciements en masse de deux fleurons de cette industrie en crise, dont 20% des effectifs sont au chômage technique, la situation inquiète le patronat.

En Algérie, la pseudo-industrie de l'électroménager (dite des "produits blancs et gris") et de l'électronique (celle de la fabrication de téléphones mobiles) traverse une période particulièrement délicate. Les fermetures d’unités de production et les réductions d’effectifs s'enchaînent régulièrement pour les entreprises opérant dans ce secteur.

La situation si préoccupante qu’elle n’épargne même plus les entreprises de grande taille, pourtant considérées comme étant les plus solides du pays, y compris celles dont les capitaux sont détenus par l'Etat. Le Forum des chefs d'entreprises (FCE), le patronat algérien, s'inquiète désormais ouvertement de cette crise.

La situation est en effet devenue préoccupante, et la crise a désormais touché Condor, ainsi que l'Entreprise nationale des industries de l’électroménager (Eniem). Ces deux entreprises, pourtant leaders de ce segment de l'industrie algérienne, ont, à leur tour, annoncé des licenciements en masse. 

Eniem, dont l'usine est implantée à Tizi-Ouzou, en Kabylie, et qui emploie 1.700 salariés, se retrouve en situation d’arrêt technique de ses activités, suite aux contraintes financières qu'elle traverse. Pour parer au plus urgent, l'entreprise vient d’obtenir un prêt de 1,1 milliard de dinars, suite à une décision prise au sommet de l’Etat algérien.

Ce montant devrait permettre à l’entreprise publique de pouvoir s'approvisionner en kits CKD/SKD pour le montage d’appareils électroménagers. Grâce à ce prêt consenti, Eniem devrait pouvoir, en principe, reprendre ses activités à la fin du mois de mars prochain. En attendant, ses employés se sont retrouvés en situation de chômage technique.

Malheureusement, ce sauvetage par l'Etat d’une entreprise qui lui appartient ne va pas profiter aux autres entreprises, à capitaux privés celles-là, qui devront compter sur leurs propres ressources.

Mais il n'y a pas qu'Eniem et Condor, les deux leaders, qui souffrent: en fait, l'ensemble des entreprises algériennes, ou installées dans le pays, et opérant dans l'industrie de l'électroménager et de l'électronique, se retrouvent aujourd'hui en situation de détresse. C’est notamment le cas d’Iris, de Sacomi-Thomson, de Bya Electronics, de Brandt, et de bien d'autres.

Si rien n’est fait, et rapidement, pour arrêter l’hémorragie, plusieurs unités, une quarantaine, selon les professionnels de ce secteur, risquent de se retrouver en faillite dans les semaines et les mois à venir, et plusieurs dizaines de milliers d’emplois seront perdus.

Concernant le cas de Condor, leader spécialisé dans l’électronique, la téléphonie et l’électroménager en Algérie, son PDG, Abderrahmane Benhamadi, séjourne actuellement en prison dans le cadre de l’opération de lutte contre la corruption initiée en 2019 à l’encontre des oligarques proches du régime Bouteflika. Sans pilote à son bord, Condor a déjà dû réduire ses effectifs de plus de 30%, ce qui lui a permis de baisser sa masse salariale pour près de 65,76 milliards de dinars algériens, avec, à la clé, la perte de plus de 2.200 postes de travail.

Devant les risques qui menacent le secteur, le Forum des chefs d’entreprises (FCE), le patronat, tient à faire part publiquement de sa «préoccupation» quant à l’avenir des entreprises de l’industrie de l'électroménager et de l'électronique en Algérie. 

Plusieurs facteurs sont à l’origine de la situation critique que traverse le secteur. En premier lieu, la conjoncture économique et financière, particulièrement difficile, que traverse l’Algérie depuis quelques années ne cesse de s’aggraver. Ensuite, il y a aussi, et surtout, les effets d’une politique industrielle mal pensée, et mal exécutée par les gouvernements successifs au cours de ces dernières années.

Ces politiques se sont traduites par la mise en place d’une «industrie locale déguisée». En plus clair, des unités de montage ont poussé comme des champignons, à la faveur de facilités accordés à des oligarques proches du clan Bouteflika, qui se sont contentés d’importer des kits CKD/SKD, pour assembler en Algérie des téléphones mobiles et des appareils électroménagers, sans aucune valeur ajoutée locale. Et avec un taux d'intégration faible, voire nul. 

Non seulement les importations des produits concernés n’ont pas baissé, mais ces industries se sont développées en étant totalement déconnectées des réalités de l’économie algérienne, en important la quasi-totalité de ses composants.

Une ultime goutte a fait déborder le vase: la décision de la mise en place, par le gouvernement de l’ancien Premier ministre Noureddine Bédoui, en septembre 2019, de l’obligation d'un différé de paiement, sur un délai de 9 mois, qui se substitue au paiement en cash des importations, qui était jusque là en vigueur.

Ce n'est pas tout: les autorisations d’approvisionnement en kits pour les filières de l'électroménager et du téléphone mobile se sont retrouvées bloquées, à cause du taux d’intégration quasi-nul de la production de ces industries, car leur matière première, soit des kits d'assemblage préalablement importés, n 'a pas reçu l'homologation des autorités de régulation.

Aujourd’hui et désormais, de nombreuses unités se retrouvent à l’arrêt, ou tournent au ralenti, à cause de ces fameux kits, qui ne leur parviennent plus. 

En ce qui concerne l’homologation des produits, qui impose de nouvelles exigences en matière d’importation des inputs, le patronat algérien dénonce cette décision, dont le champ d’application cible les producteurs, et exclut les importateurs de produits finis. Pour les patrons, cette mesure favorise les importateurs, au détriment des producteurs, en rendant ces derniers moins compétitifs.

En plus de ces freins, qui ne sont pas des moindres, certaines entreprises doivent non seulement faire face à l’arrestation de leurs dirigeants, dans le cadre des opérations anticorruption lancées tambour battant par le précédent régime, mais aussi à l’arrêt des prêts consentis par les banques. 

Dans tous les cas, la situation du secteur de l'industrie de l'électronique et de l'électroménager est grandement inquiétante.

Les mises en faillite d'usines se multiplient, les pertes d’emplois aussi, et les rangs des chômeurs ne cessent de grossir.

Selon le FCE, «plus de 20% des employés de la filière ont été mis au chômage, et ce taux est appelé à augmenter dans le cas où des mesures urgentes ne sont pas prises par les pouvoirs publics, pour, au moins, stopper la dégradation de la situation, en attendant de redynamiser le secteur productif, dans le cadre d’un plan de redressement économique ambitieux et réaliste».

Le patronat a émis quelques suggestions pour tenter de sauver ce qui peut l’être encore dans ce secteur. Les patrons demandent notamment la suspension de la disposition relative au différé de paiement, et la libération des autorisations d’importation des kits CKD/SKD, afin que le secteur puisse reprendre ses activités.

Enfin, les industriels opérant dans ce secteur attendent des autorités la mise en place d'un nouveau dispositif législatif, comportant des règles claires sur le taux d’intégration de leur production, qui devrait aller crescendo au fil des ans, et auquel les opérateurs du secteur seront obligés de se conformer, pour ne pas être contraints de mettre la clé sous la porte.

Par Karim Zeidane
Le 03/02/2020 à 15h06, mis à jour le 03/02/2020 à 17h31