Algérie. la chaîne Arte pointe un pays au bord du gouffre

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Le 01/11/2018 à 11h46, mis à jour le 01/11/2018 à 12h15

Revue de presseBouteflika, 20 ans au pouvoir, est à la tête d'un pays qui ne dépend que du pétrole et qui fait face à une grogne des Algériens, sans avoir la possibilité de financer des mesures sociales. Sans consensus pour sa succession, le scénario de 1991, et la victoire des islamistes, pourrait se reproduire.

Alors que l'Algérie célèbre sa fête nationale et que Bouteflika, qui est à la tête du pays depuis 1999, est sur le point d'y passer une vingtaine d'années, Arte, la chaîne de télévision franco-allemande, dresse un bilan peu élogieux de ses mandats successifs, dans un dossier publié sur son site sous le titre "L'Algérie de Bouteflika: un pays au ralenti".

La chaîne pose deux questions qui en disent long sur la situation qui prévaut dans le pays: "pourquoi l’Algérie stagne-t-elle, malgré ses nombreux atouts? Comment la sortir de sa léthargie?".

"Malgré de graves problèmes de santé et des hospitalisations à répétition, il (Bouteflika, Ndlr) briguerait alors son cinquième mandat à la tête d’un pays rongé par la corruption et le clientélisme. Avec la baisse du prix du pétrole et la dégradation de la santé du chef de l’Etat, les tensions sociales augmentent, le pays tourne au ralenti et rien ne semble avancer", analyse d'emblée l'auteur du dossier. 

Arte pointe le fait que "le gaz naturel et l’or noir, au lieu de bénéficier à la population, servent à soutenir le pouvoir… Qui dépend des fluctuations des cours du pétrole", rappelant au passage que "l'économie algérienne repose quasi-exclusivement sur les exportations des hydrocarbures". 

Mais dans tout cela, quelle est la place de Bouteflika, dans le pouvoir algérien, semble se demander Arte. Visiblement, le président algérien a beau passer près de 20 ans au pouvoir, il n'en est pas, ou n'en est plus, la clé de voûte.

"Ce n'est qu'une pierre dans l'édifice du régime", répond, affirmatif, ce texte accompagnant le dossier d'Arte, qui explique que la réalité du pouvoir est entre les mains de trois acteurs: l'exécutif, les services secrets et l'armée. "Ils forment un système qui contrôle la vie politique et entretient la corruption et le népotisme. Les profiteurs de ce système sont ceux qui détiennent le pouvoir. De leur point de vue, il n’y a donc aucune raison de changer le statu quo", tranche Arte.

Evidemment, les derniers changements auxquels les Algériens ont assisté tendent à prouver que l'exécutif a voulu s'arroger plus de prérogatives que par le passé, notamment en réalisant une véritable purge au sein de l'armée, après avoir rattaché les services secrets à la présidence depuis 2015.

Selon Arte, l'épisode du limogeage du général Mohamed Médiène, alias Toufiq, qui a dirigé les tout-puissants services secrets pendant 25 ans, montre bien que "dans la perspective de l’après-Bouteflika, les figures jugées trop indépendantes sont écartés au profit de celles qui respectent les lois du pouvoir".

Sur le plan économique, l'Algérie est un géant aux pieds d'argile avec une économie qui repose sur le pétrole et le gaz. Et il suffit que les marchés des hydrocarburent s'enrhument pour que le pays soit atteint d'une quinte de toux.

"A son arrivée à la tête de l’Etat en 1999, le président a profité d’une période clémente, avec des prix du pétrole en hausse", analyse toujours le média franco-allemand, en citant Ahmed, un fonctionnaire qui dit que "Bouteflika a été chanceux". Ce dernier ne s'y trompe pas, les cours haussiers du pétroliers avaient créé une manne, "mais une manne purement rentière". Sauf qu'une manne, cela finit toujours par se tarir, ce qui est arrivé à partir de 2015, année où les cours sont passés de 150 à 40 dollars. 

Au lieu de chercher à faire comme le Maroc ou la Tunisie, en développant une industrie diversifiée, l'Algérie continue de trouver des clients pour son pétrole sans (presque) rien transformer localement. Le pays importe même jusqu'à 2,5 milliards de dollars de produits raffinés. Pas plus tard que l'année dernière, la Sonatrach a fait le choix ubuesque d'acheter une rafferie vieillissante en Italie, à grand frais, en espérant transformer son pétrole avant de réimporter les produits finis. 

Dans ce contexte politique et économique où plus rien ne va, quel avenir s'offre à l'Algérie et aux Algériens? Selon Arte, "le Président Bouteflika n'est presque plus en mesure de gouverner le pays et les tensions s'accumulent".

Auparavant, notamment à l'approche d'élections, il lui suffisait juste de calmer la grogne populaire en actionnant les leviers financiers: augmentation des salaires, crédits aux jeunes entrepreneurs à taux avantageux, etc.

Mais depuis la crise, tout a changé, l'Algérie est même obligée de recourir à la planche à billets pour financer son budget. Le pays pourrait aussi faire face à une pénurie de devises si les cours du pétrole ne se redressent pas de façon significative pour attendre 90 à 100 dollars. 

Friedrich-Ebert-Stiftung, une fondation allemande qui s'est penchée sur l'économie du pays, estime que l'Etat est face à un véritable dilemme: il lui faut prendre des mesures d'austérité pour se tirer d'affaires, mais il accentuerait alors la grogne sociale. Il est donc tenaillé entre le marteau de l'économie et l'enclume du social. 

Concernant l'après-Bouteflika, le politologue Merin Abass estime que c'est la question du "successeur" qui n'est toujours pas tranchée entre les tenants du pouvoir. Mais ce dernier est formel, Said Bouteflika, le tenant officieux des rênes du pouvoir, est "grillé" et qu'il n'a aucune chance de remplacer le raïs.

Cependant, ce qui est clair, c'est que le pouvoir actuel ne laissera aucun candidat non coopté par lui gagner des élections. Et Merin Abass de conclure que ce qui a eu lieu il y a près de 30 ans, lorsque les islamistes avaient remporté les élections, pourrait bien se reproduire... 

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 01/11/2018 à 11h46, mis à jour le 01/11/2018 à 12h15