Chine-Afrique: la dette chinoise et le risque d’étranglement du continent

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Le 03/09/2018 à 07h33, mis à jour le 03/09/2018 à 08h18

Depuis 2000, la Chine a prêté plus de 125 milliards de dollars à l’Afrique. Si les prêts chinois ont permis la réalisation de plusieurs infrastructures, les garanties offertes font courir à certains pays du continent des risques énormes quant à leur développement futur. Décryptage.

Beijing, la capitale chinoise, va accueillir les 3 et 4 septembre courant, le 3e Forum sur la coopération sino-africaine. Un sommet qui doit déboucher sur un plan d’actions conjoint Chine-Afrique pour la période 2019-2021. D’où la très forte présence des dirigeants du continent à cette manifestation.

Il sera ainsi question de coopération économique, de signatures d’accords de coopération, d’échanges commerciaux et d’investissement. Toutefois, il est certain que la question de l’endettement inquiétant des pays africains vis-à-vis de la Chine sera très peu débattue lors de cette manifestation. Et pour cause, les pays africains ont grandement besoin de ces prêts chinois pour financer leurs infrastructures de base (routes, ports, centrales électriques, barrages hydroélectriques, autoroutes, etc.) alors que la Chine, disposant de réserves en devises colossales, est disposée à étendre son influence en jouant sur son rôle de prêteur aux pays africans dans le besoin.

Un endettement qui inquiète les institutions financières internationales et les pays développés et qui pourrait devenir un goulot d‘étranglement pour de nombreux pays africains dans les années à venir. Selon les pays du G20, le taux d’endettement s’élève actuellement à 57% du PIB du continent, soit presque le double de ce qu’il était il y a 5 ans. Le niveau de la dette est tel que le continent doit puiser 11% de ses recettes budgétaires pour rembourser le service de la dette, contre 4% il y a 5 ans. Pour un pays comme le Nigeria, première puissance économique du continent, le service de la dette absorbe déjà 60% des recettes de l’Etat, ne laissant que des miettes aux investissements publics.

En effet, depuis 2000, la Chine est devenue le principal créancier du continent. Les prêts accordés par le gouvernement, les banques et les entreprises chinoises ont dépassé 125 milliards de dollars, en moins d’une décennie, selon les données du cabinet américain China Africa Research Initiative (CARI, de l'université Johns-Hopkings basé à Washington. Elle pèse à elle seule plus de 15% de la dette extérieure globale africaine.

Il faut dire que la Chine a développé une offre de financement taillée sur mesure pour l’Afrique baptisée «Financement angolais», du fait que le premier prêt du genre a été octroyé en 2004 par Exim Bank of China à l’Angola. Le principe est simple. En contrepartie d’un prêt pour la réalisation d’un projet d’infrastructure, le pays bénéficiaire accorde des concessions dans l’exploitation de ressources naturelles (pétrole, gaz, or, cuivre, bauxite, cobalt, minerai de fer, etc.) à des entreprises chinoises. En clair, les pays africains hypothèquent leurs matières premières pour honorer leurs engagements financiers vis-à-vis des entreprises chinoises, en contrepartie de la réalisation d’infrastructures.

En outre, en plus de la garantie des matières premières, les emprunteurs sont obligés d’accorder la réalisation des projets financés par la Chine à des entreprises chinoises qui emploient aussi de la main d’œuvre chinoise. Les ouvrages sont souvent réalisés clés en main sans aucune valeur ajoutée locale et sans aucun transfert de technologie et de savoir-faire.

Ainsi, au cours de ces dernières années, environ 7.000 km de voies ferrées et plus de 5.000 km de routes et d’autoroutes ont été réalisés dans différents pays africains via ces prêts.

Ces financements chinois permettent aussi la réalisation de quelques projets pharaoniques dont la ligne de chemin de fer reliant Addis-Abeba-Djibouti, longue de plus de 756 km et qui a nécessité un financement de plus de 3,5 milliards de dollars dont 70% a été assuré par le bras financier de la Chine Exim Bank of China et la réalisation a été confiée à China civil engineering construction corporation (CCECC).

A ce titre aussi, on peut citer les 10 principaux programmes de coopération entre l’Afrique et la Chine conclus lors du Forum sur la coopération sino-africaine à Johannesburg en décembre 2015, et qui seront financés essentiellement par la Chine. Une fois achevés, ces programmes permettront au continent de disposer 30.000 km de nouvelles routes, de 85 millions de tonnes de nouvelles capacités portuaires, de 20.000 mégawatts de nouvelles capacités de production d’électricité, de 30.000 km de lignes de transport d’électricité supplémentaires, etc.

Mais, les prêts chinois servent aussi à des financements de projets qui n’ont pas d’impacts sur les économies africaines et qui contribuent à endetter certains pays du continent. C’est le cas de la construction de la ville angolaise de Kilamba, un des plus ambitieux projet immobiliers du monde avec 20 .000 appartements. Cette ville, sortie de la terre en 2011 a nécessité un investissement de 3,5 milliards de dollars. Seulement, cette ville mal pensée cherche toujours ses habitants après avoir endetté le pays de plusieurs milliards de dollars.

Les principaux bénéficiaires de la dette chinoise sont des pays considérés comme stratégiques par l’Empire du Milieu: Angola, pays riche en ressources pétrolières (2e producteur de pétrole africain), l’Ethiopie, pays le plus dynamique du continent depuis plus d’une décennie, Kenya (pays stratégique par sa position bien située sur les «Nouvelles routes de soie»), le Cameroun, le Soudan, le Congo, etc.

