La flambée des prix a atteint des niveaux inquiétants en Algérie. En mettant les spéculateurs à l’index, Abdelmadjid Tebboune, qui se glorifie d’un retour à l’équilibre de la balance commerciale, feint d’ignorer les effets de la politique d’interdiction des importations menée par le pays.
D’ailleurs, selon l’Union générale des commerçants et artisans d’Algérie (UGCAA), la flambée des prix des produits agricoles frais est encore loin de prendre fin. Même si les produits agricoles frais et les denrées alimentaires sont plus affectés par cette inflation, cette hausse touche aussi bien les produits locaux que ceux qui sont importés.
Ainsi, sur les étals, le prix des produits agricoles frais se négocient presque tous au-dessus des 100 dinars, soit, au 25 septembre 2021, environ 6,50 dirhams. C’est ainsi le cas du kg de carotte (120 dinars), de la tomate (130 dinars), de la courgette (150 dinars), des haricots verts (250 dinars), de la pomme de terre (100 dinars)… Le kilogramme de poulet est quant à lui passé de 320 à plus de 500 dinars algériens, et celui du kg de pâtes de 40 à 80 dinars.
Ces hausses concernent même les produits qui sont subventionnés ou dont le prix est fixé par les autorités. C’est le cas du pain, dont le prix est officiellement fixé à 8,56 dinars algériens.
Ce prix n’existe plus depuis longtemps, et aujourd’hui la baguette se vend à 10 dinars en Algérie. Depuis quelques semaines, dans le sillage de la pénurie de farine dans le pays, le pain à 10 dinars a disparu des boulangeries, qui ont lancé un «pain amélioré» qui est désormais vendu à 15 dinars.
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La situation sociale est donc très difficile à contenir, tant l’appauvrissement de la population à cause de la hausse généralisée des prix a atteint des niveaux alarmants.
Devant les menaces des syndicats de donner un mot d’ordre de grève générale en octobre et aux tensions sociales, conséquences logiques de ces hausses généralisées des prix qui touchent presque tous les produits, le président Abdelmadjid Tebboune s’est fendu d’une sortie médiatique fracassante.
Des hausses inacceptables pour la religion et la morale, assène Tebboune
Au moment où le gouvernement essaye de revoir sa politique de subvention, le président algérien a profité d’une rencontre avec les walis du pays pour pointer du doigt et jeter à la vindicte populaire ceux qui, selon lui, sont les uniques responsables de cette hausse généralisée des prix.
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«Certains parasites et intrus du commerce ont misé sur la spéculation pour provoquer cette augmentation des prix», a-t-il lancé au cours de cette rencontre, avant de menacer les commerçants détaillants, cible de ses attaques.
Et Tebboune d’annoncer: «nous allons voir avec messieurs le ministre de la Justice et le Premier ministre pour élaborer des lois répressives pour faire de la spéculation sur les produits de base un crime impardonnable et puni en tant que tel».
Pour le président algérien, en effet, ce qu’il dénonce «n’est pas acceptable, ni du point de vue de la religion, ni de la loi, ni de la morale».
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Bref, «des lois dissuasives ont été mises en place pour criminaliser la spéculation alimentaire», a martelé Abdelmadjid Tebboune, qui craint, en fait, que cette inflation galopante ne déclenche des mouvements de protestation.
La situation est en effet devenue tellement inquiétante que le président se devait de trouver rapidement des coupables, afin de faire face aux tensions sociales qui couvent et qui risquent d’entraîner une explosion sociale, à cause de la paupérisation de la population.
Seulement voilà: l’accusation de Tebboune est très loin de refléter les causes réelles de cette hausse des prix, qui s’explique par la conjonction de nombreux facteurs, dont tout particulièrement les effets négatifs de la politique économique et monétaire du gouvernement, sous les directives de ce même Tebboune.
La dépréciation du dinar, une cause évidente
D’abord, ces hausses s’expliquent grandement par les effets de la dépréciation du dinar algérien face aux devises étrangères, notamment au dollar et à l’euro, les principales monnaies de facturation des importations algériennes.
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A ce titre, le dinar n’a cessé de battre des records de baisse vis-à-vis du billet vert américain. Il s’agit du résultat d’une politique monétaire visant à déprécier le dinar afin d’augmenter mécaniquement les recettes budgétaires tirées des recettes fiscales en provenance des hydrocarbures, dans le but d’atténuer le niveau du déficit budgétaire.
En conséquence, les prix des rares produits importés ont fortement augmenté à cause de la dépréciation du dinar, qui fait hausser les prix de ces même produits dans la monnaie locale.
Ensuite, certaines hausses de prix s’expliquent par des pénuries de nombreux produits, qui sont exclusivement le fait des interdictions d’importations décidées par les autorités algériennes, pour réduire la facture des importations et réduire le déficit commercial et donc, de réduire les sorties de devises.
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D’ailleurs, le président algérien n’a pas manqué de souligner le retour prochain à l’équilibre de la balance commerciale, sans pour autant se soucier des impacts négatifs de cette politique sur les ménages algériens.
Or, ces pénuries entrainent, du fait de la «loi de l’offre et de la demande», une hausse des prix de ces produits.
Ainsi, pour le poulet, pour un besoin compris entre 5 et 6 millions de poules, 40% seulement sont produits localement par les privés. Du coup, l’arrêt des importations entraîne des pénuries et donc des hausses de prix.
La régulation des prix, non tenue par les autorités
Par ailleurs, ces hausses sont le fruit des augmentations des prix sur le marché mondial. Des hausses qui touchent de nombreux produits agricoles et des matières premières, des demi-produits et intrants qui poussent les producteurs locaux à les répercuter sur le consommateur final.
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De même, les circuits de distribution, avec une cascade d’intermédiaires, renchérit les prix des produits avant leur arrivée au consommateur final. Partant, il devient urgent que les autorités jouent leur rôle de régulateur du circuit de distribution.
Enfin, il faut aussi souligner que l’Algérie ne produit pas assez de produits pour répondre à sa population, forte de 44 millions de consommateurs. Une situation à l’origine de certaines pénuries et du prix élevé de certains produits. C’est le cas du prix du poulet, qui a dépassé la barre des 500 dinars, en raison de la grippe aviaire et de l’insuffisance de la production locale. Une situation qui a poussé les acteurs de la filière à solliciter qu’une certaine quantité de poulet soit importée, afin de faire face à la pénurie.
En clair, les spéculateurs sont très loin d’être à eux seuls les responsables de la hausse généralisée des prix en Algérie.
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D’ailleurs, les commerçants ont vite répondu au président Tebboune. L’Union générale des commerçants et artisans d’Algérie (UGCAA) a mis en cause la politique de «rafistolage» du ministère du Commerce.
«On s’en prend aux commerçants de détail et on leur exige la facture, alors que la facturation doit commencer du tout premier maillon de la chaîne pas au tout dernier», souligne le secrétaire générale et porte-parole, de l’UGCAA, Hazab Benchohra.
Rappelant que les prix sont libérés en Algérie, il explique que l’Etat doit fixer les marges bénéficiaires de chaque produit, afin de ne pas faire supporter toute la charge aux commerçants détaillants.
Il ne fait aucun doute que si les contrôles des prix n’ont pas suffi, ce n’est pas la répression qui va ramener les prix à un juste niveau, tant que les circuits de distribution n’auront pas été assainis, ce qui n’est pas là une mince affaire.