Ces prêts font qu’aujourd’hui, selon les institutions financières internationales dont le FMI et les pays du G20, plusieurs pays africains sont surendettés. Selon le FMI, 5 pays africains sont surendettés et plusieurs autres pourraient bientôt les rejoindre. C’est le cas de l’Angola, du Kenya, de Djibouti, du Congo-Brazzaville, etc. C’est pays ont en commun d’être fortement endettés auprès de la Chine. Ainsi, 72% de la dette publique extérieure kenyane est due à la Chine. Idem pour Djibouti dont la Chine détient 82% de la dette publique extérieure du pays. Même chose pour le Cameroun dont près de 70% de la dette publique bilatérale était détenue par Pékin, soit 35% de l’encours de la dette extérieure du pays.

Ces cas n’ont rien d’exceptionnels au niveau du continent où les taux d’endettement sont devenus des sujets de préoccupation.

Certains pays comme la Zambie et le Congo-Brazzaville ont contracté des emprunts auprès d’entreprises chinois dont les montants n’ont pas été dévoilés. La Chine a préfinancé plusieurs projets d’infrastructures du Congo poussant le taux d’endettement de ce pays à 120% de son PIB.

C’est le cas aussi du pays le plus endetté en volume auprès de la Chine, l’Angola. La dette de l’Angola vis-à-vis de la Chine est estimée autour de 25 milliards de dollars, soit le quart de la dette africaine vis-à-vis de l’Empire du milieu. Le second producteur de pétrole africain cautionne sa dette avec le pétrole. Une situation qui a permis au groupe pétrolier chinois Sinopec de mettre la main sur plusieurs concessions pétrolières angolaises.

C’est le cas aussi de la République démocratique du Congo (RDC). En 2008, les autorités ont obtenu un prêt exceptionnel de 6 milliards de dollars de la Chine. En contrepartie, les chinois obtiennent le droit d’exploitation de plusieurs mines de cuivre et de cobalt.

Le problème avec ces prêts garantis par les matières premières, c’est qu’en cas de baisse des cours, le coût de la dette en matières premières augmente. C’est ce qui est arrivé à l’Angola. Avec la chute du cours du baril de pétrole en 2014, la quasi totalité des recettes pétrolières du pays servent à rembourser la colossale dette contractée auprès de la Chine. Du coup, les caisses de l’Etat sont vides et le pays affiche des déficits budgétaires qu’il finance en recourant à d'autres prêts. Le pays s’est ainsi engagé dans une spirale d’endettement pour financer ces déficits. Les institutions financières comme le FMI préconisant des conditions draconiennes pour accorder des prêts, contrairement à la Chine qui ne pose aucune condition, pourvu que ses prêts soient hypothéqués en matières premières, l’Angola s’est retrouvée dans l’incapacité à rembourser sa dette auprès de la Chine demandant des rééchelonnements de sa dette ancienne tout en sollicitant d’autres prêts auprès de son «généreux» créanciers.

Seulement, s’il ne fait aucun doute sur l’importance de certains projets (centrales électriques, barrages hydroélectriques, routes et autoroute, ports, etc.), il n’en demeure pas moins que la soutenabilité de la dette de nombreux pays africain vis-à-vis de la Chine est posée. D’ailleurs, l’économiste Li Ruogu, ancien président d’Exim Bank of China et vice-président de China Foundation for Peace and développement (Fondation chinoise pour la paix et le développement), reconnaît que «peu d’Etat africains ont la capacité de rembourser les sommes prêtées». A ce titre, on se rappelle qu’en 2017, le Mozambique s’était déclaré en défaut de paiement, après que le gouvernement a reconnu l’existence d’une dette occultée de 2 milliards de dollars. La Chine, un des grands prêteurs du pays, a été obligée d’effacer une partie de sa dette envers ce pays qui détient d’importantes réserves en gaz.

Reste que la Chine n’est pas un donateur. Outre le fait que plusieurs projets d’infrastructures soient surfacturés, les prêts accordés par les entreprises chinoises doivent être remboursés quelques soient les conditions de l’emprunteur. Du coup, le risque est important pour les pays africains qui se retrouvent dans une situation de défaut de paiement. Et pour cause, les prêts chinois sont souvent garantis au moyen de ressources naturelles ou par la gestion des ouvrages réalisés par les chinois. Ainsi, une fois en défaut de paiement, les infrastructures financées et réalisés par des chinois risquent de se retrouver entre les mains d’opérateurs de ce pays et ce pour de nombreuses années.

Le risque que courent les pays africains endettés est celui du Sri Lanka. Incapable de rembourser sa dette, ce pays a été obligé d’accorder un bail de 99 ans sur un port stratégique financé avec l’argent chinois et 15.000 parcelles de terrains.

C’est dire que le risque est important pour de nombreux pays africains. D’ailleurs, beaucoup d’observateurs lient ainsi la résiliation du contrat d’exploitation entre Djibouti et l’opérateur DP World sur le terminal à conteneur de Doraleh par l’endettement de ce pays d’Afrique de l’est vis-à-vis des entreprises chinoises. Ainsi, Djibouti a retiré l’exploitation du port à DP World pour éventuellement accorder l’exploitation à des entreprises chinoises, sachant que la Chine est de loin le principal créancier du pays.

Il s’agit de risques qui pourraient se multiplier durant les années à venir pour de nombreux pays du continent qui tomberont dans l’incapacité d’honorer leurs engagements vis-à-vis de la Chine et de ses entreprises. Ainsi, ce ne sont pas seulement les matières premières que les pays africains hypothèquent, mais c’est l’avenir du développement du continent qui est hypothéqué par cet endettement devenant un véritable goulot d’étranglement laissé aux générations futures.

Par Moussa Diop
Le 03/09/2018 à 07h33, mis à jour le 03/09/2018 à 08h18